Habiter près des vignes, facteur de risque de leucémie ?

Les leucémies sont des maladies rares chez l’enfant. Mais elles représentent les cancers pédiatriques les plus fréquents (30% des cas de cancers pédiatriques). On estime qu’en France, 29 % des 1 780 nouveaux cas de cancers diagnostiqués chez l’enfant de moins de 15 ans sont des leucémies, selon la Fondation pour la recherche sur le cancer.
Ces maladies se caractérisent par la fabrication de globules blancs (appelés également leucocyte, ces cellules présentes dans le sang et la lymphe défendent l’organisme contre les infections) anormaux, en quantité importante.
On distingue plusieurs formes de leucémie : les leucémies lymphoblastiques aigües, qui représentent 80 % des leucémies et les leucémies myéloïdes, qui représentent 20% des cas de leucémie, selon l’Inserm.
L’exposition aux pesticides est suspectée d’être un facteur de risque de cancers pédiatriques, et en particulier de leucémie. Jusqu’ici les études menées en France et à l’international ont analysé le risque de leucémie pédiatrique à la lumière de l’usage de pesticides par la mère au domicile, pendant et après la grossesse.
Une étude inédite sur le lien entre la proximité de vignes et le risque de leucémie pédiatrique
Pour la première fois, une équipe de l’Inserm s’est penchée sur l’exposition environnementale aux pesticides, à travers le fait de vivre à proximité de vignes et le risque pour les enfants de développer une leucémie. "Les travaux disponibles jusqu’ici ont donné lieu à des résultats hétérogènes du fait notamment de la difficulté à obtenir des données fiables sur la localisation exacte de la résidence des enfants, l’étendue et la localisation des parcelles agricoles, le type de culture cultivée sur ces parcelles, l’utilisation de pesticides sur ces parcelles et le cas échéant la quantité et le type de pesticides utilisés", précise l’Institut national scientifique de la recherche médicale, dans un communiqué.
Pour élargir leurs connaissances sur le sujet, les scientifiques du laboratoire CRESS (Inserm/Université Paris Cité) en collaboration avec Santé publique France, se sont intéressés sur le risque de leucémie chez les enfants de moins de 15 ans vivant à proximité de parcelles agricoles. Leurs travaux ont été conduits sur l’ensemble du territoire français.
Des travaux réalisés sur la France entière
Pour mener à bien cette étude, les chercheurs de l’Inserm ont utilisé les données du Registre national des cancers de l’enfant de 2006 à 2013. Ils ont estimé la présence et la surface de viticulture autour de l’adresse de résidence des 3 711 enfants de moins de 15 ans atteints de leucémie en France sur cette période. Cette estimation a également été réalisée pour 40 196 enfants (témoins) non malades du même âge, sélectionnés pendant la même période à partir de bases de données fiscales pour être représentatifs de la population métropolitaine de moins de 15 ans.
La présence et la surface en vignes autour des coordonnées des enfants ont été évaluées en utilisant des cartes permettant de repérer les cultures agricoles (construites pour cette étude par Santé publique France).
Une association entre leucémie et surface des vignes
Leurs conclusions, publiées dans la revue Environmental Research, donnent à voir des résultats mi figues mi raisins. D’abord, le risque de leucémie n’augmente pas avec la simple présence de vignes à moins de 1000 m de l’adresse de résidence. "La présence de vignes à moins de 1000 mètres de l’adresse de résidence n’était pas plus fréquente chez les cas (9,3%) que chez les témoins (10%)", précise l’Inserm.
Néanmoins, les chercheurs pointent du doigt une légère augmentation du risque de leucémie selon la surface totale des vignes présentes dans ce périmètre.
Plus précisément, une association a été mise en évidence entre le risque de développer une leucémie de type "lymphoblastique" et l’étendue de la surface couverte par les vignes, dans ce périmètre de 1000 mètres autour de l’adresse des enfants. Un risque qui augmente de façon modérée en fonction de la surface couverte par les vignes. "En moyenne pour chaque augmentation de 10 % de la part couverte par les vignes dans le périmètre de 1000 mètres, le risque de leucémie lymphoblastique augmente de près de 10%", détaille l’étude.
Pesticides : aucun lien observé pour les leucémies myéloïdes
Dans le cas de leucémies lymphoblastiques, les cellules qui se transforment normalement en lymphocytes (un type de globules blancs) deviennent cancéreuses, s’accumulent et remplacent rapidement les cellules sanguines normales de la moelle osseuse (globules rouges, globules blancs et plaquettes). Ces lymphocytes anormaux ne peuvent non seulement pas remplir leur fonction protectrice de l’organisme mais peuvent se répandre partout dans l’organisme (cerveau, moelle épinière), favorisant un risque d’anémie, d’insuffisance hépatique et rénale et de lésions dans d’autres organes, selon MSD manual.
Aucune augmentation du risque n’a été retrouvée pour les leucémies myéloïdes, précisent les chercheurs.
Les résultats étaient foncièrement les mêmes en tenant compte d’autres facteurs, susceptibles de jouer sur le risque de leucémie, comme le degré d’urbanisation et le niveau moyen journalier d’UV dans la commune ou encore la longueur de routes majeures à moins de 150 mètres de l’adresse.
Cancer pédiatrique et vignes : des liens plus forts dans certaines régions
Autre fait intéressant, les résultats de l’étude dessinent des contrastes plus marqués selon les régions. Ainsi des associations plus nettes sont ressorties en Pays de la Loire, Grand-Est, Occitanie, et Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse.
Ces conclusions relativement préoccupantes encouragent les chercheurs à aller plus loin. Ils ouvrent la voie à des travaux similaires sur d’autres cultures mais aussi à des analyses approfondies du risque de leucémie selon le pesticide utilisé. "Nous avons ici commencé par la viticulture qui est une culture pérenne plus clairement identifiable que des cultures soumises à des rotations, par exemple, et qui fait l’objet de nombreux traitements phytosanitaires. Les analyses concernant les autres cultures sont en cours de même que les analyses d’autres types de cancers. En parallèle, nous travaillons sur l’évaluation des expositions aux différents pesticides utilisés sur ces cultures. C’est un travail long, complexe qui repose sur plusieurs collaborations", conclut Stéphanie Goujon, chercheuse Inserm et dernière autrice de l’étude.