Cœur : pourquoi les femmes doivent faire attention

Parce qu'elles n'ont pas les mêmes symptômes
Une forte douleur dans la poitrine, qui serre comme un étau et qui irradie dans le côté gauche : voilà les signes le plus souvent associés à un infarctus du myocarde. Mais "les femmes présentent moins fréquemment les signes typiques de l'infarctus", souligne le Dr Stéphane Manzo-Silberman, cardiologue à l'hôpital Lariboisière (Paris).
Si cette sensation se manifeste dans deux tiers des cas, elle est rarement seule à se faire ressentir. "Bien souvent, d'autres signes s'ajoutent à ce symptôme classique : des nausées inhabituelles, une grande fatigue ou encore une gêne cervicale", explique cette membre de la Fédération Française de Cardiologie.
Mal informées de ces signes "secondaires", les patientes ignorent trop souvent l'infarctus et pensent souffrir de crises d'angoisse ou d'une grosse fatigue, par exemple. Les chiffres traduisent bien cela : lorsque le SAMU reçoit des appels pour suspicion d'infarctus, 57 % concernent des hommes. "Cela compromet, malheureusement, un diagnostic précoce", déplore la spécialiste.
Parce qu'elles meurent plus que les hommes
Comme elles tardent à appeler les secours, les femmes meurent – logiquement – plus de leur infarctus. Une sur dix décède après une crise cardiaque. C'est beaucoup plus que les hommes. Le profil des victimes explique en partie cela, selon le Dr Manzo-Silberman.
"Lorsqu'on regarde les cas d'infarctus, on voit qu'il se produit en moyenne 10 ans plus tard chez les femmes que les hommes", indique la cardiologue. A cet âge avancé s'ajoutent d'autres pathologies qui fragilisent l'organisme : diabète, hypertension, antécédents d'incidents vasculaires…
Mais "même en prenant en compte ces paramètres, une surmortalité féminine persiste, note Stéphane Manzo-Silberman. Le rapport est de 1.8 dans la première semaine suivant l'hospitalisation." Et les spécialistes restent incapables d'expliquer cet écart.
Un flou d'autant plus inquiétant que la crise cardiaque frappe des femmes de plus en plus jeunes. D'après Santé publique France, le taux d'hospitalisation chez les moins de 65 ans a augmenté depuis 2008. Dans la tranche des 45-54 ans, cette progression est même de 5 % par an.
Parce qu'il y a trois périodes à risque
Variations hormonales, grossesses, contraception… La vie cardiovasculaire d'une femme est parcourue d'événements clés. Et certains doivent être particulièrement surveillés car ils peuvent être l'occasion de mettre en place des actions préventives. Trois périodes "à risque" sont à retenir.
La première, c'est la prescription d'une contraception. Selon les antécédents familiaux et le mode de vie, le choix de la méthode peut varier du tout au tout. "L'association du tabac et de la pilule augmente surtout le risque de thromboses veineuses", souligne Stéphane Manzo-Silberman.
Le risque cardiaque, lui, n'est augmenté que par les pilules orales combinées (dites oestro-progestatives), avec de fortes doses d'œstrogènes. "C'est dû à des modifications dans la façon dont les lipides sont métabolisés et dont la paroi des artères réagit", explique la cardiologue.
"La balance hormonale s'effondre"
La grossesse peut elle aussi nécessiter une surveillance renforcée, en cas de diabète gestationnel, d'hypertension artérielle gravidique ou encore de naissance prématurée. "Ces complications sont un facteur de risque d'incident cardiovasculaire. Il faut donc une vigilance accrue", insiste la spécialiste.
Dans la mesure où une quantité non négligeable de sang s'ajoute au circuit, des maladies cardiaques peuvent aussi se révéler – alors qu'elles étaient restées asymptomatiques.
Mais la période charnière pour le cœur d'une femme, c'est sans nul doute la ménopause. "La balance hormonale s'effondre. L'imprégnation d'œstrogènes au niveau des artères diminue de façon importante", détaille le Dr Manzo-Silberman.
La protection hormonale dont bénéficiaient, jusqu'ici, ces dames, disparaît. Et le risque cardiovasculaire redevient équivalent à celui des hommes. Si on y ajoute la fréquente prise de poids à ce moment de la vie, un bilan annuel est nécessaire.
Parce que le diagnostic est tardif
L'égalité des sexes est pourtant loin d'être établie en cardiologie. Si les femmes doivent protéger leur cœur et leurs artères, elles bénéficient moins du suivi qui le permet. Ainsi, 44 % des hommes souffrant d'hypertension seraient dépistés contre seulement 23 % de leurs paires d'après la Fédération Française de Cardiologie.
Il en va de même pour la crise cardiaque, repérée plus tard si elle touche le sexe féminin. Le Dr Manzo-Silberman y voit une raison principale. "La victime se sent moins concernée et tarde à consulter, analyse-t-elle. En cas d'infarctus, les femmes appellent moins souvent le 15 que les hommes. Elles vont plutôt chez leur médecin ou leurs urgences."
Une désinvolture qui aggrave considérablement le pronostic. Car les traitements adaptés ne peuvent plus toujours être administrés. Mais même après, l'inégalité se poursuit, selon la FFC. 87 % des femmes reçoivent de l'aspirine en prévention d'une récidive contre 90 % des hommes.
Parce que les maladies diffèrent
Le problème, c'est que les maladies cardiovasculaires ne se traduisent pas toujours de la même façon selon le sexe. L'exemple de l'athérosclérose – un dépôt de plaque composée de lipides sur les parois des artères – est particulièrement parlant. La morphologie de cette plaque est totalement différente.
"Chez la femme, l'artère réagit en se remanient : elle se déforme plus, pour s'élargir et compenser l'obstruction créée par la plaque, explique le Dr Stéphane Manzo-Silberman. On trouve donc moins de rétrécissement obstructif par rapport aux hommes."
Mais ces particularités féminines ne sont pas toujours prises en compte, ce qui peut représenter une perte de chances. D'autant que les données disponibles sont datées. "Jusqu'à présent, on considérait que l'entrée dans la maladie cardiovasculaire se faisait plus souvent par un AVC qu'un infarctus chez les femmes. Mais ces données sont datées, reconnaît la cardiologue. Les taux d'infarctus chez les femmes de moins de 60 ans ont augmenté de 20 % sur les 6 dernières années."
Parce que les facteurs de risque sont les mêmes
Jusqu'à récemment, on avait coutume d'affirmer que les femmes étaient protégées des maladies cardiovasculaires. On vient de le voir, cette idée reçue est fausse. "Cette protection avait été imputée à l'action des hormones féminines, explique le Dr Manzo-Silberman. Mais elle semble être moins efficace devant les facteurs de risque classiques, de plus en plus fréquents chez les femmes."
Le tabac, par exemple, s'est réellement démocratisé auprès des femmes et des jeunes. Au dernier bilan, un tiers des Français fument, tout comme un quart des Françaises. Obésité et diabète touchent, eux aussi, de plus en plus la population féminine.
Le problème, c'est que ces messieurs semblent mieux armés face à ces facteurs de risque cardiovasculaire. "Le tabac est encore plus délétère et agressif chez les femmes que chez les hommes, illustre la cardiologue. Et il n'existe pas de seuil en dessous duquel le risque n'existe pas."
Le diabète, quant à lui, augmente de 3 à 7 fois le risque de mortalité cardiovasculaire chez la femme, quand il se contente de le doubler chez l'homme. Mais ce savoir statistique ne s'est pas encore transmis dans la pratique quotidienne. Au détriment des victimes.
Sources
La santé du cœur des femmes : une urgence !, Fédération française de Cardiologie, consulté le 2 février 2018
Infarctus du myocarde chez la femme : évolutions des taux d’hospitalisation et de mortalité, France, 2002-2013, Amélie Gabet et al, Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 18 septembre 2015