Le cerveau et la tumeur cérébrale : les idées reçues

On peut opérer le cerveau d’un patient éveillé
Vrai. Le Pr Duffau opère des patients atteints de gliome en utilisant la chirurgie cérébrale éveillée depuis 1997. Le but : enlever le plus possible de cerveau infiltré par la tumeur en préservant toutes les facultés du patient. Une anesthésie générale lui est administrée le temps d’ouvrir sa boîte crânienne, c’est tout. « Le cerveau n’a pas de récepteurs de la douleur donc on peut opérer sans endormir, la personne n’a pas mal », explique le neurochirurgien.
Quand le patient se réveille, un neuropsychologue et une orthophoniste lui font faire des tâches précises (bouger, parler, comprendre, mémoriser...) pendant que le praticien sonde la surface de son cerveau avec un stimulateur électrique afin de déterminer l’architecture des réseaux neuronaux en action pour chaque fonction étudiée.
Pr Duffau : « Si le patient ne répond plus correctement à un test ou qu’il dit « un voiture » au lieu de « une », je marque la zone d’une petite étiquette pour me rappeler qu’il ne faut rien enlever à cet endroit crucial ».
Après l’ablation, 99% des patients reprennent une vie active.
A une zone du cerveau correspond une fonction
Faux. On peut avoir une tumeur cérébrale dans l’aire de Broca, considérée depuis 150 ans comme la zone du langage, sans avoir de troubles de la parole. La théorie de Paul Broca vient de l’analyse du cerveau d’un de ses patients décédé qui était incapable de parler et sur lequel il a trouvé une lésion dans le cortex frontal gauche qu’il a jugé être à l’origine de son handicap. Cette observation, reposant sur l’idée qu’à une zone du cerveau correspond une fonction spécifique, est érigée en vérité scientifique absolue depuis 1861.
Selon le Pr Duffau, cette vision « localisationniste » du cerveau est dépassée : « L’aire de Broca n’existe pas. J’ai opéré beaucoup de patients ayant une tumeur dans cette région et ils n’ont aucun problème de langage ni avant ni après l’intervention. Ce qui signifie que cette zone n’est pas l’épicentre capital du langage. Le cerveau n’est pas divisé en zones indépendantes mais organisé en réseaux interactifs dynamiques capables de s’adapter en permanence. Ilfaut évoluer vers une vision “connexionniste”, plus globale ».
Une tumeur cérébrale laisse des séquelles
Vrai et Faux. Tout dépend de la tumeur cérébrale mais on sait aujourd’hui que le cerveau a des pouvoirs majeurs d'auto-réparation et que sa plasticité est grande.
Pr Duffau : « Rien n’est figé une fois pour toutes dans notre cerveau, tout est modulable ».
Par exemple, dans les tumeurs à évolution lente comme le gliome de bas grade, l’interaction entre les circuits neuronaux complexes permet une compensation massive, expliquant pourquoi les patients peuvent mener une vie normale malgré des lésions conséquentes. Mieux vaut, néanmoins, que l’ablation soit proposée précocement, avant que ces gliomes ne deviennent malins. Le Pr Duffau en a opéré plus de 600 sur des patients de tous âges avec moins de 1% de séquelles contre 15 à 20% avant le développement de la chirurgie éveillée.
De même, en près de 20 ans, l’espérance de vie de ses patients a doublé : « Des fibres blanches parcourent les deux hémisphères en profondeur, ce sont elles qu’il ne faut pas couper quand on opère pour éviter les risques de séquelles ».
Chaque cerveau est différent
Vrai. Grâce à l’imagerie médicale et notamment à l’IRM, le cerveau commence à livrer ses secrets mais on est encore loin de tout savoir. Avant d’opérer, le Pr Duffau réalise une véritable cartographie du cerveau de chaque patient pour trouver le chemin à prendre afin qu’il ne se retrouve pas paralysé ou privé de la parole : « On a tous un cerveau différent. Le minimum commun est un squelette neuronal. Plus on va vers les profondeurs de ce squelette, plus on se ressemble les uns les autres mais plus on va vers la périphérie, vers le cortex, plus il y a une variabilité. C’est comme un arbre : plus vous allez des feuillages vers la surface plus vous pouvez couper de branches de façon à lui donner la forme que vous voulez. En revanche, si vous coupez les branches principales, voire le tronc, l’arbre ne repoussera pas. Avec le cerveau, c’est pareil et c’est la limite de la plasticité cérébrale. Le cerveau ne peut se réorganiser que s’il existe des réseaux parallèles capables de se redistribuer. Quelques millimètres enlevés en excès dans les tissus profonds peuvent tout compromettre ».
Le travail du neurochirurgien est si précis qu’il a pu demander à une de ses patientes qui parlait cinq langues, avant l’ablation, combien elle voulait en conserver. Elle en a choisi trois.
Sources
Entretien avec le Pr Hugues Duffau, neurochirurgien oncologue au CHU de Montpellier et auteur de « L’erreur de Broca : pour en finir avec 150 ans d’erreurs sur le cerveau », édition Michel Lafon.