PMA : une éthique de santé à 2 vitesses

Vous ne le saviez peut-être pas, mais nous sommes un pays kantien. Pourquoi ? Tout simplement parce que le principe éthique dominant en France est celui de la dignité. Se référant au grand philosophe dont la maxime était : « Traite toujours autrui comme une fin et jamais seulement comme un moyen », il est interdit d’utiliser toute personne, y compris soi-même, comme un moyen. C’est ainsi qu’il est impossible en France de vendre ou d’acheter tout organe, y compris du sperme ou des ovocytes.
Principe de dignité contre principe de liberté
A première vue, cela paraît hautement moral. Pourtant, il existe d’autres principes éthiques tout aussi valables moralement. Le principe de liberté domine en Belgique ou en Espagne, chacun étant davantage libre de faire ce qu’il veut de lui-même, comme de vendre son sperme ou ses ovocytes ou d’en acheter.
Le principe de dignité est-il supérieur à celui de liberté ?
Ne cherchez pas : il n’y a pas de réponse universelle à cette question qui correspond à un choix de société. Tout choix éthique doit ainsi correspondre à une démarche collective.
Mais il existe d ’autres principes éthiques comme celui de la justice. Je pense que vous serez d’accord avec moi pour considérer que le fait d’être riche et de pouvoir aller à l’étranger pour s’offrir une PMA interdite en France est injuste pour les plus pauvres. Aux riches la liberté et aux pauvres la dignité ?
L’argent, les voyages et les offres sur internet, bousculent ainsi nos traditions éthiques. Du reste, pour « équilibrer » cette injustice, la Sécurité sociale prend en charge, et c’est tout à son honneur, jusqu’à 1600 € les dons d’ovocytes lorsqu’ils sont effectués en Europe…
Qu’aurait dit Kant lui-même ?
Avec le mariage pour tous, la demande va augmenter de manière considérable et Kant va être très chahuté. S’agissant d’une logique collective, il sera naturellement demandé au Comité national d’éthique, donc aux Sages, de se prononcer. Qu’aurait dit Kant lui-même ?
La première hypothèse serait de l’imaginer droit dans ses bottes et intraitable.
Mais la seconde serait de l’imaginer évoluer et s’adapter à son temps, ce dont il était parfaitement capable. Par exemple, dans son Projet de paix perpétuelle, il prédit parfaitement la domination européenne et le colonialisme. Il explique aussi que le plus grand des pouvoirs est celui de l’argent et que c’est par l’enrichissement que la paix pourra devenir universelle. Autrement dit, c’est en s’appuyant sur les penchants naturels humains, et non pas en s’y opposant, que l’on dirige au mieux une société vers la paix et, j’ajouterai, vers toute aspiration socialement élevée.
Choisir la dignité pour tous
Est-ce à dire qu’en autorisant un jour le commerce médicalisé des ovocytes ou du sperme en France nous en aurons fini avec Kant ? Non, tout simplement parce que la maxime du philosophe peut se lire de manière collective, mais aussi de manière individuelle : « Traite toujours autrui comme une fin et jamais seulement comme un moyen ». Si la fin d’une personne est de me vendre des ovocytes, je ne devrais pas me contenter de l’utiliser « seulement » comme un moyen, mais je devrais toujours m’assurer de respecter sa dignité. S’il est un jour autorisé, un tel commerce ne sera jamais un business comme les autres.
Puisque l’argent, les voyages et internet nous y poussent, et pour en finir avec une éthique de santé à deux vitesses, à nous de vraiment poser la question de la dignité, en choisissant une dignité pour tous, tant pour les plus riches que pour les plus pauvres. Après le mariage pour tous, la dignité pour tous s’impose, c’est-à-dire une dignité qui respecte le principe de justice pour tous, tout en prenant en compte nos penchants naturels et humains.
Source : Le Parisien 5 février 2013