Manger moins de viande : "Penser que la meilleure protéine est la viande est une idée-reçue absurde"

Publié par Laurène Levy
le 18/01/2019
Maj le
8 minutes
Adobe Stock
Dans son livre Moins de viande, le docteur Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute, appelle à une consommation raisonnée de protéines animales. Maladies cardiovasculaires, cancer, épidémies, substances toxiques… Les arguments sanitaires en faveur d’une alimentation moins riche en viande sont nombreux.  

E-santé : Votre ouvrage Moins de viande (Editions Solar, 2018) et la tribune Lundi Vert dont vous êtes signataire appellent à réduire notre consommation de viande. À quelles maladies une consommation excessive de viande expose-t-elle ?

Dr Jean-Paul Curtay : Moins de viande et Lundi vert sont des appels aux gens à consommer plus raisonnablement les protéines animales. Personnellement, je me positionne en tant que médecin et donc principalement sur les raisons sanitaires de cette démarche. Il faut d’abord remarquer que toutes les études menées sur ce sujet sont incontestables : les régimes hyper protéinés ne sont pas bénéfiques pour la santé et ne font pas maigrir, bien au contraire, puisque chaque augmentation de consommation de 250 grammes de viande par jour est associée à un gain de poids de 2 kg tous les 5 ans. En effet la viande favorise l’inflammation intestinale qui joue elle-même un rôle dans la survenue du surpoids et de diabète.
Outre ces problèmes métaboliques, les personnes qui consomment de la viande présentent des risques plus élevés de cancer – et pas uniquement de cancer du côlonet de maladies cardiovasculaires que les végétariens. Mais je trouve que le plus impressionnant est l’augmentation considérable du risque de maladie d’Alzheimer : les personnes qui consomment de la viande, même en petite quantité, souffrent deux à trois fois plus de cette maladie neurodégénérative que les végétariens.

"Au regard de ce qu’elle renferme, on aurait tout intérêt à manger moins de viande"

E-santé : Polluants, antibiotiques… quelles sont les substances contenues dans la viande qui peuvent être dangereuses pour la santé des consommateurs ?

Dr Curtay : Au regard de ce qu’elle renferme, on aurait tout intérêt à manger moins de viande. La viande contient tout d’abord beaucoup de bactéries pathogènes et de bactéries résistantes aux antibiotiques. En parallèle, plusieurs molécules toxiques peuvent être présentes : les viandes roussies ou noircies contiennent des réactifs de Maillard, celles cuites au barbecue des vapeurs d’hydrocarbures et les viandes frites des acrylamides.
Mais d’une manière générale, quel que soit le mode de cuisson, les viandes mais aussi les poissons possèdent plus de polluants accumulés que les végétaux car la graisse associée aux produits animaux est un piège à polluants et à perturbateurs endocriniens. Cela s’observe notamment avec l’exemple du mercure présent dans les poissons et les fruits de mer. On a longtemps estimé ces aliments comme bénéfiques pour la santé mais aujourd’hui la pollution modifie le jeu et il faut donc se pencher sur le rapport bénéfice/risque des produits de la mer. Mieux vaut privilégier les petits poissons comme le hareng, les sardines ou le maquereau et éviter les poissons prédateurs comme le thon et l’espadon qui sont malheureusement devenus quasiment incomestibles. Les crustacés sont encore pires car ce sont des animaux filtreurs qui récupèrent et accumulent toutes les substances polluantes présentes dans l’eau , qui se concentrent sur les microplastiques qu’ils avalent.

Des élevages surpeuplés, des animaux infestés

E-santé : Plus largement, pourquoi les élevages intensifs en eux-mêmes représentent-ils un risque sanitaire ?

Dr Curtay : Tout d’abord parce que dans ce type d’élevages surpeuplés, tous les animaux sont immunodéprimés et infectés. Ils reçoivent donc systématiquement des antibiotiques préventifs ce qui favorise l’émergence de résistances aux antibiotiques, une véritable menace pour la santé publique.
Un autre risque sanitaire est lié à la présence des virus dans les élevages industriels : la grippe aviaire et la grippe porcine viennent initialement des élevages et l’arrivée d’une nouvelle épidémie de l’ampleur de la grippe espagnole ne peut pas être écartée !
On a vraiment besoin d’une révolution politique et on se situe actuellement dans un moment opportun : un sondage IFOP-WWF révélait en 2017 que 89% des Français étaient favorables à l’abolition de l’agriculture intensive. On sait tout ce qu’il faut faire mais on a du mal à passer le cap.

Les hommes et les femmes ménopausées n'ont quasiment pas besoin de viande

E-santé : Une des craintes qui peut ralentir le passage à une alimentation moins riche en viande est celle de manquer de protéines ou de fer. S’agit-il d’une peur fondée ?

Dr Curtay : Il ne faut pas confondre viande et protéines ! Même s’il est vrai que la viande contient des protéines complètes et tous les acides aminés essentiels que nous sommes incapables de fabriquer seuls, penser que la meilleure protéine est la viande est une idée-reçue absurde. Si on associe légumineuses et céréales on obtient la même complétude et certains aliments comme le chia, le soja ou encore le quinoa sont complètes à elles seules.
Les aliments végétaux fournissent des apports suffisants en fer mais le problème est qu’il est moins bien absorbé que celui présent dans les produits animaux. Cela peut poser problème aux femmes enceintes, aux femmes qui ont des règles abondantes et aux enfants et adolescents en pleine croissance. La solution est alors soit de faire des entorses à un régime végétarien, quelques mois seulement par exemple pour les femmes enceintes, soit d’améliorer l’absorption du fer végétal. Pour cela, il faut éviter de boire du thé vert à proximité des repas car il bloque l’absorption du fer mais aussi se complémenter en vitamine C en fin de repas pour améliorer l’absorption du fer végétal. On pourra également favoriser les aliments végétaux les plus riches en fer comme les lentilles, les haricots blancs et le soja. Mais je déconseille de prendre du fer en complément alimentaire car celui-ci est très inflammatoire pour le tube digestif, contrairement au fer de la viande qui est enveloppé dans des protéines et des fibres.
Et pas d’inquiétude, bien au contraire, pour les hommes ou les femmes ménopausées. Tous les hommes présentent un excès de fer car ils n’ont pas de règles et mangent généralement plus de viande que les femmes, à cause de l’idée-reçue selon laquelle la viande rend fort. Or le fer est un minéral inflammatoire et qui favorise la croissance des germes. Conséquence, consommer trop de viande fournit des apports excessifs en fer, ce qui augmente le risque de maladies infectieuses et dégénératives.
Enfin, le seul risque de carence dans une alimentation pauvre en viande est la carence en vitamine B12, présente uniquement dans les produits animaux. Une personne strictement végétarienne doit donc se supplémenter en B12.

Une femme qui a ses règles peut consommer de la viande deux à trois fois par semaine

E-santé : Alors, en quelle quantité devrait-on consommer de la viande ?

Dr Curtay : Plusieurs études montrent que consommer de la viande une fois par semaine suffit et qu’au-delà, elle risque d’impacter la santé. Une femme qui a ses règles et qui risque donc de manquer de fer peut consommer de la viande deux à trois fois par semaine selon l’abondance de ses saignements, le mieux étant de faire des dosages du fer pour savoir s’il y a carence ou non. Les femmes enceintes, les enfants et les adolescents en pleine croissance pourraient quant à eux manger de la viande une fois par jour, tous les jours.

De la viande bio ou Label Rouge, et jamais le soir

E-santé : Quel type de viande consommer les jours où l’on en mange ?
Dr Curtay : Manger moins de produits animaux permet de mieux les choisir. L’idéal est de les acheter bio, sinon Label Rouge. Une recommandation valable pour la viande, le poisson et les produits laitiers.
Ensuite, veillez à ne pas carboniser votre viande et à ne pas consommer la viande roussie ou noircie.
Dernière recommandation : limitez la viande au repas du midi et ne jamais en consommer le soir car la viande donne beaucoup d’énergie. Elle va donc augmenter la température corporelle et activer le métabolisme, ce qui compromet la capacité du corps à se réparer la nuit. Il en résultera une augmentation du risque de diabète, de maladies cardiovasculaires, de cancer et de maladie d’Alzheimer. En pratique il faut donc privilégier un dîner léger et végétarien, peu chargé en protéines végétales.

Il ne s'agit pas de se priver mais de trouver des alternatives

E-santé : Et les jours où l’on ne consomme pas de viande, par quoi la remplacer ?

Dr Curtay : Pour remplacer la viande, il suffit d’associer des légumineuses (des lentilles, des pois, des fèves, des haricots, du lupin…) et des céréales (comme le sarrasin, le quinoa, le riz..). Pensez aussi aux oléagineux (amandes, noix, noisettes, noix de cajou…) qui renferment beaucoup de protéines et d’acides gras monoinsaturés ou oméga-3. Il ne s’agit pas de se priver mais de trouver des alternatives et aujourd’hui nous avons la chance d’avoir de nombreux produits végétariens à notre disposition qui nous aident à mieux consommer, certains très réussis sur le plan gustatif comme les "fauxmages", fromages végétaux à base d’oléagineux fermentés.

L'écologie et le bien-être animal en faveur également d'une alimentation moins riche en viande

E-santé : Outre les arguments sanitaires, quelles sont les autres raisons en faveur d’une moindre consommation de viande ?

Dr Curtay : Un autre argument écrasant est celui de l’écologie. Les élevages d’animaux à viande sont responsables de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre, comme le méthane et le CO2, et de 80% de la déforestation, principalement en Amazonie, soit pour installer des fermes intensives soit pour la culture de soja OGM utilisé pour nourrir les animaux d’élevage, même ceux des élevages européens. On connaît aussi l’impact des élevages en termes de déchets et de pollutions des sols et des eaux. Le lisier de porc, véritable catastrophe écologique en Bretagne, en est un exemple frappant.
Le dernier argument est celui du bien-être animal : les conditions de vie des animaux d’élevage sont affolantes. Surpopulation, maltraitance, mutilation… c’est aberrant. La plupart des gens ne mangeraient pas cette viande s’ils savaient dans quelles conditions les bêtes ont été élevées, qu’elles sont infirmes, malades et infectées…

Sources

Merci au docteur Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et co-auteur avec Véronique Magnin de l’ouvrage Moins de viande – je me fais du bien, je préserve ma planète, je contribue au bien-être animal, Editions Solar 2018. 

Sondage IFOP/WWF : les Français pour un changement de modèle agricole, Octobre 2017 

Appel pour un lundi vert, janvier 2019

Partager :