Femmes à risque de cancer du sein : chirurgie ou surveillance ?

Femmes à haut risque de cancer du sein, prenez le temps de la réflexion
5 à 10% des cancers du sein et 15 à 20% des cancers de l’ovaire sont dus à des mutations génétiques héréditaires bien connues : BRCA 1 et 2. Elles exposent les femmes à un risque compris entre 40 et 85% de développer au cours de leur vie un cancer du sein. Pour le cancer de l’ovaire (cancer pelvien ou tubo-ovarien), le risque est de 40 à 50% pour la mutation BRCA 1 et augmente à partir de 40 ans. Il est de 10-20% pour le BRCA 2 et augmente à partir de 50 ans.
Mais ce qui terrifie à juste titre ces femmes chez qui l’on identifie l’une et/ou l’autre de ces mutations est que leur risque cumulé de développer ces deux types de cancers au cours de leur vie avoisine les 90%.
Krishna B. Clough, chirurgien, cancérologue et plasticien à l’Institut du Sein-Paris : « Il n’y a pourtant aucune urgence à prendre une décision. En effet, le risque annuel de cancer du sein est en moyenne de 3% (4,28% entre 44 et 49 ans, <1% avant 34 ans, 1,59% entre 35-39 ans), ce qui laisse le temps de réflexion indispensable et la prise de plusieurs avis avant toute décision (1). Ce risque est donc de 20 à 30% à 10 ans ».
Les avantages de la surveillance et du dépistage précoce
Les stratégies de prise en charge du fardeau que représentent ces mutations génétiques ne sont pas uniquement chirurgicales. Une surveillance peut être instaurée, dans l’espoir de repérer un cancer précocement et donc à un stade curable dans la majorité des cas.
Dans cette optique, en plus de la mammographie et de l’échographie, l’Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) s’est posée très récemment comme incontournable ; elle découvre des tumeurs mammaires à un stade très précoce, indétectables par les autres imageries. C’est doublement intéressant car ces cancers sont en majorité à possibilité d’extension (dits infiltrants, donc plus agressifs). C’est pourquoi l’IRM est désormais systématique, uniquement chez ces femmes ayant des mutations (2) et non pas pour l’ensemble de la population.
Malheureusement, c’est une notion nouvelle, il est impossible d’assurer aux femmes ayant une mutation BRCA1qu’une détection précoce grâce à l’IRM les met à l’abri d’un cancer agressif… La probabilité de guérison est très forte, mais la survie globale n’est pas de 100%, plutôt aux alentours de 90%. L’IRM semble moins performante pour dépister les cancers dus à BRCA1 qu’à BRAC2 (3).
Krishna B. Clough : « En résumé, les femmes mutées BRCA qui souhaitent conserver leurs seins peuvent suivre un schéma de surveillance clinique tous les six mois et pratiquer tous les ans la triade d’imagerie mammographie -échographie-IRM. Mais si la femme BRCA1 développe une tumeur, nous ne pouvons pas lui assurer que le dépistage précoce lui évitera une chimiothérapie et que ce cancer guérira à coup sûr ».
A quand un traitement hormonal préventif ?
Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Italie, un traitement antihormonal (hormonothérapie) peut être prescrit chez des femmes porteuses des mutations à risque mais indemnes de cancer du sein. Ça n’est pas encore le cas en France. Les experts, dont le Krishna B. Clough, qui ont participé à la rédaction des prochaines recommandations sous l’égide de l’Institut national du Cancer (INCA ; à paraître début 2017), plaident pour cette possibilité thérapeutique. En effet, des études majeures ont montré que plusieurs de ces hormonothérapies réduisaient de moitié la survenue de cancers du sein
Pour l’instant, l’Agence nationale de sécurité du médicament française n’a pas donné son feu vert.
Femmes à risque : quelle chirurgie préventive ?
Chez les femmes porteuses d’une mutation BRCA, l’épée de Damoclès du cancer au-dessus de leur tête n’est parfois plus supportable ; les patientes optent donc pour une chirurgie, plus radicale.
Pour réduire le risque de cancer du sein de manière chirurgicale, deux approches sont possibles :
- La mastectomie préventive. Dans les pays du sud de l’Europe, les taux de mastectomies prophylactiques sont nettement inférieurs à ceux d’Europe du nord et des pays anglo-saxons. Depuis 10 ans, toutes les études concordent : la mastectomie préventive chez ces femmes porteuses d’une mutation BRCA 1,2 effondre le risque du cancer du sein. Celui-ci passe de 50-80% au cours de la vie à 3-8%.
Côté technique, en 2016, les chirurgiens retirent toute la glande mammaire mais laissent l’aréole, le mamelon et la peau et procèdent à la reconstruction plastique des deux seins (bilatérale) : on parle de chirurgie oncoplastique qui associe, au cours d’une même intervention, les techniques de chirurgie cancérologique et de chirurgie plastique.
Même les meilleures équipes ont des taux non négligeables de complications (coques/induration des tissus, nécroses, hématomes, sepsis/infection généralisée...). Il y aurait entre 5 à 20% de complications précoces pouvant amener au retrait de la prothèse et 15 à 30% de complications tardives imposant une intervention.
Krishna B. Clough : « Il s’agit d’une chirurgie mutilante. De nombreuses femmes porteuses de BRCA demandent une mastectomie bilatérale dans l’idée que leurs seins seront même mieux qu’avant ! Erreur. Si les chirurgiens ont de bien meilleurs résultats qu’il y a 10 ans, ils ne font jamais mieux que les seins d’avant : la sensibilité a disparu, des corps étrangers sont présents (les prothèses mammaires), avec des taux non négligeables de complications du fait de l’ablation de la glande mammaire et des ré-opérations. Il y a un amalgame entre chirurgie reconstructrice et esthétique !
Alors qu’une femme qui se fait poser des prothèses mammaires sort le soir même de l’hôpital avec 95% de bons résultats (seulement 1% de complications), la chirurgie reconstructrice chez une femme à risque avec ablation/reconstruction sort après 3 jours, conserve des drains pendant 15 jours, subit deux opérations au minimum durant la première année. Les résultats n’ont rien à voir avec la chirurgie esthétique. La reconstruction est complexe et nécessite d’être prise en charge par des équipes spécialisées en chirurgie reconstructrice du sein, afin d’obtenir un résultat esthétique et cancérologique optimal ».
- Ovariectomie préventive : la chirurgie prophylactique mammaire n’est pas la seule solution. En effet, la chirurgie préventive ovarienne réduit à la fois le risque de cancer des ovaires mais aussi celui du sein. Contrairement au cancer du sein, le cancer de l’ovaire se dépiste mal et le risque de décès est important. Les femmes ayant subi une annexectomie (ablation des trompes et des ovaires) ont un risque de cancer de l’ovaire-trompes réduit de façon massive (-80%). Celui de cancer du sein est divisé par deux (4).
Krishna B. Clough : « Alors que la chirurgie mammaire est une option, la chirurgie préventive ovarienne est probablement nécessaire. L’alternative pour les femmes qui veulent garder leurs seins est la surveillance et si elles ne veulent pas ou plus d’enfant, on peut leur proposer la chirurgie annexielle (chirurgie préventive des ovaires (ovariectomie) associée à l'ablation des trompes)… Un traitement substitutif de la ménopause peut être instauré (dans les rares études, critiquables, le risque de cancer du sein ne semble pas augmenté) ; ces femmes ne seront donc pas ménopausées ».
Sources
(1) Antoniou Am J Hum GEn 2003; (2) Warner 2011 JCO; (3) Rinjsburger JCO 2010. (4) Rebbeck JNCI 2009
Article réalisé avec le concours du Krishna B. Clough, chirurgien, cancérologue et plasticien, à l’Institut du sein et de l’oncoplastie (Paris). Il est reconnu en France et à l’étranger pour avoir été à l'origine de la chirurgie oncoplastique.