Nutrition du sujet âgé : en croyant bien faire, on multiplie les erreurs !

Publié par Dr Stéphanie Lehmann
le 5/02/2001
Maj le
7 minutes
Autre
Contrairement à certaines idées reçues, les besoins nutritionnels après 70 ans sont quasiment identiques à ceux des adultes plus jeunes, surtout si une activité physique est maintenue. Les disciplines alimentaires et les conseils de modération peuvent être néfastes, d'autant que les sujets âgés ont souvent une consommation alimentaire légèrement déficiente. Il suffit alors d'un léger problème digestif ou d'une infection passagère pour les faire basculer dans une vraie dénutrition qui est difficile à soigner.

Avec l'âge, les réserves nutritionnelles baissent ...

C'est le résultat d'un phénomène normal du vieillissement: la fonte musculaire. Les muscles squelettiques perdent la moitié de leur poids entre 20 et 80 ans, et les muscles restants n'ont plus la même qualité de fonctionnement. Ce tissu "noble" perdu est remplacé peu à peu par du tissu fibreux et graisseux.En situation de crise comme une infection sévère ou une intervention chirurgicale, le muscle joue un rôle de réserve de protéines (utilisées pour aider le fonctionnement du système immunitaire). Il s'épuise, les déplacements deviennent pénibles et les risques de chute augmentent. L'autonomie baisse, finalement la qualité de vie diminue.

... et les ennuis digestifs augmentent !!!

Tous les niveaux de la digestion sont plus ou moins touchés: · les glandes salivaires travaillent moins bien, la bouche s'assèche et la sensation du goût se perd. Ce phénomène est largement aggravé par la prise de certains médicaments, une alimentation trop monotone, et une carence en zinc;· l'état bucco dentaire se dégrade (d'autant plus fréquemment que les soins coûtent cher). On mastique moins, donc on digère moins (parfois de bonnes gencives sont plus utiles qu'un mauvais dentier !!!);· la vidange de l'estomac est plus lente, il fabrique donc peu d'acides gastriques, favorisant la prolifération microbienne et diminuant l'absorption du calcium et de la vitamine D;· le pancréas supporte moins bien les repas trop gras et trop abondants. Le foie conserve sa fonction mais devient plus sensible aux médicaments (attention aux surdosages !);· le transit intestinal est ralenti, rendant la constipation très fréquente.

Pourtant, on peut vieillir en pleine forme : il suffit de répondre aux besoins de son corps

Les besoins nutritionnels doivent être évalués en fonction des activités de la vie quotidienne. Ils dépendent de chaque individu, de son environnement et des ressources dont il dispose. Mais de façon générale on connaît les grandes règles à suivre:

Les besoins énergétiques : ne pas basculer en zone rouge

Le corps consomme de l'énergie pour son fonctionnement de base. Ses besoins augmentent lors des activités physiques (marche, jardinage, cuisine). Quand l'âge avance, les besoins de base sont les mêmes mais ce sont les activités physiques qui diminuent. Un sujet de plus de 65 ans, en bonne santé, a des besoins énergétiques équivalents à ceux d'un adulte plus jeune dont l'activité physique serait la même. Alors attention à ne pas se tromper: si l'état physique le permet, mieux vaut faire de l'exercice que de réduire ses apports en énergie. En pratique une vie avec une activité physique modérée provoque des besoins proches de 1800 à 2000 kcal/j pour un homme de 60 Kg. Mais quelque soit l'âge, une consommation quotidienne de moins de 1500 kcal/j ne peut couvrir les besoins en vitamines et sels minéraux, même si l'alimentation est variée.En clair il faut surveiller son poids, mais pour éviter… d'en perdre.

Les besoins en protéine : en cas de manque attention, danger

Pour se maintenir en forme, un adulte doit consommer 1g/kg de poids/jour (soit 60g pour un homme de 60 Kg). Chez les seniors, il est recommandé d'augmenter la prise de protéines à 1,1 voire 1,2 g/kg de poids/jour. En cas de fièvre ou d'infection, de plaies à cicatriser, ces quantités sont encore à majorer. N'oublions pas qu'il n'y a pas de réserves de protéines et que si le corps n'a pas assez d'apport par l'alimentation, il détruira les muscles. Ce type de compensation est une catastrophe pour les sujets âgés, parcequ'une fois le muscle utilisé, il ne pourra plus jamais se reconstituer en totalité. L'organisme de plus en plus fragilisé ne pourra plus se défendre de façon adaptée et à terme, il y a risque vital.En pratique, il faut manger au moins une fois par jour des protéines, en privilégiant l'apport en protéines animales (viandes, œufs, poissons), par rapport aux protéines végétales moins bien équilibrées en acides aminés (légumes secs, céréales).

Les besoins en sucre : ce qui est bon n'est pas forcément mauvais !

Il vaut mieux préférer les sucres complexes (riz, pâtes, pain), aux sucres simples (desserts, confiture) c'est un fait. Mais se priver de petites douceurs ne fait que jouer sur l'appétit en général: il faut garder le plaisir et l'envie de manger.Alors un petit truc: si vous voulez une sucrerie, mangez la en fin de repas et non le ventre vide. C'est une façon de ralentir son assimilation et la glycémie en sera ainsi moins perturbée.

Les besoins en lipides : en finir avec la phobie de l'hypercholestérolémie

Avec l'âge, l'activité de dégradation des graisses est moins performante, et de plus il y a souvent des déséquilibres d'apport. Pourtant elles sont indispensables au bon fonctionnement général du corps. Les besoins quotidiens en acide gras essentiels sont couverts par l'apport d'une cuillère à soupe d'huile végétale.Il est prouvé aujourd'hui que la baisse du cholestérol à un âge avancé (on parle souvent de la huitième décennie) augmente le risque de mortalité. De ce fait, un régime hypocholestérolémiant n'est justifié que lorsqu'il est suivi depuis l'âge adulte, bien toléré, et justifié par une prise de sang et des antécédents personnels ou familiaux de problèmes cardiovasculaires.

Les besoins en vitamine : en principe, pas de soucis

Un sujet âgé en bonne santé a normalement une alimentation suffisamment variée pour ne pas manquer de vitamines. Mais en institution ou à l'hôpital, le risque de manquer de vitamine B est grand (les besoins sont augmentés en cas de maladie, les apports baissent dans les plats acheminés par chaines chaudes).

Les besoins en minéraux : augmenter ses apports en calcium

Le calcium est le seul qui peut manquer du fait de l'âge, d'autant plus que son absorption est de moins en moins bonne. Une alimentation normale apporte 900 mg de calcium par jour, ce qui est suffisant pour l'adulte. Mais certaines études recommandent jusqu'à 1500mg par jour (surtout chez les femmes souffrant d'ostéoporose). Ce taux ne peut être atteint par l'alimentation seule, et le médecin peut prescrire alors un complément médicamenteux.

Les besoins en eau : il faut boire sans soif !

La sensation de soif diminue avec l'âge, les pertes en eau sont aggravées par les traitements diurétiques et laxatifs, et les sujets incontinents diminuent leurs apports pour pallier l'inconfort …Toutes ces raisons font que le plus souvent le corps manque d'eau, ce qui fragilise les reins. Il faut alors s'astreindre à boire un litre et demi de liquide par jour ! Peu importe la forme (eau du robinet ou en bouteille, tisane, potage, thé ou café léger, jus de fruits et de légumes, vin avec modération…). De plus, ce minimum est augmenté en cas de fortes chaleurs en été, de fièvre ou de locaux surchauffés en hiver.

Finalement il faut conserver l'appétit de vivre et le plaisir de manger

Pour garder le plaisir de la table, il ne faut pas hésiter à se faire satisfaction, ni à utiliser des aliments tout prêts faciles à utiliser (surgelés, petits plats des rayons frais, conserves). La famille, les amis, les voisins, les services d'aide à domicile ou de portage de repas peuvent aussi être d'une grande aide.Les interdits en matière alimentaire font sûrement plus de mal que de bien. Les conseils restrictifs doivent se limiter aux gens qui présentent des risques ou qui ont déjà eu des signes d'alarme. Les régimes inutiles sont souvent source de déséquilibre et deviennent parfois dangereux. Les médicaments peuvent aussi diminuer l'appétit. Si c'est le cas, le médecin pourra réadapter le traitement ou le conseiller à un meilleur moment.

Et vous, quelle est votre alimentation ?

Pour le savoir, répondez à toutes les questions(Grille établie par le club francophone gériatrie et nutrition)

Faites-vous au moins trois repas par jour (petit déjeuner, déjeuner, dîner) ?Oui/non
Mangez-vous chaque jour de la viande, du poisson ou des oeufs ?Oui/non
Consommez-vous au moins un produit laitier à chaque repas ?Oui/non
Pensez-vous à alterner les légumes verts et féculents dans vos menus ?Oui/non
Consommez-vous des fruits ou des légumes crus tous les jours ?Oui/non
Pensez-vous à varier les corps gras que vous utilisez pour cuire et assaisonner ?Oui/non
Buvez-vous au moins un litre de boisson par jour sous forme d'eau, vin, tisanes, jus de fruits...?Oui/non
Consommez-vous du pain au cours de vos repas ?Oui/non
Prenez-vous plaisir à manger ?Oui/non

Si vous avez une majorité de "oui", votre alimentation est diversifiée et sans doute satisfaisante. Sinon, veillez à la modifier et parlez-en à votre médecin.

Sources

Arcand-Hebert, Précis pratique de gériatrie. Maloine, 2ème édition, 1997, pp 715-730. B. Lessourd, Evaluation de l'état nutritionnel du sujet âgé. Cah. Nutr. Diet., 34.5.1999, pp 320-328.

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