Voyager à en perdre la raison

Il n'est pas exceptionnel que certains troubles psychologiques apparaissent au décours d'un voyage. Selon les cas, ils sont indépendants de toute maladie psychiatrique avérée. Parfois, ils sont révélateurs de celle-ci ou d'une fragilité psychologique sous-jacente. Plus rarement, c'est la maladie psychiatrique elle-même qui pousse l'individu au voyage.
Une fragilité psychologique qui se révèle à l'arrivée...
Cette situation est la plus fréquente. Un touriste, une fois arrivé à destination, se met à se comporter bizarrement et de façon inhabituelle : il harangue la foule, il déambule au milieu de la voie publique, il n'arrive plus à dormir, etc. Dans ce cas, le voyage, accompagné du choc culturel et de l'éloignement des habitudes, agit comme un puissant facteur de stress qui vient révéler une fragilité psychologique sous-jacente, dont le sujet ou son entourage n'avait pas toujours conscience. Le trouble du comportement vient révéler le plus souvent une angoisse, une dépression, un mal-être antérieur au voyage, ce dernier facteur agissant comme un catalyseur.
Un voyage qui s'inscrit dans un délire dès le départ...
Lorsque le voyage s'inscrit dès le départ dans le délire de la personne, les médecins parlent de « voyage pathologique ». Ainsi en est-il d'une femme qui se sent appelée, victime d'hallucination auditive au cours d'un délire mystique, par la voix de la vierge Marie à se rendre à Notre-Dame. Ainsi en est-il aussi d'un homme, qui, se prenant pour le Messie, part sauver l'humanité en se rendant au Mur des Lamentations à Jérusalem. Evidemment, dans ces situations, la maladie psychiatrique est préexistante au voyage et c'est même elle qui conduit au départ lors d'une bouffée délirante, dans un moment de rupture avec le réel. Plus rarement, le voyage est à l'origine d'un premier épisode de bouffée délirante, qui vient révéler une maladie psychiatrique comme la schizophrénie, affection qui apparaît surtout chez des jeunes adultes, population adepte de voyage.
Un voyage qui devient pathologique suite à un choc artistique
Ce trouble est appelé spécifiquement le « syndrome du voyageur ». Il s'agit en fait d'un état d'extase lié au choc émotionnel provoqué par une oeuvre d'art. Brutalement, le sujet est en proie à un vertige, avec perte du sens de l'orientation, il ressent de violentes douleurs dans la poitrine et une accélération du coeur. Il croit « perdre ses esprits », traversant tour à tour un état d'exaltation, un sentiment de toute puissance, parfois un état de panique accompagné d'une intense peur de mourir. Le plus souvent, les personnes retrouvent leurs esprits en quittant le lieu à l'origine de ce choc. Selon les villes ou les oeuvres d'art en cause, différentes manifestations sont possibles. Le Syndrome de Stendahl est le premier syndrome du voyageur a avoir été reconnu. Il doit son nom au célèbre écrivain, Stendhal, qui le premier, en 1817, dans ses carnets de voyage, a fait la description ce que lui-même a ressenti en sortant de l'Eglise Santa Croce à Florence. Aujourd'hui encore, chaque année, les urgences des hôpitaux de Rome et de Florence reçoivent des touristes en proie à ce même tourment.
Un voyage qui devient pathologique suite à un choc mystique
Le Mur occidental ou mur des Lamentations à Jérusalem provoque aussi son cortège de manifestations pathologiques, dans un contexte de choc mystique plutôt qu'artistique. Par analogie avec le syndrome de Stendahl, il porte le nom de syndrome de Jérusalem. Les médecins de la ville sont habitués à recevoir dans les services d'urgences de faux messies et quantités d' «illuminés », attirés par l'aura mystique du Mur. Leur vigilance a d'ailleurs redoublé au moment du passage au deuxième millénaire. Ce syndrome peut atteindre trois types de personnalités : certaines n'ont jamais eu aucun trouble psychiatrique mais sont brutalement victimes d'un désir de pureté; certaines, déjà fragiles s'identifient à un personnage de la Bible, d'autres encore se croient investies d'une mission particulière. D'autres lieux saints provoquent aussi ce type de manifestation. Les médecins de l'Hôtel Dieu* (à côté de Notre-Dame) observent régulièrement le syndrome de Paris, souvent provoqué à l'issue d'une visite à Notre-Dame. Les japonais seraient particulièrement sujets à ce type de syndrome qui peut comporter des expressions particulières comme une dépression les conduisant parfois à une tentative de suicide, voire à des délires de persécution.Le syndrome de l'Inde** : des troubles hallucinatoires ou délirants sont fréquents en Inde, pays dont la puissance mystique, mêlée à l'extrême pauvreté, bouleverse les voyageurs les plus rationalistes. Les sujets entrent dans des états d'errance ou d'extase, nécessitant le plus souvent un rapatriement sanitaire. Le simple retour en occident règle le plus souvent la situation.
* Une consultation spécialisée pour touristes égarés à Paris
En Hôpital Hôtel-Dieu (à proximité de Notre-Dame), une consultation spécialisée accueille les touristes en proie à des troubles psychologiques. Coordonnées : 1, Place Parvis Notre-Dame - 75004 ParisTel standard : 01 42 34 82 34
Pour en savoir plus
** Régis Airault, Fous de l'Inde : délires d'Occidentaux et sentiments océaniques, Editions Payot 2000. Pour commander en ligne sur www.alapage.fr : cliquez ici