Morts subites : 2000 morts de trop
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Le syndrome de la patate chaude

Comment arrive-t-on à une telle loterie? Par carence de notre système de santé, mais reprenons depuis le début… Au début, une nouvelle solution thérapeutique arrive, en l'occurrence le défibrillateur cardiaque implantable, mais elle vaut cher. Seuls les services de pointes peuvent en acheter, en négociant avec leurs directeurs d'établissement l'allocation d'une petite partie du budget de l'Hôpital. La croissance de ce budget étant limitée par une procédure dite du "budget global", les dépenses atteignent rapidement un seuil qui limite la diffusion de ces nouvelles technologies. Ceci explique comment on arrive à financer 800 défibrillateurs cardiaques implantables, soit un quart des besoins. Pour en implanter plus, il faudrait soit augmenter le budget spécifique de ces services (ce qui n'est pas possible car le budget global exige que chaque décision de dépense soit mise en alternative avec d'autres dépenses, elles aussi souvent indispensables), soit autoriser les cliniques privées à pratiquer ces nouvelles techniques. Mais pour que les cliniques puissent acheter ce type de dispositifs médicaux, il faut que ceux-ci soient inscrits au TIPS (Tarif Interministériel des Prestations Sanitaires) avec agrément du Ministère de la Santé.

Un conseiller technique du Ministre de la Santé est alors désigné pour prendre en charge le dossier. Un rapport est demandé à la DGS (la Direction Générale de la Santé) ainsi qu'à l'ANAES (l'Agence Nationale pour l'Accréditation et l'Evaluation Médicale). Les experts entrent alors en jeu, mais ils sont pour la plupart hospitaliers, ce qui empêche de prendre en compte la classique compétition entre le public et le privé, s'agissant notamment de technologies de pointes. Dans le cas des Défibrillateurs, la DGS confirme l'intérêt du dispositif médical et pousse à sa généralisation, alors que l'ANAES, tout en concluant sur le réel progrès réalisé (les études cliniques sont majeures), suggère de limiter sa diffusion à certains centres spécialisés, dont la liste serait à définir par des autorités. Un groupe est alors mis en place pour définir les critères d'accréditation qui permettraient de sélectionner les centres éligibles et le syndrome de la patate chaude se met en place.

Les terribles conséquences de la méfiance

Mais outre la compétition entre le public et le privé qui devrait normalement constituer une saine émulation, que redoute-t-on dans le cas des défibrillateurs? Le dérapage des dépenses de santé bien sûr et il faut alors constater que les Français ont rapidement tendance à devenir des champions: dans le cas des pacemakers (appareillages de technologie plus ancienne permettant de réduire d'autres troubles du rythme), nombre de poses réalisées dans les établissements privés sont contestables et les abus donnent accès à des rémunérations importantes. A contrario, à défaut de défibrillateurs, nous sommes devenus premiers prescripteurs d'anti-arythmiques au monde ce qui nous coûte aux alentours de 300 millions par ans… Ainsi tout le monde se méfie de l'autre, les experts du privé, le privé des autorités, les autorités des médecins, et cela contribue au syndrome de la patate chaude.

Pendant ce temps là, car toute cette procédure se compte en années, que se passe-t-il? La France prend du retard. Dans le cas des défibrillateurs nous sommes en avant-dernière place européenne à égalité avec la Grèce et devant la Turquie. Treize défibrillateurs sont posés par millions d'habitants chez nous en 1999 (alors que le bon chiffre devrait se situer autour de 50), contre 35 en Italie, 44, 45 et 47 au Danemark, en Belgique et en Autriche, et 67 en Allemagne. Aux Etats-Unis, le chiffre est de 160.

67, 160, c'est du gaspillage ! Probablement, mais la question qui se pose est de savoir s'il faut mégoter. Car à chaque fois c'est bien des vies qui sont en jeu. Or si 3000 correspond au chiffre idéal, toutes les causes éligibles étant sélectionnées, dans bien des cas la limite n'est pas toujours évidente. Se pose alors la question du prix: un défibrillateur implantable est amorti en 19 mois, c'est-à-dire qu'un malade non implanté, qui va nécessairement être plus hospitalisé, notamment en urgence et en unité de soins intensifs, va coûter autant d'argent après 19 mois en comparaison à celui qui aura été implanté et qui aura évité ces hospitalisations coûteuses et traumatisantes. Chacun doit pouvoir apprécier ce chiffre: en France, il n'est pas évident de vous faire un crédit de 19 mois pour votre survie.

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Source : Salon Cardiostim. Nice 14-17 juin 2000