L'approche "One Health" : anticiper les pandémies de demain grâce à une santé interconnectée

Alors que le monde fait face à des menaces sanitaires émergentes et à la persistance d'anciennes, une nouvelle vision s'impose : l'approche "Une seule santé" (One Health). Cette stratégie révolutionnaire reconnaît l'interdépendance profonde entre la santé humaine, la santé animale et la santé de nos écosystèmes. Loin d'être une simple théorie, "Une seule santé" est une démarche concrète qui mobilise scientifiques, professionnels de la santé, urbanistes et décideurs politiques pour anticiper les épidémies et construire un avenir plus résilient face aux pandémies.
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Une vision holistique dépassant les frontières traditionnelles

L'approche "Une seule santé" n'est pas née d'hier. Dès le XIXe siècle, le pathologiste allemand Rudolf Virchow affirmait qu'"entre la médecine animale et humaine, il n'y a pas de ligne de démarcation". Cette intuition visionnaire s'est progressivement structurée, notamment grâce aux travaux du vétérinaire Calvin Schwabe qui forgea le terme "One Medicine" dans les années 1960, reconnaissant l'interconnexion fondamentale entre santé humaine et animale.

Aujourd'hui, cette approche intègre trois piliers indissociables : la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale. L'urbanisation galopante, l'intensification des échanges mondiaux et les changements climatiques ont multiplié les zones de contact entre ces trois sphères, créant un terreau propice à l'émergence de nouvelles menaces sanitaires.

Près de 75% des maladies infectieuses émergentes chez l'humain sont d'origine animale. Ces zoonoses - comme la COVID-19, le virus Nipah ou la fièvre de Lassa - franchissent la barrière des espèces et se propagent dans nos sociétés interconnectées avec une rapidité sans précédent. Face à cette réalité, l'approche cloisonnée traditionnelle devient obsolète.

La surveillance environnementale : détecter l'invisible avant qu'il ne frappe

La mise en place de systèmes de surveillance innovants constitue l'un des piliers de cette stratégie. Les animaux sauvages, véritables sentinelles écologiques, jouent un rôle crucial dans ce dispositif. Au Cambodge, la surveillance de l'influenza aviaire H5N1 chez les oiseaux migrateurs permet d'anticiper les risques de transmission aux volailles domestiques et, par extension, aux humains.

Cette vigilance s'étend désormais aux eaux usées, transformées en précieux indicateurs épidémiologiques. Cette méthode, utilisée dès les années 1940 pour traquer la poliomyélite aux États-Unis, a connu un regain spectaculaire avec la pandémie de COVID-19. L'analyse des eaux usées permet de détecter la présence de pathogènes plusieurs jours avant l'apparition des premiers symptômes dans la population, offrant ainsi un temps d'avance crucial aux autorités sanitaires.

Singapour illustre parfaitement cette approche proactive. La cité-État a développé un système sophistiqué de surveillance des eaux usées durant la crise du COVID-19, qu'elle a ensuite adapté pour suivre d'autres menaces sanitaires comme la dengue ou les infections nosocomiales. Cette infrastructure constitue désormais un maillon essentiel de son dispositif de sécurité sanitaire.

L'urbanisme comme bouclier sanitaire préventif

L'aménagement du territoire représente un levier souvent sous-estimé dans la prévention des pandémies. La conception des espaces urbains influence directement notre exposition aux pathogènes. Les zones humides mal gérées favorisent la prolifération des moustiques vecteurs de maladies comme la dengue ou le chikungunya. À l'inverse, un urbanisme intégrant la biodiversité et les principes écologiques peut créer des environnements moins favorables à la transmission des maladies.

Singapour, surnommée la "Cité dans un Jardin", a fait de cette approche une priorité nationale. En intégrant systématiquement des espaces verts dans son tissu urbain, la cité-État ne se contente pas d'améliorer la qualité de vie de ses habitants. Elle réduit les îlots de chaleur urbains, limite la prolifération des vecteurs de maladies et crée des zones tampons entre les écosystèmes sauvages et les zones habitées.

Cette dimension spatiale de la santé s'étend au-delà des frontières urbaines. La préservation des forêts tropicales et la régulation du commerce d'animaux sauvages constituent des remparts essentiels contre l'émergence de nouvelles zoonoses. Chaque hectare de forêt déboisé multiplie les contacts entre humains et espèces sauvages, augmentant mécaniquement le risque de transmission de pathogènes.

L'intelligence collective au service de la détection précoce

La force de l'approche "Une seule santé" réside dans sa capacité à mobiliser des expertises complémentaires. Sur la scène internationale, la Quadripartite - association de l'OMS, l'OMSA, la FAO et le PNUE - coordonne les efforts mondiaux à travers un plan d'action conjoint. L'accord de l'OMS sur les pandémies, attendu pour mai 2025, devrait formaliser davantage cette approche intégrée.

Sur le terrain, des projets collaboratifs démontrent l'efficacité de cette synergie. Au Kenya, la recherche interdisciplinaire sur la fièvre de la Vallée du Rift a conduit à l'élaboration de cartes de risque précises, permettant aux autorités d'anticiper les flambées et de concentrer leurs ressources sur les zones les plus vulnérables. Au Zimbabwe, l'étude des interactions entre mouches tsé-tsé, bétail et populations humaines a permis d'identifier des stratégies de prévention de la trypanosomiase plus efficaces et moins coûteuses.

L'intelligence artificielle amplifie considérablement cette capacité de détection précoce. Le Pacific Northwest National Laboratory (PNNL) aux États-Unis a développé des algorithmes capables d'analyser simultanément des données environnementales, vétérinaires et médicales pour identifier des signaux faibles annonciateurs d'épidémies. Ces systèmes d'alerte précoce intègrent des sources diverses - des médias sociaux aux données cliniques en passant par les relevés climatiques - pour dresser un portrait complet des risques sanitaires émergents.

Le défi de l'action coordonnée face aux menaces globales

Les bénéfices de l'approche "Une seule santé" dépassent largement la simple prévention des pandémies. Elle contribue également à combattre la résistance aux antimicrobiens, à renforcer la sécurité alimentaire et à préserver la biodiversité. D'un point de vue économique, l'investissement dans cette approche préventive s'avère particulièrement rentable : le coût de la prévention reste infiniment inférieur à celui de la gestion d'une pandémie.

Pourtant, malgré ces avantages évidents, sa mise en œuvre se heurte encore à des obstacles structurels. Les silos institutionnels persistent entre secteurs de la santé humaine, animale et environnementale. Les systèmes de surveillance et les protocoles d'intervention demeurent souvent cloisonnés, limitant la fluidité des échanges d'informations cruciales.

La formation interdisciplinaire représente un autre défi majeur. Les cursus médicaux, vétérinaires et environnementaux évoluent encore largement en parallèle, privant les professionnels d'une vision globale des enjeux sanitaires. Des initiatives comme l'International One Health Platform tentent de combler cette lacune en développant des programmes éducatifs intégrés.

L'approche "Une seule santé" nous rappelle une vérité fondamentale : notre bien-être est indissociable de celui du vivant qui nous entoure. Face aux défis sanitaires du XXIe siècle, elle offre un cadre opérationnel pour transformer notre vulnérabilité collective en résilience partagée. Car c'est en reconnaissant l'unité profonde de toutes les formes de santé que nous préparerons efficacement notre réponse aux pandémies de demain.