Lyme : les dessous du prochain scandale sanitaire ?

Publié par Hélène Joubert
le 22/06/2016
Maj le
8 minutes
la tique de ricin (ixodes ricinus)
Istock
Une promenade estivale dans les champs ou en forêt peut avoir de lourdes conséquences, parfois dramatiques. Entre des tests diagnostiques peu fiables, des traitements difficilement applicables et une infection chronique ignorée par les autorités publiques, les victimes de la borréliose de Lyme -cette maladie infectieuse transmise par les morsures de tiques qui touche le cerveau, le cœur, le système immunitaire- sont excédés. Ils poursuivent l’Etat en justice et les fabricants des tests pour crier leur désespoir. 

Lyme, la prochaine épidémie du 21ème siècle ?

Elles ne seraient pas 27 000 mais 300 000 personnes au bas mot à être atteintes de la maladie de Lyme en France. Il y aurait un million de nouveaux cas par an en Europe de l’Ouest rien que pour l’infection par la bactérie Borrelia burgdorferi. Un chiffre en constante et forte progression, au point que certains spécialistes n’hésitent pas qualifier la maladie de Lyme de prochaine épidémie du 21ème siècle. Les Centers for Disease Control and Prevention américains considèrent depuis 2013 la maladie de Lyme comme un « énorme problème de santé publique aux Etats-Unis ».

La borréliose de Lyme est une maladie infectieuse transmise à l’homme par les piqûres de tiques du genre Ixodes, ces parasites se nourrissant de sang, à mi-chemin entre l'arachnide (araignée) et l'acarien. C’est à l’occasion de cette morsure qu’une tique infectée par la bactérie Borrelia burgdorferi la transmet à l’homme. Mais récemment, on s’est aperçu que cette bactérie n’était pas seule et de nombreuses autres ont été découvertes (plus d’une vingtaine). De multiples espèces de tiques sont aussi en mesure de les transmettre. 10 % en moyenne sont porteuses des bactéries capables de déclencher la maladie de Lyme et/ou une infection associée. Petites bêtes mais grande maladie.

Maladie de Lyme, un diagnostic difficile

La forme chronique de Lyme peut détruire la vie de milliers de personnes mais n’est toujours pas reconnue en France. Difficile à diagnostiquer et mal recensée, elle peut provoquer des ravages si elle n'est pas traitée à temps.

Les symptômes de la maladie de Lyme sont extrêmement variés : fièvre, fatigue extrême, douleurs et gonflements articulaires, douleurs musculaires, méningites, paralysies faciales, troubles de la mémoire parfois importants, céphalées, surdité, complications cardiaques (troubles du rythme, infection cardiaque chez l’enfant qui conduit à une insuffisance cardiaque aiguë parfois mortelle, accidents vasculaires cérébraux), complications nerveuses (maux de têtes, migraines, acouphènes, problèmes oculaires, névralgies/atteintes des nerfs, sciatiques, paraplégies), vertiges, psychoses, syndromes maniaco-dépressifs etc.

Les issues sont parfois dramatiques : suicides, séjours en psychiatrie, rupture de toute vie sociale et professionnelle.

Pr Christian Perronne, chef du service maladies infectieuses de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), l’un des spécialistes mondiaux de Lyme : « Les témoignages des malades sont édifiants. Ce sont de véritables parcours du combattant qui n’ont pas toujours une belle fin. On diagnostique même à tort chez certains des scléroses en plaques, des polyarthrites rhumatoïdes, des maladies d’Alzheimer ou des troubles psychiatriques (hystérie etc.). Comme de nombreux malades cumulent des dizaines de symptômes, ils sont mis sous antidépresseurs sous prétexte que "c’est dans leur tête"».

Lyme, des années pour établir le diagnostic…

Le problème en France est que le test biologique pour dépister la maladie, appelé test "ELISA", laisse passer entre 30 et 80% des infections selon les tests.

Si un malade a la "chance" d’avoir un test positif alors il a le droit de se soumettre à un second test qui confirmera son statut de personne infectée et lui "accordera" la possibilité de se soigner. Ce test est un "Western blot", qui n’est lui-même pas totalement fiable et de toute façon ne détecte l’infection qu’à une seule bactérie : Borrelia burgdorferi.

En résumé, sur la base d’un test Elisa peu fiable, énormément de personnes n’ont pas le droit de passer le second test et resteront sans diagnostic, dans l’incompréhension de leurs symptômes et la souffrance. Le Pr Luc Montagnier, prix Nobel de médecine et codécouvreur du virus du sida, s’indigne lui aussi contre ces tests qui donnent de trop nombreux "faux négatifs" (le test est négatif alors que l’infection est bel et bien présente).

Les associations demandent la reconnaissance et l’autorisation du test plus fiable de transformation lymphoblastique (TTL) et une formation des médecins. Elles ont déjà obtenu une réévaluation des tests sérologiques. Elles réclament aussi l'arrêt de l’attitude répressive des autorités sanitaires et du Conseil de l’Ordre des Médecins envers les médecins qui ne respectent pas les protocoles officiels. Ces derniers permettent l’accès au second test même en cas de premier test négatif ou importent un test allemand. En effet, beaucoup de patients et de médecins se procurent ce test d’outre-Rhin. Une biologiste strasbourgeoise en a fait les frais et a dû fermer son laboratoire en 2012. Des milliers de patients se rendent aussi en Allemagne pour qu’on leur diagnostique enfin la maladie (à leurs frais). Là-bas, les médecins ne sont pas poursuivis pour utiliser les tests diagnostiques Western blot même en cas d’Elisa négatif, utilisent le TTL ou ont des seuils de sensibilités meilleurs.

Pr Perronne : « Les tests actuels en France sont insuffisants et leur étalonnage varie entre les régions. Par exemple, si vous être positif à un test Elisa en Alsace (où il y a beaucoup de Lyme), vous pourrez être négatif en Ile de France ! Les tests vétérinaires repèrent bien plus de germes que la seule bactérie Borrelia burgdorferi mais sont interdits chez l’humain. Le rapport du Haut Conseil de la santé publique du 12 juillet 2012 a tiré la sonnette d’alarme. En vain. Mais l’espoir est permis, les anciens standards américains qui imposaient dans le monde entier l’utilisation de ces tests diagnostiques (et qui niaient aussi les formes chroniques et donc leur traitement) viennent d’être abandonnés en février 2016 au profit de l’ILADS (1). La situation en France devrait enfin bouger. Dès maintenant, il faudrait permettre l’accès aux tests vétérinaires ».

Traiter rapidement la maladie de Lyme en aigu

En cas d'infection, dans la moitié des cas une lésion cutanée (rouge/rosée avec le centre clair, chaud mais non douloureux) apparaît entre deux et trente jours après la morsure de tique infectante : cet « érythème migrant » est le plus souvent suivi de courbatures et de symptômes grippaux mais il peut tout à fait passer inaperçu. Lorsque le Lyme est spectaculaire, la personne développe une méningite, une encéphalite, une paralysie faciale… Souvent, les signes sont plus discrets, avec une panoplie de symptômes aussi divers que variés, ce qui brouille les pistes.

Devant un érythème migrant, le médecin doit prescrire des antibiotiques (4g d’amoxicilline pendant 2 à 3 semaines).

Attention ! Le risque est d’abandonner la piste infectieuse chez une personne qui pourtant a une réelle infection de Lyme. En effet, dans un nombre de cas non négligeable, après trois semaines d’antibiotiques, la personne se trouve transitoirement aggravée car ce traitement peut exacerber un temps les symptômes, preuve que la bactérie résiste. Il faut persévérer. La durée "légale" de traitement antibiotique ne guérit pas forcément la maladie. Les patients doivent continuer à être pris en charge car l’amélioration peut prendre quelques mois.

Maladie de Lyme chronique, la maladie qui n’ « existait pas » ?

Lorsque la maladie devient chronique (appelée alors neuroborréliose), il est rare d’en guérir définitivement. Les rémissions alternent avec les rechutes pendant des années.

Pour les formes avancées de la maladie ou en cas de présomption avec symptômes persistants malgré des tests négatifs, le médecin ne doit pas hésiter à prescrire un traitement antibiotique d’épreuve (1 mois de bêtalactamine, puis 1mois supplémentaire de doxycycline si cela ne suffit pas).

Dans 9 cas sur 10, les symptômes disparaissent : la piste infectieuse était la bonne.

Contrairement à ce qu’affirme une publication récente, les traitements antibiotiques à court terme (2 semaines) ne font pas aussi bien que sur le long terme (plus de 3 mois) (2).

Pr Christian Perronne : « Les recommandations américaines ayant désormais reconnu les formes chroniques de Lyme, on peut espérer que rapidement en France, les personnes ayant des formes chroniques puissent enfin être prises au sérieux et soignées.

L’idéal serait d’ouvrir des centres de santé spécialisés pour traiter les malades, mais aussi continuer à suivre ceux dont les symptômes persistent avec les années. Dans la borréliose de Lyme et les infections associées, le traitement chronique c’est un peu comme soigner à l’aveugle, c’est délicat (il faut combiner des antiparasitaires, des antifongiques etc.) et cela dépend de l’expérience des médecins dûment formés. Mais cela sauve des vies ».

Que faire en pratique pour prévenir la maladie de Lyme?

C’est l’été, partout en France, les tiques sont sorties de leur hibernation (d’octobre à mars). S'il vous prend l'envie d'une balade en forêt, près des bosquets et dans les herbes hautes, vigilance. De l'Alsace à la Normandie, aucune région -sauf absence de forêt- n'est épargnée par la présence de tiques, y compris en région parisienne comme le bois de Vincennes, qui en est infesté.

Quelques conseils :

  • Se vêtir de vêtements couvrant pour des balades en forêt.
  • Ne pas s’assoir dans l’herbe haute.
  • S’examiner consciencieusement au retour sans négliger les plis, le cuir chevelu, l’arrière des oreilles (elles peuvent se déplacer sur le corps). Les tiques se voient à l’œil nu.

A ne pas faire :

  • Enlever la tique en l’arrachant. Le rostre (le pic par lequel le parasite aspire le sang) resterait dans la peau. L’idéal est un tire-tique vendu en pharmacie, qui dévisse l’animal sans casser son rostre.
  • Ne pas employer d’éther ou d’alcool.
  • Les autotests ne sont pas tous évalués et ceux qui le sont ne semblent pas très fiables.

Sources

(1) International Lyme and associated diseases society http://www.ilads.org; (2) N Engl J Med 2016; 374:1209-1220

Pour en savori plus : Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques. http://ffmvt.org/

D’après un entretien avec le Pr Christian Perronne, chef du service maladies infectieuses de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), l’un des spécialistes mondiaux de Lyme.

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