Serious games : mieux se soigner en s'amusant ?

Serious games : apprendre sans s’en rendre compte
Jeux sérieux. A priori deux mots qui ne vont pas ensemble. Et pourtant, l’aspect ludique du jeu vidéo remplace l’impression laborieuse d’apprendre. L’évaluation des connaissances s’intègre même au jeu : la personne n’a pas l’impression d’être évaluée.
Pr Philippe Robert, président du Centre Mémoire de Ressources et de Recherche de Nice : « Le jeu est un facteur de motivation. C’est très positif si cette motivation permet de mieux s’informer ou suivre une rééducation, un entraînement. Le serious game devient un outil supplémentaire pour les professionnels de santé mais aussi pour les patients eux-mêmes ».
Sensibiliser sur la maladie grâce à un serious game
Certains serious games jouent la carte de la prévention, de la santé et du bien-être en général, par exemple pour lutter contre la sédentarité, dans une approche de coaching.
Certains permettent de se former. C’est le cas de « Save our soul », un serious game immergeant le joueur dans la peau d’un secouriste professionnel (téléchargeable sur AppelStore).
Mais une part importante des serious games est destinée au malade lui-même, à ses proches et/ou au grand public avec pour vocation de sensibiliser et d’informer sur une maladie. Par exemple, « Théo et les psorianautes » est un serious game gratuit sur le psoriasis destiné aux enfants de 6 à 11 ans.
Jérôme Leleu, président d’Interaction Healthcare, entreprise conceptrice de serious games en santé et éditeur de « Théo et les psorianautes » : « Le psoriasis est une maladie chronique de peau à fort impact psychologique. Ce serious game a une vertu d’éducation thérapeutique, mais aussi de sensibilisation par rapport aux autres enfants, de vulgarisation auprès du corps enseignant ».
En direction des malades, le serious game permet aussi une éducation thérapeutique à la carte, dans l’optique d’adapter et de personnaliser les séances d’éducation sur la maladie ou le maniement des thérapeutiques à partir des résultats obtenus au jeu.
Prendre soin de soi grâce aux jeux vidéo
L’un des principaux objectifs des serious games est de fournir, sans en avoir l’air, à la personne souffrant d’une maladiedes connaissances sur les traitements, afin de favoriser l’observance et de mieux gérer la vie au quotidien avec la maladie.
Le domaine du diabète est l’un des pionniers, avec le mythique "L’Affaire Birman" , un jeu d’aventure dont l’objectif est de permettre aux diabétiques traités par insuline de s’exercer à la méthode de l’insulinothérapie fonctionnelle, c’est-à-dire de déterminer les doses d’insuline nécessaires en fonction de la glycémie du moment, de la quantité de glucides du repas et de l’activité physique prévue.
"Glucozor" est pour sa part un serious game destiné aux enfants diabétiques de type 1. Ils doivent apprendre à un dinosaure diabétique à gérer ses hypoglycémies et hyperglycémies. Il est téléchargeable gratuitement sur GooglePlay et AppleStore.
Des jeux thérapeutiques pour la mémoire ou après un AVC
Les serious games se font aussi thérapeutiques, sortes de e-médicaments sur prescription.
Exemple récent, X-Torp (développé par le Pr Philippe Robert et son équipe) est même plus exactement un exergame, c’est-à-dire qu’il combine exercices physiques et de stimulation cognitive. Il s’adresse aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et autres troubles cognitifs à un stade léger. Dans ce jeu d’aventure, le patient installé à bord d’un sous-marin vit une expérience de jeu immersive qui mêle survie, gestion des ressources et batailles navales. X-Torp peut être envisagé comme un véritable complément aux traitements traditionnels de la maladie pour améliorer la qualité de vie. Il est d’ores et déjà mis gratuitement à la disposition des professionnels de santé
En cas de troubles de l’attention ou de plaintes mémoire, il existe aussi les jeux simples du MeMo pour travailler les fonctions cognitives (gratuits)*.
L’autre créneau où excelle le serious game est celui de la rééducation fonctionnelle. Le jeu sérieux thérapeutique Voracyfish est un serious game de rééducation des membres supérieurs pour les victimes d'accident vasculaire cérébral (AVC). Le bras de la personne guide un poisson qui doit tout dévorer sur son passage. Il est disponible pour les professionnels de santé, gratuitement sur curapy.fr.
Dr Eudes Menager de Froberville, praticien neurovasculaire à l’hôpital Saint Antoine (Paris) et créateur de serious games : « Dans la rééducation, la place du serious game permet à des patients souffrant de déficiences et de douleurs de passer outre pour obtenir le plaisir durable ou ponctuel de réussir à atteindre l’objectif, la satisfaction de dire "je progresse" ».
Lutter contre les phobies et addictions passe aussi par le jeu
La réalité virtuelle, qui permet de coupler la rééducation cognitive et la rééducation motrice, est exploitée par certains serious games comme dans les addictions (sevrage tabagique) et les phobies. Au CHU de Marseille, le psychiatre Éric Malbos a conçu des casques de réalité virtuelle et des univers associés pour traiter les phobies (peur du vide, de la foule, des lieux fermés…). Les patients sont virtuellement amenés à affronter leur angoisse. Dans son laboratoire de cyber-psychologie à l'Université du Québec, le Dr Stéphane Bouchard a construit un cube immersif en 3D où les patients peuvent affronter leurs peurs.
Des serious games servent aussi d’accompagnement thérapeutique post-traumatique après une agression, pour réapprendre à vivre en société.
Serious games : peut-on faire confiance ?
En règle générale, pour la validation des contenus, les concepteurs de serious games recherchent la caution d’experts médicaux, de sociétés savantes (dont la Société française de radiologie par exemple pour un jeu serious sur l’IRM expliqué aux patients...), de socio-anthropologues etc.
Le serious game X-Torp s’est plié à une évaluation clinique en bonne et due forme. L’étude pilote est parue dans une publication scientifique internationale (Journal of Alzheimer’s Disease). Le jeu, au rythme de trois séances hebdomadaires avec un thérapeute pendant six semaines, s’est révélé efficace sur le temps d’activité physique, la fréquence cardiaque mais aussi la motivation et l’amélioration avant/après des performances cognitives.
Néanmoins, il n’existe pas aujourd’hui d’évaluation indépendante et de nombreux projets souffrent d’un manque d’évaluation.
Jérôme Leleu : « Aujourd’hui, les serious games sont financés par des acteurs privés (laboratoires, mutuelles) car ni les patients ni les professionnels de santé ne font la démarche de l’acheter. Ils se développent dans de nombreuses maladies mais trop lentement. Le financement est le frein majeur. Le coût moyen d’un serious game tourne autour de 60 000 euros, ce qui freine l’innovation et l’élaboration de jeux très développés. Intégrer la 3D multiplie considérablement les coûts ».
Sources
D’après des entretiens avec le Pr Philippe Robert, président de l'Association Innovation Alzheimer et directeur de l'équipe de recherche CoBTeK et du Centre Mémoire de Ressources et de Recherche de Nice, M. Jérôme Leleu, président d’Interaction Healthcare et le Dr Eudes Menager de Froberville, praticien neurovasculaire à l’hôpital Saint Antoine (Paris).
www.theoetlespsorianautes.fr
www.curapy.com
www.gluciweb.com
www.memory-motivation.org