Maladies cardiovasculaires : un traitement anticoagulant révolutionnaire

Publié par Hélène Joubert
le 12/02/2016
Maj le
6 minutes
Autre
Des décennies de traitement anticoagulant classique ont permis d'éviter de nombreuses maladies cardiovasculaires, infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux, phlébites et embolies pulmonaires. Mais le prix à payer pour sauver des millions de vies est un risque hémorragique important. C’est pourquoi l’arrivée de nouveaux anticoagulants en premier choix est une révolution. 

La coagulation, un phénomène à double tranchant

La coagulation du sang est un mécanisme physiologique indispensable à la vie. Elle permet de stopper le saignement en cas d’entaille ou de blessure. Mais parfois, le processus de coagulation se déclenche en l’absence de saignement. On parle de thrombose. Il se forme alors un caillot de sang (thrombus) dans les vaisseaux (artères ou veines) ; c’est l’une des premières causes de mortalité au monde.

  • Au niveau des artères, cette formation inadaptée de caillot est responsable d’infarctus du myocarde, d’accidents vasculaires cérébraux (dits ischémiques) et d’artérite des membres inférieurs (au niveau des jambes).
  • Au niveau des veines, ces caillots sont responsables de phlébite et, lorsqu’ils remontent jusqu’au poumon, d’embolie pulmonaire.
  • Enfin, un caillot peut se former dans les cavités cardiaques lors d’un trouble du rythme dont le plus fréquent est l’arythmie cardiaque complète par fibrillation auriculaire (ou atriale) qui peut être responsable d’embolie artérielle, en particulier cérébrale (hémiplégie). 10à 15% des plus de 65 ans en souffrent. Elle expose à cinq fois plus d’accidents vasculaires cérébraux que la population générale.

Coagulation, lorsque rien ne va plus

Les caillots se forment dans les vaisseaux pour plusieurs raisons.

Au niveau artériel, c’est lié à une lésion de la paroi des artères appelée athérome (accumulation de cholestérol LDL sous forme de dépôts inflammatoires sur la paroi des artères). Des facteurs génétiques, environnementaux et personnels (sédentarité, type d’alimentation, hypercholestérolémie, hypertension...) nous rendent plus ou moins vulnérables face à ces plaques. Au niveau veineux, c’est lié à des facteurs de risque (ralentissement de la circulation sanguine, hyper-coagulabilité du sang d’origine génétique).

Au niveau des cavités cardiaques, c’est lié à la stagnation du sang dans les oreillettes dont les battements sont devenus inefficaces lors de la fibrillation auriculaire.

Qui doit recevoir un anticoagulant ?

Pour lutter contre cette coagulation inadaptée, les anticoagulants sont essentiels. Ils sont surtout prescrits pour lutter contre la phlébite et l’embolie pulmonaire dans la maladie dite "veineuse thromboembolique". Tout le monde peut en souffrir avec des facteurs de risque bien identifiés en particulier l’âge élevé et le fait d’être une femme. Les œstrogènes constituent un facteur de risque important qui explique les effets délétères de la pilule œstroprogestative 2nde ou 3ème génération, du traitement de la ménopause et la fréquence des évènements thromboemboliques au cours de la grossesse. Le traitement anticoagulant est également employé pour lutter contre la coagulation au cours d’arythmie cardiaque et en particulier la fibrillation auriculaire.

Pr Dominique Mottier, directeur du centre d’investigation clinique de Brest (CIC Inserm 1412) : « Dans la maladie artérielle, un antiagrégant plaquettaire (aspirine, clopidogrel etc.)est le traitement de choix puis, dans un second temps, un anticoagulant. En effet, la lésion de la paroi artérielle va déclencher d’abord l’adhésion et l’agrégation des plaquettes sanguines et secondairement la coagulation proprement dite. En revanche, dans la phlébite, l’embolie pulmonaire et la fibrillation auriculaire, c’est plutôt la stase du sang (stagnation) qui explique la formation du caillot et donc le déclenchement de la coagulation, avec secondairement l’action agrégante des plaquettes. D’où l’intérêt dans ce cas d’utiliser en premier un anticoagulant ».

Quels anticoagulants aujourd’hui ?

Pendant des décennies, les traitements anticoagulants oraux n'ont comporté que deux classes pharmacologiques : des anticoagulants d’action rapide par voie injectable (les héparines) utilisés en urgence dès la formation du caillot. Puis, en relais, des anticoagulants en comprimés qui agissent lentement et sont actifs par la bouche (per os) : ce sont les antagonistes de la vitamine K (la vitamine de la coagulation du sang) dits AVK dont les deux principaux sont la warfarine et la fluindione. Une contrainte importante est la surveillance indispensable de leur activité anticoagulante pour adapter la dose, au moyen de tests biologiques dits tests de l’hémostase (INR).

Sous-dosés, les AVK sont inefficaces.

Sur-dosés (mais aussi en cas d’interaction avec d’autres médicaments ou des aliments contenant de la vitamine K comme le chou etc.), ils exposent à un risque hémorragique, responsable de 17 000 hospitalisations pour accidents hémorragiques et de 5 000 décès estimés par an. Néanmoins, leur bénéfice est incontestable et personne ne remet en cause leur prescription. A noter, la moitié des personnes sous anticoagulant AVK ne sont pas dans les objectifs thérapeutiques de coagulation, malgré la surveillance par INR, illustrant toute la difficulté de ce traitement.

Les anticoagulants oraux directs limitent le risque hémorragique

C'est pourquoi, l'arrivée récente sur le marché entre 2008 et 2013 de nouveaux anticoagulants oraux directs (dits AOD : dabigatran, rivaroxaban, apixaban et bientôt l’edoxaban etc.) d’action rapide en comprimé était attendue. Ils sont au moins aussi efficaces que les AVK. Leur avantage majeur est diviser par deux le risque d’hémorragies intracérébrales. Tant mieux car ce sont celles qui ont le plus fort taux de mortalité et laissent des séquelles importantes (hémiplégie).

Pr Mottier : « En résumé, dans la fibrillation auriculaire, les nouveaux anticoagulants oraux directs peuvent remplacer les AVK utiles dans cette indication : ils s’avèrent supérieurs aux AVK vis-à-vis du risque d’hémorragie intracérébrale. A ce jour, l’une de ces molécules s’est même avérée supérieure à la fois sur le risque d’embolie systémique et sur la mortalité.

Dans la maladie veineuse thromboembolique, le traitement classique fait appel à un anticoagulant d’action rapide par voie injectable (héparines) avec un relais par les AVK. Là aussi, les nouveaux anticoagulants ont leur place : deux molécules (apixaban, rivaroxaban) ont prouvé qu’elles pouvaient être utilisées seules, pour remplacer ces deux médicaments. L’efficacité est identique avec une diminution des hémorragies majeures. Le traitement s’en trouve simplifié d’autant que contrairement aux AVK, les AOD se donnent en dose unique pour tout le monde, sans aucune obligation de surveiller les paramètres de la coagulation ».

Le faux problème des antidotes

Un point soulevé jusqu’à maintenant était l’absence d’"antidote" aux nouveaux anticoagulants oraux, en cas notamment d’hémorragie où il faut inverser leur effet très rapidement.

C’est un faux problème car les AVK n’avaient pas non plus vraiment d’antidote : la vitamine K prend entre 4 et 6 heures pour agir, c’est déjà bien trop tard en cas d’hémorragie sévère ! Il faut alors apporter des facteurs de la coagulation pour permettre une réversion immédiate de l’effet de l’anticoagulant. Ces mêmes facteurs de la coagulation peuvent être utilisés avec les nouveaux anticoagulants oraux directs en cas d’hémorragie grave. Quoi qu’il en soit, de vrais antidotes aux anticoagulants oraux directs arrivent (l’un est déjà disponible dans les hôpitaux) et sont immédiatement efficaces en cas d’hémorragie sous AOD.

Pr Mottier : « Ces nouveaux AOD constituent une révolution thérapeutique qui vont les placer sous peu en première ligne dans les indications classiques des anticoagulants. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) continue de les maintenir en second choix après les AVK dans la maladie thromboembolique et la fibrillation auriculaire. Pour combien de temps encore… »

Sources

D’après un entretien avec le Pr Dominique Mottier, directeur du centre d’investigation clinique de Brest (CIC Inserm 1412).

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