Pourquoi il y a de plus en plus de célibataires à 30 ans

A chaque repas de famille, ou presque, la question qui fâche est lancée sur la table. De préférence avant le dessert. "Quand est-ce que tu nous présente ton amoureux ?" Plus les années passent, plus elle semble préoccuper l'entourage. Particulièrement si l'objet de ces tracas est une femme.
"Le temps passe vite, et il est peut-être plus cruel pour la femme que pour l'homme", confirme Valérie Bruat, conseillère relationnelle et fondatrice de l'agence matrimoniale Entre Elle et Lui. Souvent, passé un certain âge, il y a une pression sociale et familiale."
Pourtant, être célibataire à 30 ans n'a plus rien d'anormal. Selon l'Insee, 40.6 % des adultes français ne vivent pas en couple. Le phénomène est massif, mais aussi récent : en 1990, presque 80 % des trentenaires avaient trouvé leur moitié.
La durée d'études s'allonge
Le fait est que le monde a changé, et les femmes avec. Aujourd'hui, elles prolongent leurs études plus souvent qu'avant. Or, "de manière consciente ou inconsciente, la vie professionnelle prend le pas sur la vie amoureuse", selon Valérie Bruat.
Les observations de l'Insee confirment ce constat empirique : le niveau de diplôme est fortement associé au statut matrimonial. Et plus les années d'études sont longues, plus les femmes sont célibataires. Ainsi, en 1999, 70 % des trentenaires diplômées du supérieur vivaient en couple contre 76 % des titulaires d'un BEP ou CAP.
Valérie Bruat l'a constaté : "Il n'est pas rare de voir des femmes de 30-35 ans célibataires, sans enfant, et avec très peu d'expérience amoureuse." Parce que, le temps de faire son nid dans une entreprise, d'acquérir son autonomie financière, la bagatelle peut passer au second plan.
"Il n'est pas impossible de concilier vies amoureuse et professionnelle, mais la société génère cette impression", analyse l'experte en relations. Le problème, c'est que les rencontres deviennent plus difficiles une fois le diplôme obtenu.
On cherche l'amour, le vrai
Le couple, au 21e siècle, n'a pas non plus la même signification. L'amour est désormais au centre de ce pacte contracté à deux. "Le sentiment commande la relation, aujourd'hui, observe Lubomir Lamy, professeur de psychologie sociale à l'université Paris-Descartes. Il constitue la base du couple, mais il connaît une variation permanente. Le sentiment est labile, il varie beaucoup et vite."
Un changement majeur par rapport aux mariages de raison qui étaient contractés au 19e siècle, qui étaient conçus pour durer une vie. Maintenant, on cherche l'amour, le vrai. Et pas question de transiger sur ce point. Cet acharnement n'est pas sans évoquer les contes de fée qui bercent notre enfance.
"S'il y a tant de célibataires, c'est parce que ce prérequis est compliqué. Personne ne sait avec certitude ce qu'est l'amour, note le chercheur en psychologie sociale. Et plutôt qu'être dans un couple sans amour, on préfère être seul."
Le niveau d'exigence augmente
L'envie de faire des efforts et des concessions c'est, en effet, un autre aspect du problème. "Pour certains sociologues, le couple est un échange social : on se demande quoi donner, et pour quels bénéfices", souligne Lubomir Lamy.
Or, nos contemporain.e.s se montrent plus exigeant.e.s envers le partenaire. Le parfait est demandé. "Le mythe du Prince Charmant ne date pas d'hier, signale Lubomir Lamy. Mais aujourd'hui, on aimerait que ce soit une réalité, et pas seulement du domaine du roman." Sauf que cette exigence envers autrui ne s'applique pas forcément à soi-même.
Le couple n'est plus la norme
Mais si cette absence d'effort était due à autre chose ? "Je pourrais assez bien me faire à ma solitude si tant de regards, de mots et de situations ne s'unissaient pour former un doigt accusateur, pour bien me faire comprendre que je suis hors norme, donc suspecte", explique une jeune femme interrogée par le sociologue du couple Jean-Claude Kaufmann, dans son ouvrage La femme seule et le Prince charmant.
Mais ce constat, établi en 1999, n'est plus d'actualité. Ce n'est plus le célibat en lui-même qui pose problème aux trentenaires. Mais plutôt le regard des aînés. Jean-Claude Kaufmann évoque "u ne puissante lame de fond, qui emporte de plus en plus les jeunes et les femmes diplômées, les poussant à vivre leur autonomie".
Autrement dit, la vie de couple n'est plus la norme. "Être célibataire à 30 ans fait partie de la normalité", confirme Valérie Bruat. Les trentenaires ne veulent plus s'installer dans l'urgence. Et ils ou elles ont bien raison. "Un projet d'union, ça se fait à deux, rappelle Valérie Bruat. On a envie un enfant parce qu'on a rencontré quelqu'un qui donne l'envie de le faire, pas le contraire."
Faire des rencontres sérieuses est devenu difficile
"Il s'est vraiment passé quelque chose au tournant du millénaire", analyse le sociologue Jean-Claude Kaufmann dans son enquête sur la vie en solo. Rencontrer des partenaires durables est devenu difficile. Les applications et sites de rencontre se sont bien multipliés. Plus de 2 000 proposent leurs services aux âmes esseulées. Mais ils semblent surtout profiter aux relations éphémères et aux "coups d'un soir".
"Vivre dans l'urgence nous place dans un parcours difficile, complète Valérie Bruat. Les conditions pour rencontrer l'autre sont loin d'être idéales." Et pas question de compter sur Tinder, Adopte un mec et autres applications.
"Internet nous introduit dans une époque très différente de la rencontre, selon Jean-Claude Kaufmann. Facile, grisante; mais remplie de pièges sournois pouvant rendre l'amour encore plus improbable."
Car l'anonymat, le confort du PC et la distance n'aident en rien la formation de couples. D'après l'étude EPIC, réalisée par l'Institut national des études démographiques, seuls 9 % des couples se sont connus sur Internet.
Dans les faits, les relations continuent de se former avec le temps, dans l'entourage ou sur le lieu de travail. "98 % des gens apprennent à se connaître lentement, souligne Lubomir Lamy. Le coup de foudre est quelque chose de très rare."
Sources
Bilan démographique 2017, Insee, 16 janvier 2018
Fiche thématique "Couples et familles" édition 2015, Insee, 16 décembre 2015
Vivre en couple - La proportion de jeunes en couple se stabilise, Insee, 12 février 2010
La femme seule et le Prince charmant, Jean-Claude Kaufmann, éditions Armand Colin
L'amour ne doit rien au hasard, Lubomir Lamy, éditions Eyrolles