La chirurgie de l’obésité pour mieux soigner le diabète de type 2

Publié par Hélène Joubert
le 23/09/2016
Maj le
7 minutes
coup de studio de belle femme asiatique en surpoids
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La chirurgie de l’obésité -ou chirurgie bariatrique- a fait ses preuves vis-à-vis de la perte de poids chez les personnes obèses. Mais un effet collatéral très bénéfique a rapidement été découvert : elle améliore aussi la glycémie, au point que chez certains patients, elle fait disparaître un diabète de type 2 préexistant. Doit-on alors la proposer aux personnes diabétiques dont le diabète est très déséquilibré, même si elles ne sont pas obèses ? Au congrès européen de diabétologie (EASD, Munich ; 12-16 septembre 2016), les toutes dernières études vont en ce sens. A moyen terme, la chirurgie pourrait devenir un traitement du diabète parmi les autres.

La chirurgie de l’obésité, une arme contre le diabète de type 2

La chirurgie bariatrique comprend plusieurs techniques chirurgicales, court-circuit gastrique (gastric by-pass), anneau gastrique ou gastrectomie longitudinale (sleeve gastrectomy). Globalement, avec cependant des différences entre les techniques, la chirurgie bariatrique a une efficacité inattendue et spectaculaire sur la mortalité toutes causes (-58%) et la mortalité cardiovasculaire (-59%) chez des diabétiques de type 2 à 5 ans de suivi (après un gastric by-pass) (1). Elle est aussi en mesure de corriger très rapidement les anomalies métaboliques dont le taux de sucre dans le sang : la glycémie. C’est pourquoi elle a été baptisée "chirurgie métabolique". La tentation est grande de la proposer aussi chez les diabétiques de type 2 en surpoids, même s’ils ne sont pas obèses lorsque les médicaments (comprimés ou insuline) ne parviennent pas abaisser le taux de glycémie dans la norme (définie par une valeur de HbA1c <7%, sans risque pour leur santé).

Si la glycémie s’améliore voire se normalise (dans ce dernier cas le diabète de type 2 disparaît, on dit qu’il est en "rémission") c’est dû à la perte de poids qui se maintient sur la durée mais aussi à l’amélioration de la résistance à l’insuline des tissus dont les muscles (insulinorésistance) et aux variations des taux de certaines hormones impliquées dans la régulation de la sécrétion de l’insuline.

Chirurgie de l’obésité et diabète de type 2, les nouveaux résultats

Avec 15 ans de recul et un suivi médian allant jusqu’à 19 ans, l’une des études phare en chirurgie bariatrique, la SOS Study (Sweedish Obese Study) suédoise, livrait ses tout derniers résultats à l’EASD 2016. La chirurgie cumule les avantages dans le diabète de type 2 :

  • La perte de poids est durable. Elle se maintient à 20 ans, entre -15 et -25% du poids total.
  • La chirurgie de l’obésité protège du diabète. L’apparition d’un diabète de type 2 est deux fois moins importante dans le groupe "chirurgie", même 15 ans après celle-ci.
  • La rémission du diabète de type 2 est durable. Après 15 ans de suivi, 30% des patients étaient en rémission de leur diabète.

Pr François Pattou, chef du service de chirurgie Générale et Endocrinienne, CHRU Lille, Inserm U859 - Biothérapies du Diabète, Univ. Lille Nord) : « Une méta-analyse parue en 2015 a montré un taux de rémission moyen à court terme du diabète de type 2 de l'ordre de 70%, que l’IMC (l’indice de masse corporelle qui définit le surpoids, l’obésité ou la maigreur) soit supérieur ou inférieur à 35 kg/m2. Ce taux de rémission s’altère avec le temps, comme c’est le cas pour tous les traitements, mais reste néanmoins très important. De plus, la plupart (> 90%) des diabétiques opérés, s’ils ne voient pas leur diabète disparaître, voient leur taux de glycémie s’améliorer, leur permettant de réduire leur traitement antidiabétique en conséquence ».

  • Les chances de rémission du diabète de type 2 sont d’autant plus importantes que la durée de diabète au moment de l’opération est faible, surtout inférieure à un an. Opérer plus tôt, avant que la maladie ne se soit compliquée, c’est mettre toutes les chances de son côté pour faire disparaître le diabète sur le long terme. Et le poids initial n’est pas le seul déterminant de la rémission du diabète.
  • La rémission durable du diabète de type 2 après chirurgie bariatrique est associée à une réduction des complications dites microvasculaires du diabète, c’est à dire la dégradation de la fonction rénale, les yeux et les nerfs. Chez les diabétiques en rémission depuis 15 ans, ce risque de complications microvasculaires est diminué de 80% chez les diabétiques en rémission, par rapport à ceux qui ne l’étaient pas.

Magdalena Taube, co-investiguatrice de la SOS Study (Dep Molecular and Clinical Medicine, Gothenburg, Suède) : « La chirurgie de l’obésité protège de l’apparition du diabète de type 2 sur le long terme. De plus, la rémission du diabète au long cours protège des complications microvasculaires ».

Prédire la disparition du diabète après chirurgie de l’obésité

L’équipe française du Pr Pattou (Lille) est l’une des pionnières dans l’étude des liens entre chirurgie de l’obésité et diabète de type 2. Elle coordonne l’étude "DIRECT" présentée à l’EASD 2016 (2) qui testait des modèles mathématiques pour prédire les chances de rémission de diabète d’une personne diabétique de type 2 grâce à la chirurgie bariatrique (ici la technique du bypass roux en Y). L’idée est de pouvoir interrompre le traitement en toute sécurité et de ne pas le poursuivre lorsqu’il n’est plus nécessaire. En fonction de quatre paramètres avant l’opération (valeur de l’HbA1c, le peptide C à jeun, le traitement par insuline et le nombre d’autres médicaments hypoglycémiants), ils sont parvenus à construire un modèle qui estime la probabilité de rémission à trois mois. Un argument supplémentaire lorsque l’option chirurgicale est discutée.

La chirurgie bariatrique devient l’un traitement du diabète de type 2

Impensable il y a quelques années à peine, la chirurgie métabolique s’impose de plus en plus comme un traitement du diabète de type 2 chez les personnes obèses en échec vis-à-vis de l’HbA1c avec les traitements conventionnels. Mais il est temps d’aller plus loin. En juin dernier, 45 sociétés savantes internationales dont la Société Francophone du Diabète ont publié leur prise de position concernant les indications de la chirurgie métabolique (3) : selon elles, les preuves de son bénéfice dans le diabète de type 2 sont telles que la chirurgie bariatrique doit désormais faire partie des possibilités thérapeutiques et envisagée en cas de diabète très déséquilibré (au-delà de 8% d’Hba1c), dès un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m2 (surpoids), en cas d’échec des médicaments antidiabétiques oraux et injectables. Elle est même "recommandée" lorsque l’IMC est supérieur ou égal à 40 kg/m2.

En France, la situation va probablement évoluer mais pour l’instant, les indications de la chirurgie bariatrique restent celles définies en 2009 par la Haute Autorité en Santé, à savoir un IMC supérieur ou égal à 40 ou à 35 kg/m2 avec des comorbidités dont le diabète. Rien qu’avec ces seuls critères, depuis 2006, le nombre d’interventions a triplé (près de 47 000 en 2014 ; PMSI 2014).

Pr François Pattou : « Il faut désormais considérer la chirurgie de l’obésité comme une chirurgie métabolique, parmi les autres possibilités thérapeutiques. C’est un traitement puissant qui permet de mieux soigner le diabète lorsqu’il est associé à une obésité, même légère. D’ailleurs l’IMC de la majorité des diabétiques de type 2 se situe entre 30 et 35 kg/m2 (obésité modérée). Ils doivent avoir la possibilité, lorsque les traitements classiques ne permettent pas d’équilibrer leur diabète, d’accéder à la chirurgie métabolique. Cette chirurgie ne guérit pas le diabète mais constitue un outil thérapeutique supplémentaire pour mieux traiter les cas les plus sévères ».

La chirurgie de l’obésité pour tous ?

En France, à part quelques centres multidisciplinaires dédiés à la chirurgie de l’obésité où l’on suit au plus près les patients opérés -une nécessité à la fois sur le plan médical, nutritionnel et psychologique- la plupart des patients sont rapidement lâchés dans la nature : à peine un an après l’opération, la moitié est perdue de vue.

Pr François Pattou : « Le dilemme en 2016 est celui-ci : nous sommes convaincus du bénéfice de la chirurgie bariatrique pour améliorer le diabète même pour les personnes ayant une obésité légère, mais modifier les indications de la HAS comporterait des risques. La chirurgie est une technique invasive, avec des conséquences non négligeables sur la santé de l’individu voire avec un risque de décès et qui dépend fortement de la pratique des chirurgiens. Autoriser le remboursement de la chirurgie métabolique pour des diabétiques dont l’IMC serait inférieure à 35kg/m2 (en l’occurrence entre 30 et 34,9 kg/m2) reviendrait à encourager l’opération d’un nombre considérable de personnes sans avoir résolu le problème de fond qui est le suivi et l’encadrement de cette chirurgie. Néanmoins, face à ces preuves scientifiques indéniables, les indications devront néanmoins être révisées à moyen terme ».

Le protocole de recherche national DIABSURG coordonné par François Pattou est une étude médico-économique de la chirurgie bariatrique dans la vraie vie chez des diabétiques de type 2 avec et une HbA1c>7,5% malgré l’intensification de leur traitement (IMC > 30 kg/m2). Elle produira les premiers résultats d’ici 2018 puis étudiera dans un second temps la morbi-mortalité sur le long terme (5-10 ans).

Sources

(1) Björn Eliasson et al. Lancet Endocrinol 29 sept 2015 ; (2) Gassenhuber J et al. Prediction of diabetes remission after gastric bypass, a direct study || ePoster #599 ; (3) Diabetes Care 2016;39:861–877

Depuis le congrès EASD 2016 à Munich (12-16 septembre 2016) et un entretien avec le Pr François Pattou, chef du service de chirurgie Générale et Endocrinienne, CHRU Lille, Inserm U859 - Biothérapies du Diabète, Univ. Lille Nord) 

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