Les fous du travail

Publié par Dr Catherine Feldman
le 22/01/2003
Maj le
4 minutes
Autre
Les « RTT » ou récupération du temps de travail, ils ne connaissent pas. Ils travaillent sans compter ; ils ont en permanence, à portée de main, au bureau, à la maison ou en déplacement, un ordinateur, un téléphone portable, un dictaphone. Rien ne les arrête. Drogués du travail, ils sont « workaholics ».

Les psychiatres Jean Adès et Michel Lejoyeux, dans leur livre « Encore plus »* rapporte le cas de Georges, un cadre supérieur de 45 ans, dont ils rencontrent d'abord la femme en consultation, déprimée devant le comportement de son mari : « Obsédé par son travail, il est devenu invivable…. Il n'a plus d'horaires, reste au bureau jusqu'à 10 heures du soir, parfois plus… Il arrive épuisé, irritable… Il ne voit presque plus les enfants et se couche, sans arriver à trouver le sommeil… Il apporte du travail à la maison tous les week-ends… Dès que j'essaye de lui parler, de le distraire, il se sent coupable… Le travail dévore sa vie et la nôtre… ». C'est clair, Georges est bien workaholic.

Workaholic, une fusion entre work et alcoholic (travail et alcoolisme)

Workaholic est un néologisme anglais, inventé par un écrivain américain, Wayne Oats. Lui-même se sentait dépendant du travail comme d'autres le sont de l'alcool, ce qu'il a raconté dans son récit autobiographique « Confessions d'un workaholic ». Et le terme a fait fortune aux Etats-Unis au point qu'il est passé dans le langage courant. En France, le néologisme commence à être utilisé pour désigner ces « fous », ces « addict », ces « accros » du travail, qui sont probablement plus nombreux qu'on le croit…

Plus de 12% des cadres travaillent plus de 50 heures par semaine

D'après une récente enquête réalisée par la CFDT auprès de 6.500 cadres, 12,8% d'entre eux travailleraient plus de 50 heures par semaine. Ces « assidus du bureau » sont majoritairement « des cadres de moins de 40 ans, travaillant dans des entreprises privées ». Selon l'enquête, ils acceptent ce rythme pour faire avancer leur carrière. Comme Georges l'explique à sa femme « il n'a pas le choix ». Il précise d'ailleurs : « ma femme ne comprend pas que mon poste et ma promotion sont en jeu… mon travail est un combat, si je baisse la garde, je le perdrai. »

Ne pas confondre surmenage professionnel et addiction au travail

Georges, comme d'autres cadres, est-il victime des pressions exercées dans son entreprise pour en faire « toujours plus » ? Ou bien est-il d'abord victime de lui-même et de sa dépendance au travail ? Sans doute, le paramètre « entreprise » n'est pas à négliger dans la genèse de ce comportement, pour autant ne devient pas « workalholic » qui veut. Le drogué du travail n'est en effet pas nécessairement un surmené et tous les surmenés au travail ne deviennent pas des drogués. Travailler beaucoup n'est pas obligatoirement une marque de dépendance, tant que l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie affective, sociale, familiale est maintenu. Le travail devient addictif quand toute l'énergie de la personne n'est dévolue qu'à une seule cause, le travail.

Un profil psychologique particulier

Comme l'expliquent les psychiatres J. Adès et M. Lejoyeux « La frénésie (du drogué) du travail, qui peut aller jusqu'à l'épuisement, est en fait une peur foncière de l'inactivité, du libre cours laissé par le repos, aux sentiments, aux pensées, aux émotions que contient efficacement l'occupation ». En fait, les addicts au travail sont souvent généralement des grands perfectionnistes. Obsédés par le travail, ils craignent toujours de ne pas avoir tout fait parfaitement et ils sont incapables de déléguer la moindre tâche. L'impatience est une autre de leur caractéristique, sous-tendue par la crainte de perdre du temps.

Le " toxico " du travail a le goût du défi

Le « toxico » du travail a aussi le goût du défi, comme d'autres ont celui du risque. Le défi est source d'excitation et d'une satisfaction intense mais brève. Finalement, rien n'effraie plus le workalholic que les temps de vacances ou de loisirs. Comme un drogué, il ressent un état de manque et d'angoisse intolérable. L'arrêt de travail est donc parfaitement contre-indiqué pour l'addict au travail… mais la maladie (reconnue comme telle aux Etats-Unis) se soigne. Apprendre à prendre soin de soi et modifier sa relation au travail sont les principaux objectifs d'une telle thérapie.

* Jean Adès, Michel lejoyeux. Encore plus ! Jeu, sexe, travail, argent. Editions Odile Jacob, octobre 2001.

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