Cancer du sein : "J’ai senti une petite boule, comme un caillou dans mon sein"

Publié par Laurène Levy
le 20/11/2018
Maj le
10 minutes
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Après deux cancers du sein à 38 puis à 55 ans et une double mastectomie, Nadine, aujourd’hui âgée de 64 ans, nous confie son témoignage. Diagnostic, chirurgie, traitement, peur de la récidive… Elle nous raconte comment elle a surmonté par deux fois l’épreuve de la maladie.

E-santé : Vous avez souffert d’un premier cancer du sein à l’âge de 38 ans, dans quelles circonstances est-il survenu ?
Nadine : Depuis l’âge de 18 ans, j’avais des petites boules dans les seins. À l’époque j’avais réalisé une mammographie à l’Institut Curie et rien de grave n’avait été détecté. Puis, à 22 et à 26 ans, j’ai subi deux opérations pour ôter des micro-calcifications mammaires* qui n’étaient alors pas source d’inquiétude particulière.
J’ai ensuite eu trois enfants et, avec les grossesses et les allaitements, l’allure de mes seins a été modifiée à plusieurs reprises et je présentais toujours quelques grosseurs, sans inquiétude selon les médecins.

Mais trois ans après la naissance de ma troisième fille, lors d’une visite chez mon gynécologue, celui-ci me propose de passer une échographie mammaire en couleur, une nouveauté cette année-là, en 1992, pour s’assurer que tout va bien. Problème : l’image apparaît très vascularisée, l’échographe n’aime pas du tout ce qu’il voit et m’explique que les cancers sont toujours très vascularisés, même si une zone vascularisée ne correspond pas forcément à un cancer.

La biopsie directe par prélèvement n’était pas envisageable et j’ai donc été opérée du sein en mars 1992 à l’hôpital Saint-Louis à Paris. La partie du sein qui a été ôtée a été analysée en 15 jours. Je suis alors retournée voir le professeur qui m’avait opérée et j’ai compris que quelque chose n’allait pas : il était très désagréable, n’osait pas me parler, aurait voulu que je vois le gynécologue avant mais a fini par me dire qu’il y avait un souci et qu’il fallait réopérer pour enlever le sein en entier. Le lendemain, j’ai consulté mon gynécologue qui m’a dit : "vous n'avez que 38 ans, il vaut mieux prendre toutes les précautions possibles et procéder à une mastectomie".

J'ai décidé de me faire enlever le deuxième sein

E-santé : Comment s’est déroulée cette opération et quels traitements ont ensuite été mis en place ?

Nadine : Cette opération était plus lourde, plus douloureuse que la première opération. Le professeur qui m’opérait à nouveau était toujours aussi désagréable et fermé à tout dialogue. Il ne répondait pas à mes questions et paraissait très mal à l’aise.

Comme j’étais très jeune pour avoir un cancer du sein, les médecins ont envisagé plusieurs traitements : chimiothérapie, ablation de l’utérus (hystérectomie, ndlr) préventive, radiothérapie… Grâce à une expérience professionnelle précédente, j’avais rencontré le professeur en oncologie Claude Jasmin et suis donc allée le consulter. Il était très humain et m’a conseillé une chimiothérapie, que j’ai suivie pendant neuf mois. Je ne comprenais pas bien car je me disais qu’on m’avait enlevé un sein et que je ne risquais donc plus rien.

Les médecins ont aussi beaucoup hésité pour procéder ou non à une ablation de l’utérus. J’étais jeune et ce traitement était radical et irréversible, le risque était que je me retrouve amorphe et déprimée au fond du lit, ce qui nous rebutait mes médecins et moi. Puis, en 1993, une mammographie du deuxième sein a révélé la présence de nouvelles micro-calcifications. J’ai donc décidé de me faire enlever le deuxième sein pour diminuer le risque de récidive mais de conserver mon utérus. Et trois mois plus tard, je me suis fait poser des prothèses mammaires.

À ce moment-là, j’ai plus pensé à ma survie qu’à l’esthétique

E-santé : comment avez-vous vécu votre double mastectomie ?
Nadine : Le plus dur a été l’ablation du premier sein car cela créait un gros déséquilibre avec l’autre côté, c’était un vrai choc. D’autant que cette première mastectomie s’accompagnait du souci de la maladie. Mes filles étaient alors âgées de quatre, sept et 10 ans et je me suis dit que je ne pouvais pas me permettre de disparaître maintenant. À ce moment-là, j’ai plus pensé à ma survie qu’à l’esthétique.

Je m’étais même dit que je pourrais garder des seins plats, que cela ne changerait pas grand-chose car je n’avais naturellement pas une forte poitrine. Mais sans sein, je me suis rendue compte qu’on voyait beaucoup plus son ventre ! Et surtout, je ne voulais pas que mon corps paraisse bizarre pour mes filles. Même si elles connaissaient ma maladie, ce doit être très dur d’avoir une maman sans sein. J’ai donc opté pour la pose de prothèses en sérum physiologique pour que mon image soit plus supportable aux yeux des autres et pour conserver une image de féminité notamment aux yeux de mes filles.

*Les micro-calcifications sont des dépôts de calcium qui peuvent témoigner d’une activité accrue de certaines cellules du sein et peuvent donc faire suspecter un cancer du sein.

E-santé : Après ce premier cancer, quel a été votre suivi médical ?
Nadine : Pendant 12 ans, j’ai bénéficié d’un suivi tous les six mois à l’hôpital Paul Brousse à Villejuif avec le professeur Jasmin. Echographie mammaire, échographie pelvienne, scanner mais aussi scintigraphie osseuse pour déceler d’éventuelles métastases aux os. Car le plus grand danger dans le cancer du sein n’est pas le cancer en lui-même mais ses métastases, qui se logent le plus souvent au niveau des os, du foie, du poumon ou du cerveau.

J’ai obtenu une prise en charge à 100% pendant cinq ans qui a été renouvelée pendant cinq autres années. Le médecin conseil de la sécurité sociale chargé des renouvellements des affections longues durées m’avait alors dit : "c’est la dernière fois que je vous renouvelle car dans cinq ans soit vous serez guérie, soit vous ne serez plus là". J’ai été déclarée en rémission au bout de cinq ans, mais on ne parle pas de guérison pour les cancers. Il faut toujours être vigilant, même si on a l’impression de s’être débarrassé de toutes les causes du cancer. Puis je suis passée à un rythme d’une échographie mammaire par an "seulement". Je réalisais en parallèle et régulièrement des échographies abdominales et pelviennes, mais plus de mammographies car les prothèses mammaires les rendent illisibles.

17 ans après, j'ai préféré penser qu'il s'agissait d'un problème de prothèse

E-santé : La surveillance s’est donc poursuivie, jusqu’à la détection d’un nouveau cancer, 17 ans plus tard. Racontez-nous cette seconde épreuve.
Nadine : Effectivement, en mai 2009, soit 17 ans après mon premier cancer, j’ai ressenti une douleur sur le côté du sein. J’ai passé la main et j’ai alors senti une petite boule, comme un caillou. J’avais passé une échographie mammaire six mois auparavant et tout allait bien : je n’ai donc pas voulu penser à une récidive. Au contraire, j’ai préféré penser qu’il s’agissait d’un problème de prothèse. J’ai consulté mon gynécologue qui m’a prescrit une échographie mammaire et malheureusement, une tâche indiquait clairement qu’il y avait un problème qui n’avait rien à voir avec la prothèse. Une biopsie a confirmé ce que l’on redoutait : la présence de cellules cancéreuses.

Le sein touché par ce second cancer était le même que 17 ans auparavant mais le type de cancer, lui, différait. Le premier cancer était un adénocarcinome canalaire infiltrant de grade 2 alors que le second était un adénocarcinome lobulaire infiltrant de grade 1. Les médecins ne se sont jamais prononcés pour dire s’il s’agissait d’une récidive ou d’un deuxième cancer, je pense que c’est impossible à savoir.

J'étais plus âgée, je n'avais pas les mêmes angoisses vitales

E-santé : Comment avez-vous réagi à l’annonce de ce deuxième cancer ?
Nadine : Cela ne m’a pas enchanté, c’est le moins que l’on puisse dire ! Mais je me suis dit que je m’en étais bien sortie au premier et qu’il n’y avait donc pas de raison que je ne m’en sorte pas au deuxième. Et puis j’étais plus âgée, mes filles étaient plus grandes, je n’avais pas les mêmes angoisses vitales. J’étais tout de même décontenancée car j’avais fait le choix difficile de me faire enlever les deux seins et je me suis rendue compte qu’il suffisait qu’une seule cellule mammaire persiste pour que le cancer se développe. Mais si je n’avais pas fait de double mastectomie, le deuxième cancer se serait peut-être développé plus tôt ou de façon plus agressive.

E-santé : Quels traitements avez-vous alors reçus ?
Nadine : J’ai tout d’abord reçu une opération chirurgicale avec préservation de la prothèse mammaire. Le chirurgien a retiré les cellules cancéreuses puis a rattaché la prothèse à l’aide de clips. J’ai ensuite subi des séances de radiothérapie pour éviter une récidive et une hormonothérapie à base d’Arimidex® qui devait durer cinq ans.

J’ai bien supporté ce traitement au début, même s’il me donnait de grosses bouffées de chaleur et une intense fatigue. Puis au bout de quatre ans de traitement, un matin, je n’ai pas pu me lever tellement je souffrais. Des douleurs osseuses vives à en pleurer affectaient tout mon corps, à un tel point que j’ai immédiatement téléphoné à la clinique qui me suivait car j’avais peur d’avoir un cancer des os. Ils m’ont dit d’arrêter l’hormonothérapie pendant trois semaines et de voir si les douleurs disparaissaient. J’ai donc stoppé le traitement, et mon état s’est amélioré de jour en jour.

Le cancérologue n’a pas voulu que je stoppe totalement l’hormonothérapie et m’a mise sous Tamoxifène®. J’ai alors eu des maux de ventre à hurler, semblables aux contractions qui précèdent un accouchement. L’échographie pelvienne ne les expliquait pas. J’ai donc tout arrêté et le gynécologue m’a fait à nouveau passer une échographie. Le problème était que l’endomètre était très épais et empêchait donc de voir ce qu’il se passait dans l’utérus. C'est pourquoi j'ai passé une hystérographie qui a permis de déceler la présence d’énormes fibromes. Ces structures expliquaient les grosses douleurs et, associées à la prise de Tamoxifène®, elles représentaient un risque d’hémorragie. Les fibromes ont été retirés et j’ai décidé d’arrêter le traitement, même si les nouvelles recommandations internationales venaient de passer de cinq à 10 ans d’hormonothérapie.

Neuf ans se sont écoulés depuis mon second cancer

E-santé : Aujourd’hui, pensez-vous encore régulièrement au risque de récidive ?
Nadine : La crainte de la récidive est surtout présente les cinq premières années : 25% des femmes qui récidivent ont une deuxième récidive dans les cinq ans. Neuf ans se sont désormais écoulés depuis mon deuxième cancer. Je suis suivie tous les ans par mon gynécologue notamment en effectuant des échographies mammaires et pelviennes. Mais je ne pense pas au risque de récidive. J’ai fêté mes 60 ans il y a quelques années avec un grand bonheur, en me disant que j’avais beaucoup de chance d’être arrivée jusque-là en relativement bonne santé. Je pense que mes cancers m’ont apporté de la sérénité et m’ont aidée à me rendre compte des petits bonheurs du quotidien. Mais je suis bien consciente que toutes les femmes qui ont un cancer du sein n’ont pas ma chance, il ne se passe quasiment pas un an sans que quelqu’un autour de moi ne décède de ce cancer.
Côté hygiène de vie, j’ai consulté un psychologue qui m’a aidé à accepter la situation, je pratique de la gymnastique avec une kinésithérapeute Mézières, ce qui me permet de travailler ma respiration et mon lâcher-prise. Je me surveille, je fais attention à moi et à mes apports vitaminiques, je ne mange plus que des aliments bio et je suis devenue quasiment végétarienne.

Si on n'a pas l'envie de vivre, on ne gagne jamais

E-santé : Après deux cancers du sein, quels conseils donneriez-vous à une femme qui apprend qu’elle souffre de cette maladie ?
Nadine : Mon premier conseil est avant tout de garder espoir. C’est peut-être un peu facile car je suis du "bon côté", mes cancers n’ont pas été trop violents. Mais je pense qu’il est primordial de toujours garder à l’esprit les bons côtés de la vie et l’envie de vivre. On ne gagne pas toujours si on a cette envie mais si on ne l’a pas, on ne gagne jamais.
Et puis, en prévention, il faut bien évidemment penser à la palpation pour se surveiller régulièrement et dès qu’il y a un doute, consulter sans hésiter.

Sources

Merci à Nadine pour son témoignage sur ses deux cancers du sein.

Le cancer du sein : points clés. Institut national du cancer, octobre 2013

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