Les anxiolytiques et Alzheimer : une relation pas évidente

Publié par Dr Philippe Presles
le 15/09/2014
Maj le
3 minutes
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Beaucoup de médias l’ont annoncé, y compris dans nos lignes : la prise d’anxiolytiques au long cours, sur plus de 6 mois en continu, augmente de 51 % le risque de faire une maladie d’Alzheimer plus tard.Mais derrière ce chiffre qui ressort d’une étude publiée dans le Bristish Medical Journal, qu’est-il possible d’en conclure réellement ?

C’est la deuxième étude à grande échelle qui interpelle sur le sujet : la prise d’anxiolytiques à long terme favoriserait la survenue de la maladie d’Alzheimer. Concrètement dans cette étude, la consommation d’anxiolytiques sur 6 années, de 1796 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, a été comparée à la consommation de 7184 personnes indemnes de la maladie.

Quand l’Alzheimer met 20 ans à s’installer, il faut des études longues

La première incertitude citée par les auteurs concerne la réalité de la non-atteinte du groupe contrôle. Sachant que la maladie d’Alzheimer met entre 10 et 20 ans pour s’installer avant le début des signes cliniques, on peut conclure que parmi les 7184 personnes indemnes au moment de l’étude, un certain nombre en sera atteint plus tard. Combien ? On n’en sait rien. Pour que l’étude ne soit pas critiquable, il aurait fallu faire un diagnostic précoce de la maladie chez les participants de ce groupe, avec IRM et dosage de la protéine bêta-amyloïde dans leur liquide céphalo-rachidien (Il s’agit de la molécule retrouvée dans les dépôts neuronaux dans la maladie). Ce groupe contrôle est donc composé de gens qui n’auront pas la maladie plus tard et d’autres qui l’auront.

Les somnifères ne sont pas étudiés

La deuxième incertitude est liée au très faible usage dans cette population canadienne des anxiolytiques à très courte durée d’action, dont la demi-vie est inférieure à 3 heures. Ces benzodiazépines sont appelées des somnifères, car elles favorisent l’endormissement et sont éliminées au moment du réveil. Or dans cette étude il n’a été possible que de faire la différence entre les benzodiazépines de plus de 20 heures de demi-vie d’élimination et de moins de 20 heures. Autrement dit, on ne fait pas la différence entre le comprimé pour s’endormir et le comprimé pour calmer son anxiété tout au long de la journée.

La moitié des personnes âgées prennent des anxiolytiques, Alzheimer ou pas

Ces deux réserves ayant été rappelées, voici les chiffres bruts :

  • la moitié des gens prennent des anxiolytiques dans les deux groupes (50 % dans le groupe atteint, contre 40 % dans le groupe indemne). Cela correspond donc à un très fort besoin de cette population âgée qui a du mal à dormir ;
  • ceux qui prennent des anxiolytiques moins de 6 mois présentent un risque diminué de 8 % de faire la maladie au moment de l’étude ;
  • ceux qui prennent des anxiolytiques plus de 6 mois présentent un risque augmenté de 51 % de faire la maladie au moment de l’étude.

Respecter les recommandations médicales

Est-il possible d’en conclure que ceux qui prennent un peu d’anxiolytiques sont protégés par rapport à ceux qui en prennent beaucoup ? Non bien sûr. Serait-il davantage possible de conclure que ceux chez qui la maladie d’Alzheimer est en cours d’installation souffrent davantage de troubles du sommeil ? Ce n’est pas possible non plus, bien que l’insomnie soit l’un des symptômes de cette maladie. Les conclusions ne sont pas évidentes et nous aurons besoin d’autres études sur des durées plus longues et distinguant bien les somnifères des autres benzodiazépines.

Et au final cette étude soulève bien des questions. Les tendances qu’elle dessine confortent néanmoins les bonnes pratiques médicales :

  • contre l’insomnie prescrire des benzodiazépines à très courte demi-vie, autrement dit de vrais somnifères ;
  • et les prescrire pour des périodes courtes sans renouvellement systématique.

Source : Sophie Billioti de Gage. BMJ 2014;349:g5205 doi: 10.1136/bmj.g5205 (Published 9 September 2014).

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