Maladie de peau : et si c’était une dépression ?

La peau, miroir de nos émotions
« A 80 ans, mon père a développé un psoriasis qui a résisté à tous les traitements, raconte Christine. Il souffrait énormément de solitude et redoutait la mort. Je crois que sa maladie de peau témoignait de sa déprime et de son angoisse comme si, inconsciemment, il voulait attirer l’attention pour que l’on s’occupe de lui ». La peau, miroir de l’âme ? Incontestablement. Elle est même le reflet direct de nos émotions. On l’a tous expérimenté : il suffit d’avoir un rendez-vous important, un entretien d’embauche, une mauvaise nouvelle, un stress... pour se mettre à rougir, pâlir, transpirer. Certains plus que d’autres car « ils ont un système de régulation des tensions moins efficace », affirme le Pr Philippe Humbert, chef du service de dermatologie au CHU de Besançon.
Le stress aggrave les affections de la peau
Ces réactions sont inconfortables mais sans gravité. En revanche, il arrive que le stress s’affiche plus durablement sur le corps. « C’est vrai pour toutes les maladies de peau », souligne Philippe Humbert. Et la liste est longue : acné, eczéma, psoriasis, pelade, urticaire, dermite séborrhéique, rosacée, plaques, démangeaisons, éruptions... rien n’échappe à nos remous intérieurs.
« Le stress tout seul n’est pas la cause mais il exacerbe ou aggrave une pathologie cutanée déjà présente ou sous-jacente. Le fait de manger une seule fraise peut déclencher une dermatite atopique chez une personne allergique à ce fruit si elle est stressée alors que, habituellement, cette réaction survient quand elle en mange trois », explique le spécialiste.
Maladie de peau : il faut déjà rechercher une souffrance morale
Encore plus que le stress, les états dépressifs liés à des événements douloureux de la vie (séparation, deuil, licenciement, traumatismes...) sont des facteurs de risques importants. Ils sont même extrêmement fréquents. Un patient sur trois, voire un sur deux, serait concerné. Pour autant, cette souffrance morale passe à la trappe la plupart du temps.
Pr Humbert : « Le patient ne vient jamais vous voir en disant “j’ai un eczéma parce que je suis déprimé”. Au contraire, il use de plein d’artifices pour faire comme s’il allait bien. Si le médecin ne cherche pas, il ne trouve pas. Mais quand vous voyez un malade avec un urticaire qui n’est pas guéri depuis des années avec un antihistaminique, il faut chercher autre chose et c’est souvent du côté de la dépression que ça se niche. Si elle est prise en charge, il y a toutes les chances que l’urticaire disparaisse ».
Parfois, les patients s’effondrent
Difficile de faire parler ses patients et de les écouter quand la consultation ne dure que quelques minutes, ce qui est souvent la règle.
Celle de Philippe Humbert dure 40 minutes : « Il faut du temps pour se préoccuper de la douleur de nos patients et faire le bon diagnostic. Mais quand je les questionne sur leur vie, très vite, ils s’effondrent, certains pleurent tellement ils en ont gros sur le cœur. Bien sûr, il faut faire un examen clinique approfondi de la peau, rechercher des carences, la prise de médicaments, etc., mais souvent il ne sert à rien de regarder un cuir chevelu en détail chez une personne qui perd ses cheveux car la cause est ailleurs. Si le dermatologue n’interroge pas le psychisme et se contente de prescrire des pommades et des crèmes pour peaux sensibles, le patient pourra en mettre toute sa vie sans aucune efficacité ».
La maladie de peau peut-être un SOS
Des exemples, le médecin en a beaucoup comme cette femme venue le voir avec des plaques rouges sur les bras. Elle a fini par lui dire qu’elle était battue dans le foyer où elle habitait mais n‘osait pas se plaindre. « L’irruption de plaques a été sa seule manière de se protéger, d’appeler à l’aide », déclare Philippe Humbert.
Il raconte aussi l’histoire de cet adolescent ayant perdu ses cheveux du jour au lendemain quand il a appris que son père avait des relations homosexuelles ou encore celle de cette dame âgée atteinte d’un prurit vulvaire qui ne se soignait pas depuis quatre ans et dont l’apparition correspondait finalement au décès de son mari. Selon Philippe Humbert, « Si vous n’interrogez les patients, vous passez à côté. Mais savoir relier une maladie de peau au cerveau ne veut pas dire que c’est dans la tête, surtout pas. Trop souvent, c’est ce que les patients s’entendent dire ».
Quand un antidépresseur est nécessaire
Une chose est de ne pas banaliser les symptômes dépressifs, une autre est de les prendre en charge. « Souvent les patients me disent “Je suis venu pour un problème de peau” et n’ont pas envie de parler d’autre chose, constate Philippe Humbert. Mais quand ils acceptent de prendre un antidépresseur -ce qui n’est pas évident car la moitié refuse au début par peur d’une accoutumance ou par sentiment de dévalorisation- la plupart du temps, leur maladie de peau s’est nettement améliorée, pour ne pas dire guérie, deux mois après alors que certains consultaient depuis dix ans sans succès ».
Ensuite, un suivi pertinent par le généraliste suffit neuf fois sur dix. Quelque fois, un accompagnement spécifique est nécessaire, c’est alors le psychiatre qui prendra le relais du dermatologue ou le pédopsychiatre pour les adolescents.
Sources
7èmes Assises des Femmes Médecins « Bien dans peau pour bien soigner », Paris, 12 mars 2016.