Ménopause : le traitement hormonal augmente-t-il le risque de cancer du sein ?

Publié par Rédaction E-sante.fr
le 14/04/2008
Maj le
6 minutes
Autre
Nouveau rebondissement dans l'affaire du THS ou traitement hormonal substitutif de la ménopause. Après avoir été réhabilité, il est à nouveau accusé d'augmenter le risque de cancer du sein. Explications et argumentation du Dr David Elia*.

Le traitement hormonal substitutif de la ménopause ou THS

Dr David Elia : En 1997, une analyse anglo-saxonne démontrait que le traitement de la ménopause augmentait le risque de cancer du sein. Mais cette hausse du risque était vraiment minime, pas même supérieure au fait de boire plus de 2 verres de vin par jour, d'être en surpoids ou d'avoir eu son premier enfant après 30 ans. Ainsi, les autorités de santé des différents pays considèrent qu'il y a bien plus d'avantages à ce traitement que d'inconvénients. Simplement, elles engagent les femmes et les médecins à la vigilance et à la surveillance.

Quels sont les avantages du THS ?

Dr David Elia : L'avantage est cardiovasculaire. En 1997, on considère que le traitement hormonal substitutif de la ménopause (THS) diminue de moitié le risque cardiovasculaire, ce qui est beaucoup par rapport à l'augmentation du risque de cancer du sein (20-30% du risque). Par ailleurs, le THS corrige et prévient l'ostéoporose, sans parler de l'aide considérable qu'il apporte aux nombreuses femmes ménopausées qui voient leur qualité de vie très dégradée lorsqu'elles n'ont pas de traitement.

Tout était calme jusqu'en 2002, lorsqu'une étude américaine (WHI) annonce que le THS ne protège pas du risque cardiovasculaire, mais l'augmente (30% du risque). Dans ces conditions, la balance des bénéfices / risques n'était plus favorable au THS. Mais en 2006, lors de la publication des résultats complets et définitifs de cette étude, on s'aperçoit que cette augmentation du risque cardiovasculaire dépend de l'âge et n'est observée que chez des femmes traitées à partir de 65 ans. Le THS reste donc bénéfique entre 50 et 65 ans. Et en pratique, en France, ce sont bien des femmes relativement jeunes, en tout début de ménopause, qui bénéficient de ce traitement en diminuant leur risque d'infarctus du myocarde. Par la suite, une étude française (E3N - Inserm) a montré que pour le risque de cancer du sein, tout dépendait du type de progestatifs contenus dans le THS, certains faisant augmenter le risque de cancer du sein, d'autres non. Ceux qui n'augmentent pas le risque de cancer du sein sont la progestérone micronisée Utrogestan® et la dydrogestérone (Duphaston 10®), très proches de la progestérone naturelle.

Quelle est la situation aujourd'hui ?

Dr David Elia : La situation s'est à nouveau calmée dans la mesure où on a « trouvé » un effet protecteur cardiovasculaire chez les femmes qui initient un THS en tout début de ménopause et que le risque de cancer du sein n'augmente pas avec la progestérone micronisée ou la dydrogestérone. Les femmes françaises se trouvent dans une situation avantageuse car les progestatifs les plus utilisés depuis 2003-2004 par le corps médical français sont justement les progestatifs : Duphaston® et Utrogestan®. Ce point est important car il constitue un des arguments pour répondre à l'étude de la Caisse nationale d'Assurance maladie (Cnam).

Que dit cette étude de la Cnam (février 2008) ?

Dr David Elia : Avec le dépistage organisé du cancer du sein, le nombre de mammographies a triplé. En conséquence, le nombre de cancers du sein aurait dû augmenter. Or pour la première fois, nous observons une diminution de l'ordre de 6% depuis 2004.

Selon la Cnam, le seul évènement pouvant expliquer ce phénomène est le fait qu'un million de femmes ménopausées ont arrêté leur THS depuis 2004, suite à la mauvaise presse de l'étude américaine. Toutefois, si l'on considère que le THS peut favoriser le développement des tumeurs et non les initier, il est normal de constater un retard à la croissance de ces tumeurs, lesquelles auraient poussé plus vite si ces femmes avaient poursuivi leur traitement. Il pourrait donc s'agir d'une fausse diminution qui devrait être rattrapée dans les années qui viennent !

Par ailleurs, il n'est pas étonnant de constater une diminution du nombre de cancers du sein car depuis l'étude française en 2003-2004 montrant que seule la progestérone micronisée n'était pas associée à une augmentation du risque de cancer du sein, tous les gynécologues ont prescrit préférentiellement ce type de progestérone, d'où une explication potentielle de la diminution du nombre de cancers du sein observé par la Cnam. Autre argument : depuis les recommandations de l'Afssaps en 2003 (aujourd’hui Ansm), les doses hormonales prescrites ont été fortement diminuées, par 2, voire par 4. Or n'oublions pas que les estrogènes sont suspectées d'être « promotrices » de tumeurs. Ainsi, moins alimentée en estrogènes, la croissance des tumeurs a pu être ralentie. Là encore, si c'est vrai, le nombre de cancers du sein pourrait augmenter d'ici quelques années avec un effet retard !

Par ailleurs, dans l'étude de la Cnam, si le nombre de mammographies a triplé, c'est qu'une bonne part des examens de dépistage a été réalisée chez des femmes qui n'avaient jamais eu de mammographies auparavant, alors que d'autres qui, en prenant le THS, avaient déjà été suivies. Il est également à noter que les chiffres de la Cnam portent à caution car ils ont été obtenus en comptabilisant le nombre de déclarations en affection de longue durée (ALD : donnant droit au remboursement des soins à 100%) pour cancer du sein et non en comptant réellement le nombre de cancers du sein. Or on sait que la mise en place de la réforme Douste-Blazy sur la déclaration des ALD qui a eu lieu durant cette période a été difficile et a pu influer à la baisse sur les données.

Comme d'autres gynécologues, je reste sur cette morale : les femmes ont besoin d'un traitement pour vivre normalement leurs dix premières années au moins de la ménopause et pour prévenir l'ostéoporose. Nous avons retrouvé le bénéfice cardiovasculaire du THS et nous sommes relativement réservés quant aux conclusions de la Cnam pour toutes les raisons évoquées ci-dessus. De plus, de nombreuses études depuis sont venues nous conforter dans l'idée que le THS diminue bien le risque cardiovasculaire lorsqu'il est institué tôt après la ménopause. Quant au risque de cancer du sein, rien de nouveau n'a été ajouté aux conclusions de l'étude E3N.

Au final, le traitement hormonal de la ménopause « à la française » est bien un traitement dont les bénéfices sont supérieurs aux risques.

* Le Dr David Elia est gynécologue, rédacteur en chef du magazine GENESIS, leader de la presse gynécologique, publie régulièrement dans les revues scientifiques et est l'auteur de plus de 35 livres grand public. Il a également créé un site internet à destination des femmes : www.docteurdavidelia.com.

Sources

Sources et pour en savoir + : * Le Dr David Elia est gynécologue, rédacteur en chef du magazine GENESIS, leader de la presse gynécologique, publie régulièrement dans les revues scientifiques et est l'auteur de plus de 35 livres grand public. Il a également créé un site internet à destination des femmes (www.docteurdavidelia.com) dont la nouvelle version vient d'être mise en ligne, ainsi qu'un Podcast sur lequel on peut l'entendre : http://david100.podemus.com. Et enfin, le Dr David Elia est membre du comité scientifique d'e-sante.

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