Épidémie : pourquoi les tabacs restent ouverts alors que fumer est un facteur aggravant ?

L'épidémie a mis la France à l'arrêt. Seuls certains établissements n'ont pas été fermés comme les supermarchés, les pharmacies... ou encore les bureaux de tabac. L'autorisation accordée à ces derniers a fait grincer de très nombreuses dents. Pourquoi continuer la vente de cigarettes alors qu'être fumeur semble être un facteur risque face à la maladie respiratoire venue de Chine ?
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Une étude réalisée par des médecins chinois et publiée dans la revue New England of Medecine montre un lien entre le tabac et le risque de contracter le SARS CoV-2. Les fumeurs ont 50% plus de risque de souffrir d’une forme sévère de la maladie. Par ailleurs, les accros aux cigarettes ont 133% plus de risque de finir en réanimation ou de décéder qu’un non-fumeur.

Le professeur Bertrand Dautzenberg, ex-pneumologue à la Pitié-Salpêtrière et secrétaire général de l’Alliance contre le tabac, explique “Cette étude met en effet en lumière une association. Toutefois, nous n’avons pas encore assez de preuves pour établir un lien de causalité. D’autres éléments - comme le sexe des malades - n’ont pas été pris en compte". Mais, la prudence est bien de mise pour les fumeurs "Toutefois, il y a un lien statistique clair. C’est assez logique puisqu'on sait déjà que le tabac augmente les risques d’avoir une infection comme la grippe”, conclut l'expert. 

Empêcher les gens de fumer : un risque pour le confinement ?

Face à ces données et les messages de prévention martelant “Fumer tue”, on peut se demander pourquoi les bureaux de tabac font partie de la petite liste des établissements encore autorisés à être ouverts au côté des supermarchés et des pharmacies ? Les messages pointant cette incohérence sont d’ailleurs nombreux sur les réseaux sociaux.



Le spécialiste de la lutte contre le tabac estime que l’abstinence tabagique devrait figurer dans les consignes de prévention contre la maladie venue de Chine. S'il rappelle qu’il est - de tout temps - primordial pour sa santé d’arrêter de fumer, il ne s'oppose pas aux consignes du gouvernement. “La nicotine crée une vraie dépendance chez les fumeurs. Si on en empêche brusquement un d’avoir sa dose. Il va subir des symptômes de manque important, surtout si c’est un gros fumeur. Il va finir par tout casser chez lui, sortir pour avoir sa dose et tout faire pour avoir son tabac. Cela poserait un problème de contrôle pour la quarantaine. C’est pourquoi, je suis d’accord avec la décision du gouvernement”, explique le professeur Bertrand Dautzenberg. En effet, les fumeurs en manque pourraient être tentés de se rendre chez des amis ou des vendeurs à la sauvette pour trouver des cartouches. 

Toutefois, il pointe que cette logique d'évitement du manque appellerait aussi à autoriser l'ouverture des magasins de cigarettes électroniques. "Les vapoteurs aussi risquent de ressentir un manque s'ils n'ont plus de produits", précise-t-il. 

Le gouvernement est parvenu à la même conclusion. Par modification de l’arrêté du 14 mars publié ce 18 mars au Journal Officiel, les boutiques de vape ont été autorisées à rouvrir.

Faut-il profiter de la quarantaine pour arrêter de fumer ?

Si l’accès au tabac n’est pas remis en cause pendant la quarantaine, cet isolement peut être l’occasion d'arrêter de fumer. Après tout... pendant cette période, les tentations seront réduites : pas de collègue pour vous tenter avec une pause clope, pas d’apéro en terrasse avec les amis...

"Comme les gens sont enfermés chez eux, cela peut être une bonne idée d'en profiter pour arrêter. Mais il faut que l’envie vienne des fumeurs. Et surtout, ils ont besoin d’aide : chez les gros fumeurs, les symptômes du sevrage de la nicotine peuvent être important", précise l’expert.

Ils peuvent souffrir de stress, d’anxiété, d'irritabilité, d’humeur dépressive. Des difficultés à se concentrer et des troubles du sommeil peuvent s’ajouter. “L’enfermement et l’isolement pourraient les amplifier”, ajoute-t-il. 

Pour diminuer ces effets indésirables, les fumeurs peuvent se tourner vers la nicotine non fumée comme les patchs, les gommes ou la varénicline (molécule qui aide au sevrage tabagique) ou encore la cigarette électronique. Ces produits permettent de diminuer progressivement la dose de nicotine jusqu’à ce que le corps n’en ait plus besoin.

“Le sevrage se fait généralement sur 3 mois. Le 1er mois, le fumeur réduit d’un tiers son besoin en nicotine, de deux tiers lors du second, pour atteindre l'arrêt au 3e mois”.

Isolement : le problème du remboursement des substituts nicotiniques

Les substituts nicotiniques sont remboursés par la sécurité sociale si les patients ont une ordonnance d’un professionnel de santé (médecin traitant, tabacologue, infirmière…). Mais, il peut être difficile d'en obtenir une en cette période de confinement. “Les hôpitaux ont supprimé les consultations non-urgentes, et celles liées au tabac en font partie”, rappelle le spécialiste.

Toutefois, rien n’est perdu pour les plus motivés. Il est possible de joindre son médecin traitant par téléphone pour lui parler de son projet. Il pourra envoyer une ordonnance et ses conseils par mail. S’il est difficilement joignable à cause de l'épidémie, il est possible de se tourner vers la téléconsultation.

Son accès a été facilité. Le ministre de la Santé a en effet annoncé le 8 mars dernier : "Nous recommandons à chaque patient de passer par son médecin traitant pour assurer sa prise en charge et son suivi, néanmoins dans les cas où celui-ci ne serait pas disponible, j'ai décidé de lever l'obligation de passer par son médecin traitant et d'avoir eu une consultation présentielle les douze mois avant la consultation à distance".

Maladie pulmonaire : les fumeurs ne sont pas les seuls à devoir faire attention

Marie-Caroline Lafay de l’association Asthme et Allergies explique “Les personnes asthmatiques n’ont pas plus de risques d’être contaminées que le reste de la population à condition que l’asthme soit bien contrôlé. Toutefois, les personnes asthmatiques doivent se méfier du nouveau virus. "Il est connu depuis longtemps que virus et asthme ne font pas bon ménage. Elles ont ainsi davantage de risques de développer des complications respiratoires en cas de contamination”, ajoute t-elle. 

Dans le cadre de la lutte contre la maladie, les corticoïdes comme la cortisone sont déconseillés pour limiter le risque d’une infection grave à COVID-19. “C'est vrai pour la population générale, mais c'est une affirmation à relativiser chez le patient asthmatique. Le traitement de fond de l'asthme repose sur les corticoïdes inhalés qui permettent de contrôler l’inflammation bronchique, les symptômes et de diminuer les exacerbations d'asthme. Il est donc très important de le poursuivre”. Néanmoins, elle avertit “en cas de toux, de gêne respiratoire et de fièvre, il est - en ce moment - indispensable de prendre un avis auprès de son médecin avant de débuter un traitement de cortisone par voie orale”.

Les patients atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) font partie des populations à risque face à l'épidémie. Cette pathologie qui se caractérise par une obstruction permanente des voies aériennes, est un facteur aggravant pendant l'épidémie. 700.000 personnes en France en souffrent.

France BPCO a prévenu le ministre de la Santé Olivier Véran via un courrier : "Le Covid-19 fera en priorité des dégâts chez les BPCO tout simplement parce qu’un déficient respiratoire est la première victime affectée par une maladie respiratoire".


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Source : Merci au professeur Bertrand Dautzenberg et Marie-Caroline Lafay
Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 in China, NEJM, 28 février 2020