Fumer ou boire du Red bull ?

Hier je croisais une amie. Sa mère, fumeuse, avait un cancer du poumon. Elle allait bientôt mourir à 73 ans (à cet âge son espérance de vie aurait dû être de plus de 80 ans).
Sa tante, fumeuse aussi, était morte par étouffement d’une BPCO (Broncho-pneumopathie chronique obstructive) à l’âge de 55 ans. Elle avait passé les dernières années de sa vie dans un fauteuil roulant équipé d’une bouteille d’oxygène, car le moindre effort lui était devenu impossible.
Le fils de cette amie fume aussi, plus d’un paquet par jour et déjà depuis plus de 10 ans. Statistiquement, il a une chance sur deux de mourir prématurément du tabac, donc avant sa mère.
Steve McQueen, Georges Harrison…
Mais me direz-vous des « Dominique » comme cette amie, on en croise à tous les coins de rue. Mourir du tabac, c’est banal. Qui penserait à faire un film sur une idole terrassée par le tabac, comme on l’a fait pour Jim Morrison et la drogue ? Steve McQueen mort à 50 ans ? Walt Disney mort à 58 ans ? Georges Harrison mort à 58 ans ? Carl Wilson (Beach Boys) mort à 54 ans ?
Dire que le tabac tue 60.000 personnes en France serait-ce plus efficace ?Et 5 millions de morts par an dans le monde ? Non, trop de chiffres nous anesthésient le cerveau.
Fumer ou boire du Red Bull ?
Pourtant, deux décès viennent de faire couler beaucoup d’encre. Il s’agissait de deux jeunes qui avaient consommé des boissons énergisantes comme du Red Bull avec beaucoup d’alcool dans un cadre festif.
Du coup, l’Agence de sécurité des aliments (Anses) lance une grande enquête auprès des professionnels de santé.
Les boissons comme le Red Bull pourraient être dangereuses ?
L’alcool tue 125 personnes par jour en France, dont 25 dans les suites d’un cadre festif. Mais la question qui inquiète les autorités publiques concerne les boissons énergisantes…
On se croirait dans un film absurde, à la Woody Allen : « Fumer ou boire du Red Bull ? »
Cela me fait penser à l’excellent livre du Dr Martine Perez que je viens de lire : « Interdire le tabac, l’urgence ».
Dans la première partie, elle s’intéresse à ce type de questions absurdes : vaut-il mieux s’exposer à un cancer du poumon lié au tabac ou à un cancer de la thyroïde lié à un accident nucléaire ? Tchernobyl et Fukushima font beaucoup plus peur ! Les vrais chiffres : en 25 ans, depuis l’accident de Tchernobyl, les accidents nucléaires ont entraîné 4.000 décès par cancer contre 125 millions pour le tabac.
Autre dilemme : décéder d’un infarctus mortel lié au tabac ou mourir à proximité d’une antenne-relais ? En fait, c’est un faux dilemme car le tabac provoque 15.000 infarctus mortels en France chaque année contre zéro mort pour les antennes-relais.
Mourir de consommer des OGM, plutôt que du tabac ? Même les animaux qui ne mangent que des OGM n’y arrivent pas ! Pourtant, nous explique Martine Perez, on préfère interdire les OGM en France que le tabac.
Interdire le tabac : c’est possible
Mais, diront certains, interdire le tabac, c’est impossible !
Regardez la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis, cela a été pire que tout. Mais sur ce plan, le tabac et l’alcool, ce n’est pas du tout pareil nous explique Martine Perez dans la deuxième partie de son livre. Et les Etats qui se lancent dans une interdiction progressive, mais drastique du tabac, ne rencontrent pas d’opposition de leurs populations.
Depuis 2010 en Finlande par exemple, vendre ou offrir du tabac à un mineur est passible de 6 mois de prison et les moins de 18 ans n’ont plus le droit de posséder du tabac sur eux. Fumer dans tous les lieux publics est interdit, dès lors que des mineurs peuvent les fréquenter. Les paquets de cigarettes enfin ne peuvent plus être exposés sur des comptoirs, mais doivent être cachés.
La Finlande est devenue un modèle et sera probablement le premier pays sans tabac. Mais la Nouvelle-Zélande et l’Australie veulent aussi être sur le podium et les mesures anti-tabac arrivent. En France, le député Yves Bur propose dans son rapport de suivre ces pays :
- en interdisant le tabac dans tous les lieux publics,
- en prohibant son exposition dans les débits de tabac
- et en lançant le paquet unique et aveugle, sans aucune image marketing.
Les vrais gagnants seront les jeunes
Les premiers gagnants de telles politiques seront les jeunes. Ils sont initiés au tabac à 11 ans et 8 mois nous dit Martine Perez, alors que passé 20 ans, il est plus rare de se mettre à fumer.
Autrement dit, en les protégeant efficacement du tabac, on supprime de nouvelles générations de fumeurs.
Mieux, ces jeunes commenceront leur vie active avec leurs parents au lieu de les voir mourir trop tôt du tabac. Encore mieux, on augmentera considérablement leur pouvoir d’achat, non seulement parce qu’ils n’achèteront plus de tabac, mais aussi parce que le déficit de la Sécurité sociale, qu’on leur laisse à rembourser, sera moins élevé. Au fait, qui voulait faire des jeunes sa priorité politique ?
Mais que feront-ils de tout cet argent me direz-vous ? Boiront-ils du Red Bull ? On se fera toujours un petit peu de souci pour eux…
Source : Dr Martine Perez, Interdire le tabac, l’urgence. Odile Jacob, 2012.