Pourquoi le sperme contient de moins en moins de spermatozoïdes

"Mais où sont passés les spermatozoïdes?" s’inquiète l’Association française d’urologie (AFU) dans un communiqué daté du 6 septembre 2018. Depuis le premier comptage des spermatozoïdes dans les années 1940, les scientifiques observent en effet une diminution progressive de ces cellules reproductrices, non seulement en quantité mais également en qualité. Ces gamètes sont ainsi moins nombreux et moins mobiles qu’il y a quelques décennies.
Exposition aux pesticides et aux phtalates
Comment expliquer ce phénomène que les scientifiques observent à l’échelle mondiale ? Selon les spécialistes, les concentrations du sperme en spermatozoïdes les plus basses sont relevées dans les régions qui présentent un nombre élevé de troubles affectant les testicules comme les cryptorchidies (des testicules qui ne descendent pas dans le scrotum), et des cancers des testicules. En France, c’est notamment le cas de la zone Aquitaine-Languedoc-Roussillon. "L’utilisation de produits phytosanitaires – en particulier dans le secteur de la viticulture – pourrait être en cause" note l’AFU dans son communiqué.
Selon un chercheur danois, le docteur Niels Skakkebaek, cité par l'AFU, le rôle d’une exposition à ces produits phytosanitaires (pesticides, herbicides, fongicides) serait particulièrement important in utero. Ainsi, "ce serait pendant la vie fœtale, lorsque le testicule se forme, qu’il serait le plus sensible aux phtalates et aux pesticides" note l’AFU. Des pesticides que l’on retrouve en importante quantité dans l’alimentation voire dans les eaux de boisson et des phtalates présents dans les emballages alimentaires et les matières plastiques.
Les spermatozoïdes en chiffre
Actuellement, les scientifiques comptent en moyenne 150 millions de spermatozoïdes par millilitres (ml) de sperme. Ce chiffre, certes en baisse de 1 à 2% par an, reste correct car la chute de fertilité s’observe chez les hommes qui n’en produisent que 5 millions/ml. Pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la norme se situe entre 100 et 336 millions/ml.
Des effets attendus "dans 30 ans ou plus"
Et les indices en faveur d’un impact in utero des produits phytosanitaires s’accumulent. Selon le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (BEH) publié par Santé Publique France le 3 juillet 2018, depuis les années 1990, la concentration spermatique chute d’environ 2% par an et, en parallèle, l’incidence du cancer du testicule augmente de 1,52% par an et le nombre de cryptorchidies croît de 2,64% par an. De même, l’AFU constate que les cancers du testicule sont plus fréquents chez les hommes infertiles et que les pubertés précoces s’accentuent chez les petits garçons. Autant de données qui "[suggèrent] l’impact d’un certain nombre de perturbateurs endocriniens sur la fonction testiculaire".
Un constat inquiétant, puisque les produits phytosanitaires, dont plusieurs sont suspectés ou reconnus comme des perturbateurs endocrniens sont omniprésents dans notre environnement. Les perturbateurs endocriniens sont définis comme des molécules qui miment, bloquent ou modifient l'action d'une hormone et perturbent le fonctionnement normal d'un organisme. Ils agissent donc sur le système hormonal et sur le système reproducteur d'un individu mais aussi de ses descendants sur une voire plusieurs générations. "C’est à plus long terme – dans 30 ans ou plus – que nous constaterons les conséquences de ces perturbateurs endocriniens sur nos enfants et petits-enfants. Il y a là un vrai enjeu de santé publique" selon le docteur Jean-Marc Rigot, urologue au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Lille interrogé par l’AFU.
Mode de vie et qualité du sperme
Mais les perturbateurs endocriniens contenus notamment dans les produits phytosanitaires ne seraient pas les seuls responsables de cette baisse du nombre de spermatozoïdes. Selon une étude dirigée par un chercheur de l’université hébraïque de Jérusalem (Israël) et publiée en juin 2017 dans la revue Human Reproduction, certaines habitudes de vie joueraient également un rôle. Ils citent notamment le tabagisme, le stress, le régime alimentaire et l’indice de masse corporelle (IMC). En somme, la quantité de spermatozoïdes contenus dans le sperme constituerait un bon indice de la qualité de vie de l’homme moderne.
Sources
Mais où sont passés les spermatozoïdes ? Communiqué de l’Association Française d’Urologie, Journée d’andrologie et médecine sexuelle, 6 septembre 2018
Analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire en France, dans le contexte de l’exposition aux perturbateurs endocriniens : cryptorchidies, hypospadias, cancer du testicule et qualité du sperme. Le Moal et al. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire 2018;(22-23):452-63, Santé Publique France, 3 juillet 2018
Pesticides – Effets sur la santé. Chapitre 17 : Fertilité et fécondabilité. Expertise collective, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) 2013
Temporal trends in sperm count : a systematic review and meta-regression analysis. Levine et al., 28 juin 2018, Human Reproduction Update, 23(6) doi:10.1093/humupd/dmx022