Lymphœdème post-cancer : "J’avais l’impression d’avoir des ballons de baudruche remplis d’eau à la place des jambes"

Publié par Laurène Levy
le 31/10/2018
Maj le
8 minutes
E-sante.fr
Eléonore Piot est présidente et fondatrice de l’association Lympho’sport. Elle souffre d’un lymphœdème des membres inférieurs qui s’est déclaré après le traitement de son cancer du col de l’utérus, en 2010. Elle témoigne de son parcours depuis l’apparition de cette maladie chronique.

Vous souffrez d’un lymphœdème secondaire post cancer, pouvez-vous nous expliquer dans quelles circonstances cette maladie est-elle apparue ?

Eléonore Piot : En 2010, j’ai eu un cancer du col de l’utérus. J’avais alors 36 ans et j’ai reçu différents traitements dont une curiethérapie (une technique de radiothérapie locale, ndlr) puis une chirurgie avec hystérectomie totale : les médecins m’ont retiré les trompes, l’utérus et les ovaires, plus les chaines ganglionnaires au niveau de l’aine, du côté droit et du côté gauche. Mon lymphœdème s’est déclaré très vite, quelques jours seulement après la chirurgie. Le lymphœdème correspond à un dysfonctionnement du système lymphatique : la lymphe stagne sous la peau, ce qui entraîne un gonflement chronique d’une partie du corps. Les lymphœdèmes secondaires post-cancer surviennent généralement après un curage ganglionnaire et une radiothérapie au niveau des bras pour les cancers du sein et au niveau des jambes pour les cancers génitaux et gynécologiques.

Dans mon cas, le gonflement a tout d’abord eu lieu au niveau des deux jambes, puis il s’est restreint à la jambe droite uniquement. Il a démarré à la fesse et à la cuisse puis s’est propagé vers les parties distales, atteignant désormais la crête du tibia, la cheville et les organes génitaux à savoir les grandes lèvres et le pubis. Toute cette partie de mon corps est engorgée de liquide lymphatique.
Cela s’est produit parce que mon système lymphatique avait été affaibli par la radiothérapie agressive et que la zone des jambes et des parties génitales a été coupée de la circulation lymphatique lorsque mes ganglions inguinaux ont été retirés.

Comment avez-vous réagi lorsque ce lymphœdème s’est déclaré ?

Eléonore Piot : J’avais été rapidement informée par les médecins de ce risque mais je n’avais pas forcément voulu entendre de quoi il s’agissait. Les oncologues sont là pour vous sauver la vie et parlent plus du traitement que de leurs possibles effets secondaires, ce que je comprends. Personnellement, les premiers symptômes sont apparus alors que j’étais dans ma chambre d’hôpital. J’ai voulu mettre mon pantalon et je me suis rendue compte qu’il était trop serré. Il m’était impossible de le monter jusqu’en haut et encore moins de le fermer, j’avais l’impression d’avoir des ballons de baudruche remplis d’eau au niveau des jambes, d’être engorgée. Effectivement, mes jambes étaient méconnaissables. Je pesais 47 kg au moment de mon cancer, j’ai des jambes très affutées car j’ai toujours été très sportive et à ce moment-là j’ai vu la différence : on ne distinguait plus aucun relief sur mes jambes.

"Le plus difficile est d'arriver à prendre du recul sur la pathologie, notamment pendant les périodes d'aggravation."

Lymphœdème post-cancer : alt::<strong>Comment avez-vous réagi lorsque ce lymphœdème s’est déclaré ?</strong>

Quelle prise en charge et quels traitements avez-vous reçu après la survenue de votre lymphœdème ?

Eléonore Piot : Je devais d’abord subir une deuxième opération – un autre curage ganglionnaire thoracique – donc la prise en charge de mon lymphœdème n’a pas été immédiate. Néanmoins, j’ai tout de suite porté des bas de compression pour limiter le gonflement. Puis, trois ou quatre mois plus tard, j’ai commencé les séances de drainage lymphatique mais très peu de professionnels y sont formés et les techniques ne conviennent pas à toutes les patientes. Malgré le drainage, la zone de mon lymphœdème a développé des fibroses, ma peau s’est transformée et ma jambe est devenue plus dure.

Puis, pour limiter le lymphœdème, j’ai participé à un programme d’éducation thérapeutique au cours duquel j’ai appris à mieux comprendre et à mieux gérer cette maladie chronique. Un an plus tard, j’ai réalisé une cure thermale dans un centre spécialisé situé dans les Pyrénées. J’ai pu mettre en pratique ce que j’avais appris lors du programme d’éducation thérapeutique : monter un bandage, réaliser un auto-drainage, vider les ganglions engorgés, autant de gestes qui s’accompagnent d’un suivi chez un·e kinésithérapeute.

En parallèle, j’ai pratiqué des activités physiques adaptées car il est primordial de bouger, de mobiliser le membre concerné, de bien respirer mais aussi d’éviter de prendre du poids.
Le plus difficile est d’arriver à prendre du recul par rapport à la pathologie, notamment pendant les périodes d’aggravation qui sont très difficiles à vivre. Celles-ci surviennent lorsqu’il y a une infection de la zone gonflée ce qui aggrave le lymphœdème. En huit ans, j’en ai déjà subi au moins une quinzaine, qui riment toujours avec un traitement antibiotique de 15 jours, 40°C de fièvre, une jambe rouge, brûlante et plus grosse. Et à chaque fois, cela endommage encore un peu plus le circuit lymphatique.

Vous parlez d’activité physique, quel est le rôle du sport dans la prise en charge du lymphœdème ?

Eléonore Piot : La pratique d’un sport est fondamentale car moins on a de graisse, plus le lymphœdème est contenu. Je me suis particulièrement investie dans ce domaine : j’ai obtenu un diplôme d’éducatrice médico-sportive en cancérologie et j’ai fondé l’association Lympho’sport dont je suis la présidente. Le but de cette association est à la fois d’informer et d’accompagner les personnes qui souffrent d’un lymphœdème et les professionnels de santé qui les suivent grâce à des interventions, des formations et des conférences.
L’association Lympho’sport aide chaque personne atteinte d’un lymphœdème à se rendre compte qu’il est nécessaire de bouger et qu’aucune activité physique n’est interdite à condition de bien s’y préparer, de progresser à son rythme, par paliers et d’être bien encadré. Canoë, aviron, vélo, course à pieds, trail, pilates, yoga, longe-côte, aquagym, marche nordique… l’essentiel est de se faire plaisir. Et si le sport peut occasionner un gonflement, celui-ci diminuera le lendemain. Pour limiter ce gonflement, il faudra réaliser l’activité physique en portant son manchon ou son bas de compression.
Enfin, je souhaiterais rajouter qu’avant toute chose et avant toute reprise d’activité physique et sportive il est important d’en discuter avec son médecin est avec son kinésithérapeute qui orientera sur la bonne activité adaptée à chaque cas.

"Rien n’est impossible ni interdit, même avec une pathologie comme la mienne"

Aujourd’hui, comment votre lymphœdème impacte-t-il votre vie personnelle ?

Eléonore Piot : Je suis actuellement en invalidité partielle. J’ai passé un diplôme d’éducateur médico-sportive mais je suis limitée car je ne peux pas rester très longtemps debout sans souffrir. Ce ne sera pas forcément le cas pour tous les lymphœdèmes, les réactions sont propres à chaque situation et à chaque personne. Personnellement, j’ai mal en continu dès le milieu de la journée. Cette douleur est liée aux bas de compressions que je porte mais sans eux, ma jambe gonfle.

J’ai dû modifier mes habitudes de vie, mes loisirs. Par exemple, je suis férue de mode mais faire la queue, piétiner aux ventes et aux événements, c’est fatidique ! Ma jambe double de volume, malgré le bas de compression, même quand je porte deux bas superposés et une culotte gainante avec de la mousse à l’intérieur.

J’ai également dû revoir ma garde-robe : j’avais des sandales d’été, des chaussures à talons aiguille, des jupes courtes… je les ai toutes revendues car je ne peux plus les porter.
En parallèle, je dois constamment faire attention à ne pas prendre de poids car cela aggrave les symptômes. Ma vie sociale aussi a été perturbée. Si je sors le soir et que je danse, ma jambe gonfle. Lorsque je vais au musée avec mon fils, on piétine et je dois réaliser un bandage. À la piscine, à la plage, le lymphœdème représente une gêne et se montrer en public est compliqué. Dans toutes ces situations, le regard des autres est difficile à accepter même si, au final, c’est surtout notre propre regard qui est difficile à gérer.

Forcément, un lymphœdème qui touche les jambes et les parties génitales impacte la vie sexuelle. Cela concerne aussi bien les femmes après un cancer gynécologique que les hommes après un cancer des testicules ou de la prostate. Apprendre à se montrer ainsi à son ou sa conjoint·e constitue une véritable épreuve.

Et, au final, le ou la conjoint·e, la famille, les aidants… tous sont impactés par la maladie.
Mais rien n’est impossible ni interdit, même avec une pathologie comme la mienne. Il faut juste contrebalancer les bénéfices et les risques et il est important de garder du plaisir dans les choses du quotidien.

"Il ne faut laisser au lymphoedème aucune occasion de gagner du terrain."

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui déclare un lymphœdème secondaire ?

Eléonore Piot : Mon premier conseil est de se rendre dans un service spécialisé en lymphologie. En France, nous disposons d’excellents professionnels qu’il faut absolument consulter. Je pense notamment à l’Hôpital Cognacq-Jay dans le 15e arrondissement de Paris et l’Hôpital Saint-Eloi à Montpellier. Il faut également se renseigner sur la maladie pour ne pas rester dans l’ignorance, sans savoir de quoi on souffre : pensez à vous tourner vers les associations de patients, comme l’AVML (Association Vivre Mieux le Lymphœdème).

Ensuite, rendez-vous chez votre médecin et demandez-lui une prescription de séances de rééducation et de drainage lymphatique.
En parallèle, surveillez toujours l’état de votre jambe ou de votre bras affecté par le lymphœdème, surveillez votre poids, trouvez l’activité physique qui vous convient et pratiquez-la régulièrement.
Un autre point crucial est de porter un manchon ou un bas de compression prescrit par le médecin et d’alterner ce port avec celui de bandage.

Enfin, le lymphœdème est une pathologie irréversible et donc chronique. À ce titre, il peut être reconnu en affection de longue durée (ALD). Il n’existe pas d’ALD spécifique pour un lymphœdème mais lorsqu’il est consécutif à un cancer, le lymphœdème s’inscrit dans l’ALD du cancer lui-même. Dans ce cas, les bas ou le manchon de compression et les séances de kinésithérapie sont totalement pris en charge, mais les bandages et les vêtements adaptés au lymphœdème restent à la charge du ou de la patient·e. Le problème est de faire reconnaître cette affection lorsque le lymphœdème se déclenche 10, 15 voire 20 ans après le traitement du cancer.

Dans tous les cas, il faut prendre soin de sa jambe ou de son bras en réalisant des soins de la peau pour éviter toute aggravation, en l’hydratant suffisamment et en ne laissant aucune blessure sans soin pour ne laisser aux infections aucune porte d’entrée et au lymphœdème aucune occasion de gagner du terrain.

Sources

Merci à Eléonore Piot, diplômée d’un Master 2 d’éducation thérapeutique du patient, fondatrice et présidente de l’association Lympho’sport, pour son témoignage. 

Association Lympho’sport 

Association Vivre Mieux Le Lymphoedème (AVML) 

Fiche Lymphœdème. Institut national du cancer (Inca) 

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