Interview : L'allergie est-elle la maladie du siècle ?

Publié par Dr Philippe Presles
le 25/06/2003
Maj le
4 minutes
Autre
L'allergie est souvent vécue comme une calamité qu'il faut subir. Pourtant, l'allergologie a réalisé des progrès remarquables depuis les années 80. Le Dr Etienne Bidat* nous précise pourquoi la prise en charge doit être globale, passant par une connaissance et une compréhension de la maladie et de ses traitements, ainsi que par la prévention des manifestations allergiques.

e-sante : Les maladies allergiques sont-elles de plus en plus fréquentes ?

Dr Etienne Bidat : L'asthme, l'eczéma et les rhino-conjonctivites, principales maladies allergiques, étaient rares il y a quelques dizaines d'années. Elles sont aujourd'hui de plus en plus fréquentes et posent un vrai problème de santé publique. C'est à partir des années 60 qu'une augmentation est observée. Les études récentes sont formelles, cette hausse est bien réelle, elle n'est pas liée à une meilleure connaissance de ces maladies ou à une plus grande attention portée aux personnes souffrant de troubles allergiques. Actuellement en France, plus de 10% des enfants sont asthmatiques, 15 à 20% des petits enfants sont atteints d'eczéma, 4 à 8% des enfants d'âge préscolaire ont une allergie alimentaire et 20% de la population générale souffre de rhinite. Toujours en France, la fréquence de l'asthme a doublé chez l'enfant en une quinzaine d'années et sa sévérité croît également. Dans d'autres pays industrialisés, le nombre d'asthmatiques, chez l'enfant et les jeunes adultes, a triplé ou quadruplé au cours des 20 dernières années.

e-sante : A quoi est liée cette augmentation ?

Dr Etienne Bidat : Cette augmentation est beaucoup trop rapide pour être expliquée par une modification du patrimoine génétique. Par contre, les modifications du mode de vie et de l'environnement, peuvent expliquer cette véritable explosion des maladies allergiques. Dès 1873, Charles Backley, un des pionniers de l'allergologie, décrit les allergies aux pollens (rhume des foins, asthme pollinique…). Il remarque que cette affection est plus fréquente chez les citadins éduqués que chez les laboureurs illettrés. Il prédit « qu'avec la civilisation et l'amélioration de l'éducation, les maladies allergiques vont devenir plus fréquentes ». On admet actuellement que « l'occidentalisation » du mode de vie est responsable de l'augmentation des maladies allergiques. En général, les allergies, et tout particulièrement le rhume des foins, sont plus fréquentes chez les sujets riches que pauvres, dans les zones urbaines que dans les zones rurales, et dans les pays de l'Ouest plutôt que dans ceux de l'Est. Cette hausse des allergies s'explique aussi par la disparition de certains facteurs dans l'environnement qui avaient un effet protecteur. Par exemple, la vie dans la ferme, très proche de l'étable, mettait les enfants en contact avec des particules dans l'air, les endotoxines (constituant de la paroi des microbes). Ces endotoxines limitaient probablement le développement des allergies.

e-sante : Que peut-on faire pour limiter ou freiner cette augmentation ?

Dr Etienne Bidat : Actuellement, il existe peu de mesures ayant fait la preuve réelle de leur compétence. Les plus efficaces sont limitées : arrêt du tabagisme pendant la grossesse, éviter de prendre un animal à poils dans une famille d'allergique, alimentation lactée exclusive pendant plus de 5 mois (donc retard à la diversification). Un allaitement maternel exclusif est conseillé et s'il n'est pas possible, il faut préférer un lait de régime à base d'hydrolysât de collagène chez l'enfant « à risque », c'est-à-dire celui dont un des parents présente un asthme, un eczéma ou une rhinite allergique. S'il n'existe pas de facteur de risque, un lait dit hypoallergénique pourrait être suffisant. Dans la diversification alimentaire il est conseillé d'attendre au moins l'âge de un an avant d'introduire l'œuf ou le poisson, les autres aliments sont introduits un à un, à raison d'un aliment nouveau par semaine.

e-sante : Y a t-il des nouveautés ?

Dr Etienne Bidat : La tendance est à la suppression des mesures contraignantes qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité, comme par exemple un régime alimentaire pendant la grossesse ou un retard à la mise en collectivité chez l'enfant bien portant. Grande nouveauté, si pendant la grossesse il existe un animal à poils au domicile, il est maintenant recommandé de le garder, car il est trop tard pour s'en séparer. Le passage d'un taux d'allergène moyen (ce qui est observé lors de la séparation avec l'animal) est plus nocif qu'un taux d'allergène élevé (quand l'animal est au domicile). Par contre, si l'enfant présente des manifestations allergiques il est conseillé de se séparer des animaux à poils. Enfin, si un enfant allaité présente un eczéma sévère, il faut arrêter l'allaitement et proposer un lait de régime.

* Dr Etienne Bidat, médecin des hôpitaux et responsable de l'unité d'allergologie et de pneumologie du service de pédiatrie de l'hôpital Ambroise-Paré (Boulogne-Billancourt), est notamment co-auteur avec Christelle Loigerot du livre intitulé « Les allergies de l'enfant, les prévenir et les combattre » aux éditions Milan, 2003. Pour commander en ligne : www.alapage.fr

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