Perturbateurs endocriniens : sont-ils responsables de l’augmentation des cas de cancers ?

Le nombre de cas de cancers en France a presque doublé en 30 ans, d’après un rapport récemment publié par l’Institut National du Cancer (Inca).

Les cancers sont en progression à hauteur de 98 % chez les hommes et 104 % chez les femmes.

Dans ce même rapport, l’Inca expose deux causes à l’augmentation des cas de cancers en France :

• L’évolution démographique de la France, avec le vieillissement de la population. Ceci expliquerait 78 % des cas supplémentaires de cancer chez l'homme et 57% chez la femme.
• L’exposition aux facteurs de risque dus au mode de vie (alimentation, alcool, tabac…) expliquerait 47 % des cas supplémentaires de cancer chez la femme et 20 % chez l'homme.

Parmi ces facteurs de risques liés au mode de vie, nous sommes intéressés à l’implication des perturbateurs endocriniens.

Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien ?

Un perturbateur endocrinien est une molécule exogène à l’organisme, qui est le plus souvent de nature chimique et industrielle et qui va mimer ou bloquer une hormone normalement sécrétée par l’organisme. « Il peut également jouer sur les concentrations hormonales circulantes et sur l’effet des hormones dans l’organisme, ce qui peut induire un effet néfaste sur la descendance » déclare le docteur Chevalier.

Perturbateurs endocriniens : ils sont partout

Les perturbateurs endocriniens sont partout autour de nous. On en trouve dans l’alimentation via les migrats d’emballages, les plastiques autour des aliments.

Les aliments sont également contaminés par les pesticides qui sont utilisés dans les cultures. La pollution atmosphérique contamine également les aliments en se dispersant, par exemple, sur les fruits et les légumes.

Dans votre cuisine...

Le secteur de la cuisine est également vecteur de perturbateurs endocriniens. Lorsque l’on fait chauffer les aliments dans des contenants en plastique, ceux-ci peuvent être contaminés.

Le bisphénol A, utilisé dans la fabrication des plastiques, figure parmi les principaux perturbateurs endocriniens avérés. Il a été classé en 2017 comme « substance extrêmement préoccupante » en France.

Dans les cosmétiques, les textiles, l’ameublement…

Le domaine de la cosmétologie est lui aussi vecteur de perturbateurs endocriniens, aussi bien dans la formulation que dans l’emballage.

On note également la présence de perturbateurs endocriniens dans les textiles, notamment dans les fibre ou les pigments utilisés dans les revêtements de certains habits.

Le secteur de l’ameublement est concerné avec les revêtements anti-feu, les peintures…

Perturbateurs endocriniens : quel est leur rôle dans le développement des cancers ?

L’implication du chlordécone dans le cancer de la prostate est bien connue. Pour rappel, ce pesticide a été utilisé dans les bananeraies des Antilles jusqu’en 1993. Les sols et les eaux ont été durablement contaminés, ce qui impacte encore aujourd’hui le secteur de l’alimentation. L'expertise Inserm pesticides et santé publiée en 2021 a conclu à la présomption forte d'un lien entre l'exposition au chlordécone de la population générale et le risque de survenue de cancer de la prostate.

Les perturbateurs endocriniens ont un rôle dans l’apparition de certains cancers comme celui du sein. Le docteur Chevalier explique pourquoi : « Certains perturbateurs endocriniens persistent dans notre organisme, ce qu’on appelle les polluants organiques persistants. Ils vont rester dans le tissu adipeux (tissu qui stocke les graisses) et avoir une action à long terme. Un certain nombre d’entre eux ont une homologie structurale qui leur permet d’avoir le même effet que les œstrogènes sur l’organisme. On sait par exemple que le bisphénol A est carcinogène au niveau du sein ainsi qu’au niveau du testicule. »

Certains perturbateurs endocriniens comme le distilbène sont impliqués dans l’apparition de certains cancers comme ici celui du vagin. Toutefois, selon le spécialiste, l’apparition d’un cancer est bien souvent multifactorielle, ce qui rend difficile la définition des causes des cancers : « Plusieurs facteurs vont rendre confusiogène l’analyse. Pour reprendre le cas du chloredécone, on a longtemps dit qu’en Guadeloupe ou en Martinique, l’incidence du cancer de la prostate était principalement due à l'originine ethnique des habitants… »

Perturbateurs endocriniens : sont-ils responsables de l’augmentation des cas de cancer en France ?

Les cas de cancers augmentant en France, la définition des causes est importante. Les perturbateurs pourraient, de façon très probable, dans certains cas, être la cause de l’augmentation des cas de cancers. Nous sommes en effet encore très exposés à ces molécules néfastes.

« Cela est délicat à affirmer car, comme expliqué plus haut, il est difficile de parvenir à discerner la part attribuable à ces polluants. Probablement que dans des zones très exposées, on a un surrisque de cancer et qu’une part est attribuable aux polluants. Si on prend l’exemple du DDT ou de PCB, un certain nombre d’entre nous a encore des traces dans l’organisme, il est lié à la survenue du cancer du sein. Chez une personne n’ayant pas de facteurs de risque particuliers, on pourrait très bien penser que ces molécules pourraient être la cause de l’apparition de certains cancers » détaille le docteur Chevalier.

Perturbateurs endocriniens : où en est-on en termes de réglementation ?

Le grand public s’est, de façon très précoce, emparé de la problématique des perturbateurs endocriniens. Toutefois, au départ, il lui était difficile d’obtenir des réponses à ses interrogations d’après le docteur. Les professionnels de santé ne disposaient pas d’assez d’éléments pour lui répondre ou niaient l’existence des perturbateurs endocriniens.

« Un enjeu citoyen lié à la problématique des perturbateurs endocriniens a émergé, ce qui a fait réagir les politiques. L’Europe a commencé à s’y intéresser aux alentours des années 2018 et 2019. Cette année, la Société européenne d’endocrinologie a inscrit les perturbateurs endocriniens comme une thématique d’enjeu public » précise le docteur Nicolas Chevalier.

Le site Internet 1 000 Premiers Jours a été mis en place pour alerter les femmes enceintes et les jeunes enfants. Les pages du Ministère de l’écologie ont été mises à jour sur les perturbateurs endocriniens, tout comme le site de Santé publique France. « Nous sommes en attente de l’étiquetage obligatoire de certains produits : alimentation, cosmétologie et jouets. Ces produits doivent être tagués d’un QR afin d’informer la population sur les perturbateurs endocriniens présents dans ceux-ci » conclut le spécialiste.

NDLR : Depuis notre échange avec le Professeur Chevalier, le décret relatif à l'étiquetage a été signé dans la nuit du 12 au 13 octobre, cela est désormais obligatoire.