Devoir conjugal ou viol conjugal ?

Le devoir conjugal et la soumission féminine ont vécu. Depuis sa reconnaissance par une jurisprudence de la Cour de cassation en 1990, le viol entre époux est enfin reconnu et le consentement à la sexualité doit être exprimé. Ou le refus respecté... Les chiffres alarmants révélés par certaines enquêtes, qui estiment jusqu'à 50% le pourcentage de femmes ayant subi un ou plusieurs viols dans leur vie maritale, montrent cependant avec quelle circonspection il faut manier ces nouvelles infractions. Le point avec le Dr Paul Bensussan*.
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Docteur Bensussan, qu'entend-on par " viol conjugal " ? Quelle est la réalité et que prévoit la loi française ?

Le viol conjugal n'est pas à proprement parler défini par la loi.

Depuis la réforme de 1980, la loi française a donné une définition précise du viol, qui est un crime passible de quinze ans de réclusion criminelle. L'article L 222-23 dispose que : " Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol ".

En étendant ce crime aux époux dans une jurisprudence de 1990, le législateur s'est simplement opposé au postulat de la soumission d'une épouse au désir de son conjoint, au nom du sacro-saint mais archaïque " devoir conjugal ". Dans une décision du 11 juin 1992, la Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence en affirmant clairement que " la présomption de consentement des époux aux actes sexuels ne vaut que jusqu'à preuve contraire ".

Être marié ne peut plus signifier le pouvoir de disposer du corps de l'autre, ne pas tenir compte de son désir ou de son refus.

Le consentement s'impose donc toujours, même au sein du couple. Ce point de vue est d'ailleurs celui adopté par la Cour européenne des droits de l'homme (1). Ce qui, hier encore, était loin d'être une évidence.

Depuis la loi du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple, le viol d'une épouse est d'ailleurs plus sévèrement puni que celui d'une inconnue. Prenant à contre-pied la pratique des tribunaux pour lesquels le statut de conjoint entraînait implicitement une forme d'indulgence - en termes juridiques, une atténuation de responsabilité - cette loi a qualifié de circonstance aggravante le fait que le viol est commis par le conjoint. Cela va sans dire : la règle vaut pour les concubins et les couples pacsés. Il est désormais beaucoup plus grave, au moins sous l'angle de la loi et au regard des peines encourues, d'être violée par son conjoint que par un inconnu dans une ruelle obscure. Très concrètement, c'est une peine de 20 années de réclusion criminelle qui menace le mari brutal ou égocentrique au lieu des 15 années pour un violeur inconnu de sa victime. La notion de dégoût, si importante en sexologie, est lisible en filigrane dans l'intention du législateur : " Car, en définitive, qui le sait ? Bien trop de gens sont persuadés que tout est permis au sein du couple, y compris l'indicible " (2).

Vous semblez critique vis-à-vis de cette évolution, qui semble pourtant le reflet d'un progrès social : pour quelle(s) raison(s) ?

Depuis 1980, le législateur a pensé bien faire en introduisant comme critère discriminant majeur, pour qualifier le viol, la notion de consentement. Cette notion s'étend au couple, pour lequel : " la présomption de consentement des époux aux actes sexuels ne vaut que jusqu'à preuve contraire ".

Mais le consentement à la sexualité est-il si facile à apprécier ? Qu'est-ce que " consentir " lorsque l'on n'aime plus, que l'on ne désire plus, que l'on se dispute quotidiennement ? Devrait-on, comme le proposent les féministes les plus radicales, considérer tout rapport sexuel non désiré comme un viol ? Comment qualifier l'insistance d'un homme qui parvient à extorquer sans violence, mais avec insistance, une relation sexuelle dont son épouse n'éprouve plus le désir ? Certes, nous dit le récent rapport d’enquête : « Céder n’est pas consentir ». Cela signifie-t-il que tout rapport sexuel non désiré soit considéré comme un viol ? Je ne le crois pas… pour trop bien connaître, en tant que psychiatre, la réalité de la sexualité parfois pathétique des couples en fin de vie.

En y réfléchissant, combien de couples se sont-ils séparés sans dégradation de leur sexualité ? N'est-il pas fréquent que des rapports subis sans désir ni plaisir abîment, davantage encore, une relation que l’amour a déserté ? Lorsqu'on sait que selon les enquêtes, la proportion de femmes à travers le monde disant avoir été victimes de viol conjugal varie de 7% à 50%, on voit que les mots perdent véritablement leur sens. Le rapport de l’ENVEFF, publié en 2000, nous apprenait ainsi que « Pour les femmes, aucun lieu n’est sûr : l’endroit le plus dangereux pour une femme en couple est son propre foyer ». Une telle ineptie ne peut être énoncée que grâce à la confusion entre l’absence de désir et le viol.

De sorte que je m'interroge de plus en plus sur la pertinence du terme de viol pour désigner des agressions aussi différentes que le viol par un inconnu (qui entraîne, avant tout, une angoisse de mort et un syndrome de stress post-traumatique) et une sexualité subie, parfois à l’échelle d’une vie conjugale, par l’épouse d’un mari aveugle ou égocentrique. Faut-il le préciser ? Il ne s’agit évidemment pas de banaliser cette situation pathétique, avilissante pour les deux partenaires : mais de comprendre qu’une sexualité pathétique, voire misérable, ne peut être assimilée aux relations sexuelles extorquées par la contrainte ou la menace dans un cadre conjugal. Misère sexuelle dans un cas, viol conjugal dans l’autre : faudrait-il renoncer à établir cette différence ?

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