Parentalité tardive : un effet de mode inconscient ?

PsychoEnfants : Quelles sont les raisons qui poussent les parents à faire un bébé “sur le tard” ?
Myriam Szejer : Il y a sans doute autant de raisons que de cas. Mais il faudrait d’abord savoir pourquoi il n’y en a pas tant que ça… Souvent, les parentalités hypertardives sont issues de couples recomposés, où l’un des deux conjoints est plus jeune que l’autre, mais ce n’est pas une majorité de cas. Il y a encore beaucoup de couples qui vieillissent ensemble, et d’autres séparés qui ne veulent plus d’enfants, sans parler des complications potentielles liées à la santé qu’une parentalité tardive peut engendrer et qui freinent les candidats…
Etre père ou mère très tard, est-ce un moyen de rester jeune coûte que coûte ?
M. S. : Chez les femmes, à partir de la cinquantaine, il n’y a plus de grossesses spontanées. Chez les hommes, on observe une nette baisse de la virilité après 60 ans. Le Viagra a pallié ce désagrément physique. Mais, pour l’un comme pour l’autre, procréer tardivement est en effet sans doute un moyen de s’éloigner de la mort, de stopper la fatalité du vieillissement, en devenant parent à un âge où d’autres sont grands-parents.
En termes de modèle éducatif, ces parents sont-ils plus laxistes que les parents plus jeunes ?
M. S. : Oui, sans doute, car en vieillissant on devient plus réaliste, on se connaît mieux, et l’on a fait le tri dans ses convictions…
Donc ils sauraient mieux ce qu’ils veulent pour leur enfant…
M. S. : Permettez-moi d’en douter… Le temps leur a fait perdre un idéal d’éducation qui produirait un “enfant idéal”… À 20 ou 30 ans, les parents ont des modèles peut-être un peu stricts, des idéaux du “bon enfant”, relayés par les modèles éducatifs dont ils sont issus, qu’ils choisissent de suivre ou pas. L’écoulement du temps les a éloignés de ces schémas et de ces repères. De plus, poser la loi et les limites d’un enfant demande de l’énergie, de la persévérance, de la force. Sans parler des premières nuits difficiles, on peut dire que l’on a quand même moins d’énergie à 60 ans qu’à 30, non ?
Pensez-vous que ces pères investissent suffisamment leur enfant ?
Pour les paternités tardives, le désir d’enfant reste souvent exprimé par la conjointe, que l’homme ne veut pas contrarier.
M. S. : Certes, ils courent moins que les trentenaires qui doivent travailler, suivre les devoirs et essayer d’avoir une vie de couple en même temps… Sans doute investissent-ils leur enfant, attendris par une descendance qui leur donne un coup de jeune. Cet enfant les gratifie, les virilise, à tel point qu’il me semble qu’ils investissent plutôt euxmêmes, leur image. Le vieillissement les déstabilise, comme si l’âge créait à nouveau chez eux le besoin d’être admirés, comme les petits garçons qu’ils étaient dans le regard de leur mère. Voilà pourquoi ils ont tendance à “rajeunir les cadres” et à se trouver une femme plus jeune. De plus, s’ils investissaient vraiment l’enfant, ils ne les concevraient pas en sachant qu’ils vont en faire un orphelin de père dans peu de temps…
Pour finir, les enfants issus de maternité ou de paternité tardives sont-ils plus hantés par la peur de la mort de leurs parents que les autres ?
M. S. : Je n’en suis pas sûre, ils savent, plus qu’ils ne craignent. Si ce n’est pas le cas, les copains ou l’entourage leur font remarquer, d’une manière pas toujours agréable « C’est ton papi qui t’attend ? ». Les petits garçons, par exemple, ont besoin de s’identifier à un père fort. Ils vont donc se plaindre que leur père joue moins au foot avec eux. Cela dit, pour les stars, d’autres éléments peuvent compenser au niveau symbolique, comme voir leur père adulé par la foule. Mais, tout le monde n’est pas une star…
Que dit la loi ?
La loi française définit la procréation médicalement assistée comme étant destinée à répondre à la demande parentale
d’un couple, formé d’un homme et d’une femme. Elle remédie à l’infertilité d’un couple en âge de procréer dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué (article L 2141-2 du Code de la santé publique). La loi ne donne donc pas de limite d’âge, mais la Sécurité sociale ne rembourse pas les tentatives de fécondation in vitro (FIV) au-delà du 43ème anniversaire. Le recours a la FIV reste donc possible au-delà, à condition d’en avoir les moyens…
Crise existentielle
Alan Spurs, chercheur en psychologie à l’université de Boston, a étudié pendant cinq ans 189 hommes et femmes devenus parents après 60 ans. L’objectif étant de dresser un portrait psychologique de ces parents et de saisir les raisons de leur motivation. Selon le chercheur américain, dans 90 % des cas, ces hommes et femmes seraient sujets à des dépressions chroniques, leur besoin tardif d’enfant devenant une façon de résoudre la crise existentielle profonde qu’ils vivent. « Très souvent, a remarqué le chercheur, ces naissances sont vécues par les parents comme une façon de se réparer, de combler leurs failles. Si leur état psychoaffectif est vraiment fragile, alors cette parentalité peut échouer, générant un profond sentiment d’insécurité chez l’enfant. » Une situation qui néanmoins n’est pas majoritaire, selon le chercheur.
À lire…
- Ces neuf mois-là, Myriam Szejer et Francine Dauphin, éd. Robert Laffont, 15€
- Devenir parents, Maguy Domergue et Marie-Christine Ray, éd. de l’Atelier, 13€
Sources
Interview : Myriam Szejer, pédopsychiatre et psychanalyste consultant en néonatalogie à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart. Elle vient de publier, avec le Pr René Frydman, l’ouvrage collectif La Naissance, aux éditions Albin Michel.