Manque de sommeil : avec les écrans, nous devenons des dormeurs sentinelles

Enquête menée auprès de psychiatres, neurobiologistes, et somnologues.
Manque de sommeil : les Français -surtout les jeunes- ne dorment pas assez
Menée en décembre 2015, et réalisée auprès d’un échantillon national représentatif de la population française, soit 1013 personnes âgées de 18 à 65 ans, l’enquête sur le sommeil et les nouvelles technologies, de l’Institut national du sommeil et de la vigilance que préside le docteur Joëlle Adrien, neurobiologiste, montre que les Français dorment en moyenne 7 heures 05 minutes en semaine et 8 heures 10 minutes le week-end.
Un quart des Français manque de sommeil au point de récupérer, le week-end près d’une heure trente de sommeil supplémentaire par nuit. Ces nuits réduites retentissent sur la journée, et 25 % d’entre eux se déclarent somnolents. Qui plus est, 9 Français sur 10 s’adonnent aux nouvelles technologies… le soir. 80 % des étudiants et des personnes en activité professionnelle passent plus de 2 heures par jour sur leur ordinateur, 62 % plus de 4 heures.
« Au travail comme en vacances ! Ces données attestent d’un réel problème de sommeil », s’inquiète le docteur Joëlle Adrien.
Troubles du sommeil : avec les écrans, nous devenons des dormeurs sentinelles
Ce temps devant un écran détériore la qualité du sommeil et altère la vigilance le lendemain. Plus de la moitié de ces utilisateurs non-stop d’ordinateurs, tablettes, Smartphone ont entre 18 et 34 ans et souffrent déjà de troubles du sommeil. Ils mettent plus de temps à s’endormir et leur manque de sommeil par privation devient chronique. La lumière des écrans est un signal délivré à contretemps de l’horloge biologique qui n’est plus capable d’assurer les conditions d’un endormissement rapide ni d’un sommeil récupérateur.
Docteur Sylvie Royant-Parola, psychiatre, présidente du Réseau Morphée et attachée au centre de recherche sur le sommeil de l’hôpital Antoine Béclère : « Les accros de l’écran ont leur attention captée, au moment où ils devraient se désinvestir de ce qui se passe autour d’eux… Envoyant un message paradoxal au cerveau, ils lui donnent en même temps un signal d’éveil et un avis de recherche de sommeil ! Le dormeur ne dort que d’un œil, son esprit n’est pas détendu, il est devenu un dormeur sentinelle qui fait sa ronde ».
La lumière des écrans détraque l’horloge biologique
La lumière synchronise de nombreuses fonctions vitales. L’homme suit un rythme jour-nuit, veille-sommeil…, de 24 heures 12 minutes. Le chef d’orchestre qui règle ce tempo est l’horloge biologique, une petite structure sensible à la lumière et nichée au plus profond du cerveau. Température corporelle, tension artérielle, sécrétion d’hormones, synthèse d’adrénaline ou noradrénaline, performances cognitives (mémoire, vigilance, humeur) sont maximales le jour.
Relaxation musculaire et sécrétion de l’hormone du sommeil, la mélatonine, sont maximales la nuit. Dans la rétine, outre cônes et bâtonnets, on a isolé des cellules ganglionnaires dénuées de fonction visuelle, et juste photosensibles à la lumière bleue. Connectées à l’horloge biologique, ces cellules sont responsables de la synchronisation de nos rythmes. La lumière bloque la mélatonine qui ouvre normalement les portes du sommeil. On retient mieux un texte en le lisant le soir, le sommeil l’enregistrera. La lumière bleue est la plus active, la rouge ayant peu d’effets.
Les maladies du manque de sommeil
« Les preuves de la nocivité d’un manque de sommeil se sont précisées ces quinze dernières années », révèle le docteur Royant-Parola. Difficultés d’attention, d’apprentissage, et « déséquilibre psychique au point d’entraîner une dépression », constate également le docteur Guy Maruani, psychiatre et psychanalyste, ex-superviseur du centre de psychologie médicale Psy-Pluriel à Bruxelles.
La privation de sommeil est connue maintenant comme facteur qui favorise l’hypertension artérielle, abaisse les défenses immunitaires et favorise la prise de poids. Devant une insomnie, il faut d’abord éliminer une dépression et toute autre cause médicale, hyperthyroïdie, certains troubles rénaux ou cardiaques, ainsi que les maladies spécifiques du sommeil, de l’apnée du sommeil au syndrome des jambes sans repos. Le somnologue exclut (ou fait traiter) ces éventuelles pathologies. Puis en cas d’insomnie chronique, sans cause évidente, il fera effectuer un enregistrement du sommeil.
Insomnie : traitements
Une polysomnographie est un enregistrement de votre sommeil. Elle peut se faire en centre du sommeil mais aussi chez soi grâce à un matériel portable miniaturisé de la taille d’un livre de poche. Des capteurs sur la tête, d’autres sur la cage thoracique, munis de petites électrodes recueillent l’activité électrique émise par le cerveau, le tonus musculaire, les mouvements des yeux, la respiration.
Face à une insomnie rebelle, le traitement – essentiellement non médicamenteux – consistera à extraire le patient du cercle vicieux de l’insomnie avec son corollaire, la peur de mal dormir. Bien sûr, « si une personne prend un somnifère depuis longtemps, on pratique un sevrage en douceur sur une période qui peut aller de quelques semaines à quelques mois », précise le docteur Royant-Parola. Un chômage brutal, l’annonce d’une maladie grave provoquent des déséquilibres du sommeil, mais il faut arriver à supprimer la prise régulière du somnifère et le réserver à des épisodes aigus.
Rester au lit sans dormir ne repose pas spécialement
À l’appui d’un interrogatoire minutieux et des résultats des enregistrements, on effectue une évaluation des habitudes afin que la personne change ses comportements, notamment qu’elle renonce à regarder la télévision depuis son lit.
Pas de café au-delà de 15 heures, pas plus de 3 cafés par jour non plus (parfois pas du tout) ! « Nous analysons le type de sommeil du patient, s’il est plus du matin que du soir ou l’inverse, si son sommeil est contraint (par les horaires professionnels), si le partenaire gêne son sommeil. L’horaire du lever est importante. La plupart du temps la personne passe 9, 10 heures au lit en se plaignant de ne dormir que 5 heures. Rester au lit sans dormir, à somnoler, ne repose pas spécialement ! Au bout de quatre séances, échelonnées sur 3 ou 4 mois, la personne retrouve les signaux du sommeil, paupières qui clignotent, envie de se plonger dans un sommeil accueillant », garantit le docteur Royant-Parola.
Sommeil des seniors : on ne dort pas 12 heures par nuit à 70 ans !
Lorsque le sujet s’endort, il traverse un état de sommeil léger pendant quelques minutes : le stade N1, puis son sommeil s’approfondit en stade N2. Après quelques dizaines de minutes le sommeil s’approfondit encore : c’est le sommeil lent profond. Le sommeil léger réapparaît avant de faire place au premier épisode de sommeil paradoxal qui survient après 1h30 de sommeil environ et ne dure que quelques minutes. Le dormeur a accompli son premier cycle de sommeil de 90 minutes. La nuit sera composée de 3 à 5 cycles successifs. Le dormeur se réveillera plusieurs fois pour une brève durée, pas plus de dix minutes, sans qu’il s’en souvienne. Rien que de normal. Mais si ces éveils se prolongent, il va s’en souvenir, et s’inquiéter. « Le sommeil se fractionnant avec l’âge, les éveils devenant conscients, et le sommeil lent profond diminuant, accepter que notre sommeil perde de sa qualité est une façon de traiter l’angoisse de ne pas dormir », tempère le docteur Maruani.
...Et pour bien dormir déconnectez-vous !
Les ondes qui émanent des écrans altèrent l’horloge biologique, même les 10 lux d’un Smartphone, a fortiori les 40 lux en moyenne d’un ordinateur, les 30 lux d’une tablette. « Une sorte de détox digitale se fait jour », se félicite le docteur Joëlle Adrien. Les gens commencent à percevoir le besoin de faire des pauses, s’isoler, résister à l’envahissement. Et pour ménager leur sommeil, de se souvenir des recommandations de toujours : chambre aérée, température aux alentours de 18°, rideaux sombres pour favoriser la sécrétion de mélatonine, téléphone portable éteint ou sur mode avion. Et réserver un sas de relaxation pour glisser vers le sommeil.
Sources
"Insomnie : surmonter le mal du siècle" Magazine Côté Santé N°102 - juin/juillet 2016.