La trisomie 21 n'est pas une fatalité !

e-sante : Quelle est la situation en France de la trisomie 21 ?
Pr Jacqueline London : Il y aurait 65.000 personnes atteintes, mais on ne dispose pas du chiffre exact. Le nombre de naissances n'a pas diminué, bien que tous les efforts réalisés par les autorités dites compétentes soient plutôt en faveur de la suppression des naissances atteintes de trisomie 21, ce qui est une grave erreur à mon avis. En effet notre société doit accepter des différences de ce type et faire tous les efforts possibles pour que la trisomie 21 soit mieux acceptée par la société à toutes les étapes de la vie de l'individu (efforts liés à la prise en charge scolaire, professionnelle, médicale et scientifique). Aujourd'hui, on dénombre un cas de trisomie 21 sur 1.000, contre un sur 700 ou 800 auparavant. Pourtant, on constate que globalement le nombre de femmes ne souhaitant ni test ni amniocentèse augmente. Autre fait à souligner, contrairement à ce qui a toujours été dit, ce n'est pas une pathologie de la maman âgée. En effet, il existe beaucoup de cas de femmes jeunes : à peu près 2/3 à 3/4 des enfants trisomiques naissent de maman de moins de 35 ans.
e-sante : Le test est pourtant classiquement proposé aux femmes de 30 ans et plus ?
Pr Jacqueline London : Peut-être mais le dépistage de la trisomie 21 peut se faire pour toute personne qui le demande. Il repose sur une évaluation d'un facteur de risque. Le résultat conduit à faire ou à ne pas faire une amniocentèse.Il est préférable de savoir qu'on attend un enfant qui a des problèmes. Par ailleurs, quand vous faites une amniocentèse, vous avez un risque non négligeable, et même plus important que le fait d'avoir un enfant atteint de trisomie 21, de perdre l'enfant, et surtout chez des mamans âgées.
e-sante : Quelle est la prise en charge actuelle de la trisomie 21 ? Quelles sont les principales failles ?
Pr Jacqueline London : Selon la loi, la prise en charge de la trisomie est formidable. Mais dans les faits, elle est extrêmement modeste. J'ai autour de moi une maman qui se bat énormément pour que son enfant puisse rester scolarisé en maternelle à l'école publique. Dans la réalité, c'est selon le bon vouloir du chef d'établissement et du professeur de la classe concernée. J'ai aussi autour de moi une dame qui est grand-mère et dont la petite-fille de 13 ans est scolarisée normalement, mais uniquement dans le privé. On n'a jamais voulu considérer son cas dans le public.Ainsi, la loi existe, mais elle n'est pas appliquée ! Celle-ci dit que tout enfant a le droit d'être scolarisé à l'école publique. Mais tout enseignant dans l'école publique n'a pas le devoir, ni les moyens d'accueillir un enfant à problème. Ce n'est pas spécifique à la trisomie 21, c'est valable pour d'autres handicaps ou d'autres pathologies.L'état ne fait pas son travail alors que la loi a créé des aides à la scolarité, notamment des «aides à la vie scolaire» qui permettent d'aider le professeur des écoles à accueillir un enfant. Hélas, il y en a très peu, on manque de personnes formées et d'argent pour les employer. Il existe un énorme problème de formation des personnes qui accompagnent les enfants mais aussi les adolescents et les adultes ayant des problèmes de handicap.C'est globalement ce qui se passe pour les petits et ça va en augmentant pour les grands : pas de formation professionnelle, pas d'intégration dans la vie normale, ni même dans les centres d'aide par le travail (CAT), pas d'accompagnement par des personnes compétentes comprenant cette pathologie.Par exemple, les enfants ont souvent, mais pas toujours, des difficultés manuelles. Or en France, on considère toujours que quand on n'est pas très intelligent, on est très bon manuellement. Si ce n'est pas le cas, c'est-à-dire qu'on est ni très bon manuellement, ni très bon intellectuellement, on a donc quelques difficultés !Mais au lieu de créer des emplois, l'Etat parle plutôt de dépistage et d'éradication. Sur ce sujet, nous ne sommes absolument pas d'accord. Sans être contre l'avortement si la famille ne se sent pas la possibilité d'élever un enfant comme ça, la trisomie 21 n'est pas une catastrophe. Autrefois, les enfants ne savaient pas lire ni écrire et étaient dépendants parce qu'on ne les éduquait pas. Aujourd'hui, un enfant qui est éduqué très tôt, va aller en classe, va pouvoir être autonome, et va pouvoir travailler, encore faut-il lui donner ses chances !
e-sante : Peut-on espérer de nouveaux traitements de la trisomie 21?
Pr Jacqueline London : Le fait de travailler sur les maladies, comme par exemple sur la maladie d'Alzheimer ou l'autisme, permet de mieux comprendre le fonctionnement du système nerveux. On commence d'ailleurs à parler de traitements. Toutefois, on ne guérit pas la cause d'une maladie génétique, on essaie de pallier les conséquences en traitant un certain nombre d'anomalies. Par exemple, il existe des symptômes qui entravent la vie quotidienne et se surajoutent à la déficience intellectuelle, comme des troubles du sommeil, des rhinopharyngites, des problèmes de peau Le cerveau n'est plus la boîte noire de jadis et je suis sûre que d'ici quelques années on saura pallier au moins en partie le déficit mental.D'une façon générale, la prise en charge très très précoce de la trisomie 21(dès 4-6 mois) est l'un des meilleurs traitements sur le plan intellectuel et musculaire, et est parfaitement corrélée avec ce que l'on sait du point de vue strictement scientifique. Par exemple, des apprentissages dès la toute petite enfance permettent de pallier des déficits musculaires et de la parole.
e-sante : Participez-vous personnellement à ces programmes de recherche sur la trisomie 21?
Pr Jacqueline London : Oui tout à fait, je travaille sur des modèles de souris qui sur-expriment les gènes du chromosome 21, afin de comprendre le vieillissement, le sommeil, certains problèmes de peau, etc. Au laboratoire, d'autres chercheurs travaillent sur le développement du système nerveux. Aujourd'hui, nous disposons de tous les outils pour étudier la trisomie 21 et en 5 ans, nous avons fait d'énormes progrès. En revanche, les financements font défaut. Excepté la Fondation Jérôme Lejeune, aucun programme public ne donne de l'argent pour la recherche sur la trisomie 21 !Soulignons qu'il y a beaucoup d'espoirs du côté des familles et des parents qui se sont beaucoup battus. À force de combats, ils montrent enfin aux autres, à la population générale, que la trisomie 21 n'est pas une fatalité. Quand on s'y prend bien, ces enfants, ces adolescents et ces adultes ont de grandes potentialités.
1re Journée mondiale de la trisomie 21 : le 21 mars 2006 à Paris
« Comment appréhender et tenter de soigner le handicap mental »
Récital de piano au profit de la recherche sur la trisomie 21
Le 21 mars 2006 (20h30 Salle des fêtes de la Mairie du 5e à Paris).