Pénurie de médicaments : un risque d’atteinte aux droits des femmes

Publié par Sophie Raffin
le 10/06/2020
Maj le
5 minutes
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Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a lancé une mise en garde. Les tensions d’approvisionnement sont fortes sur les médicaments destinés à la santé sexuelle des femmes et la contraception. Il s’inquiète particulièrement pour deux médicaments utilisées pour les IVG médicamenteux.

Pendant le confinement, l’état avait mis en place des mesures pour que le "droit des femmes à disposer de leur corps ne soit pas remis en cause". Le dispositif pour freiner la propagation du coronavirus a été levé, mais les Françaises risquent toujours de voir leurs droits sexuels et reproductifs atteints, selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE).

Pénurie de médicament : les femmes sont particulièrement touchées

Dans sa mise en garde publiée le 27 mai 2020, le HCE explique “la crise Covid-19 a montré à quel point l’autonomie nationale, voire européenne, pour les médicaments était importante. Des médicaments, indispensables aux traitements des patient.es, ont été en rupture, mettant en jeu leur vie”. L’instance consultative met surtout en avant “Cette pénurie touche tout particulièrement les hormones féminines, mettant en péril la santé sexuelle des femmes et la maîtrise de leur fécondité”.

Toutefois, ces difficultés d’accès aux molécules utiles pour la santé de la gent féminine ne sont pas apparues en raison de la baisse de production pendant l’épidémie de Coronavirus. L’organisme créé en 2013 rappelle "cette crise est ancienne et les hormones féminines ont connu, dans les dernières années, des interruptions de production et de commercialisation très fréquentes". Par exemple, des pilules contraceptives courantes comme le Minidril, Adépal, Trinordiol ont été en rupture de stock pendant au moins six mois. De plus, des œstrogènes locaux n’ont pas été accessibles pendant un an. Certains sont d’ailleurs encore en rupture de fabrication.

Face au risque de pénurie de molécules essentielles pour la contraception ou les troubles féminins comme les bouffées de chaleur, le HCE rappelle aux pouvoirs publics l’importance de “s’organiser pour mieux contrôler et gérer la production et la commercialisation des médicaments nécessaires pour assurer la santé sexuelle des femmes et la maîtrise de leur fécondité”. Elle rappelle "la loi de financement de la Sécurité sociale (ndlr 2020) a introduit l’obligation de disposer d’un stock de sécurité de médicaments de quatre mois, disponible sur le territoire européen" et pointe du doigt "ces dispositions ne seront effectives qu’à partir du 30 juin 2020 et devront faire l’objet d’une grande vigilance".

Pénurie de médicament : la problématique des IVG

La problématique des potentiels manques de médicaments est particulièrement forte pour deux d’entre eux utilisés pour les avortements médicamenteux : le Mifépristone (« Mifégyne ») et le Misoprostol (« Cytotec »).
En plus des traditionnelles questions économiques, les productions de ces molécules peuvent être perturbées par les interventions des mouvements anti-IVG. Le HCE remarque que le Mifépristone et le Misoprostol sont commercialisés par le même groupe pharmaceutique. "La production des médicaments utilisés pour les IVG médicamenteuses est dans les mains d’un seul producteur, le groupe Nordic Pharma, avec des risques de rupture de production et d’approvisionnement et de pression sur les prix", déplore le HCE.

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Le HCE recommande ainsi "d’exercer un vrai contrôle sur ces produits, d’avoir des stocks d’au moins quatre mois pour les produits indispensables, de relocaliser la fabrication en Europe et en France et de garantir la production des médicaments non rentables en les nationalisant”.

Tension d’approvisionnement des médicaments : un problème récurrent en France

Tension d’approvisionnement des médicaments : un problème récurrent en France

La France a connu plusieurs périodes ont les stocks de médicaments ne suffisaient pas à répondre à la demande. En mai 2018, Agnès Buzyn - alors ministre de la Santé - avait reconnu "plus d’un Français sur quatre affirme aujourd’hui avoir été en difficulté pour acheter un médicament courant. Entre 2008 et 2018, c’est près de vingt fois plus de pénuries signalées”. Et, la situation ne s’est pas arrangée. Selon l’Alliance européenne de santé publique, 1 450 cas d’indisponibilité de médicaments ont été constatés dans l’Hexagone en 2019, contre 868 en 2018 et 44 cas de 2008.

Pour le HCE, "les causes de ces ruptures de commercialisation sont essentiellement liées aux délocalisations dans les pays à bas-coût de main d’œuvre et à faible respect des normes environnementales, à des mises en concurrence entre entreprises de production et à des mesures d’économie décidées par les États. Entre 60 et 80% des médicaments, commercialisés en France et en Europe, sont fabriqués en Inde et en Chine".

En plus des hormones féminines de synthèse, plusieurs classes thérapeutiques sont touchées par ce phénomène de pénurie. L’Agence nationale de sécurité du médicament avait rapporté en mai 2019 de fortes tensions d’approvisionnement sur les corticoïdes, les anti-infectieux (dont les antibiotiques et les vaccins), les produits d’anesthésie (curares, anesthésiques locaux pour la péridurale, antalgiques…) et les médicaments liés au système nerveux et antiparkinsoniens. Les antihypertenseurs et les anticancéreux sont aussi touchés par la pénurie.

Pénurie de médicament : quels sont les risques ?

Pénurie de médicament : quels sont les risques ?

Pour l'Ordre national des pharmaciens, on peut parler de rupture d'approvisionnement de médicament "lorsqu'une pharmacie d'officine ou une pharmacie d'un établissement de santé est dans l'incapacité de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures".

Le HCE relève 3 conséquences dangereuses pour la santé découlant de la délocalisation des productions des médicaments hors de l’Europe : 

  • des problèmes de fabrication liés au manque de matières premières, au non-respect des bonnes pratiques de fabrication : cela peut entraîner des rappels de médicaments, à “des catastrophes imprévues interrompant la production ou l’approvisionnement de certains produits, ou encore à l’inefficacité des moyens logistiques” ;
  • des décisions commerciales des responsables de la mise sur le marché des produits sans lien avec l’intérêt sanitaire “mais inspirées par des considérations économiques comme le manque de bénéfice en raison d’une insuffisance de produits vendus”. Elle craint par exemple l’abandon d’un marché national, la cessation complète de la production d’un produit particulier ou la fermeture d’un site de fabrication, “rendant impossible d’affronter une hausse imprévue de la demande et de se livrer à une bonne estimation des besoins” ;
  • des risques importants sur la santé en termes de rupture de traitement, d’absence de vaccination ou de qualité.

Sources

Pénurie de médicaments : un risque d’atteinte aux droits sexuels et reproductifs des femmes, HCE, 27 mai 2020

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