Flibansérine : la nouvelle molécule du désir au féminin

Après cinq ans et deux tentatives soldées par des échecs, la dernière aura été la bonne : le 18 août, la Food and Drug Administration (FDA) -l’Agence américaine des produits alimentaires et des médicaments- approuvait la commercialisation de la flibansérine. Son objectif : booster la libido des femmes. Ce comprimé rose s'appelle Addyi®, et c’est le tout premier médicament indiqué dans les Dysfonctions Sexuelles Féminines. Mais là s’arrête la comparaison avec une pilule bleue bien connue, le Viagra® masculin. Les explications du Pr François Giuliano, chirurgien-urologue et sexologue au Département de Médecine Physique et de Réadaptation à l’hôpital Raymond Poincaré (Garches).
© Istock
Sommaire

La flibansérine, un Viagra® au féminin ?

La flibansérine produite par un laboratoire américain n’a rien en commun avec le Viagra® prescrit chez l’homme. Alors que le Viagra® -du citrate de sildénafil- est prescrit en cas de trouble mécanique, en l’occurrence des troubles de l’érection en agissant localement au niveau du tissu érectile en réponse à une stimulation sexuelle, la flibansérine a une toute autre vocation : stimuler un désir sexuel hypoactif (HSDD) en agissant, pour sa part, au niveau cérébral.

Précision de taille : contrairement au Viagra® qui se prend à la demande, la flibansérine est un traitement chronique. Elle est à prendre quotidiennement et son efficacité ne survient qu’après plusieurs semaines (quatre au minimum).

Comment agit la flibansérine ?

"Au total, trois équipes de recherche dans le monde dont la nôtre ont conduit les rares travaux expérimentaux sur cette molécule, souligne le Pr Giuliano. Ceux que nous avons réalisés dans notre laboratoire (1-2), ont tenté de préciser son mécanisme d’action -encore imprécis- et son effet chez le rat femelle." La flibansérine est une molécule double action. Attendue au départ pour un effet antidépresseur, c’est son effet "aphrodisiaque" qui a attiré l’attention des chercheurs. "Elle agit vraisemblablement, poursuit-t-il, sur deux systèmes faisant intervenir la sérotonine et la dopamine, neuromédiateurs impliqués, entre autres, dans le contrôle des fonctions sexuelles chez la femme et la génération du désir sexuel."

Quelle efficacité espérer de la flibansérine ?

Trois essais cliniques de phase 3 – chez l’Homme et sur lesquels se fondent les experts pour accorder l’Autorisation de mise sur le Marché (AMM)- ont été menés. Sur 2 400 femmes âgées de 36 ans en moyenne, entre 8 et 13 % ont fait part d'une amélioration (en moyenne 0,5 fois plus d’“événements sexuels satisfaisants” par mois) dans leurs relations sexuelles, en termes de désir mais aussi de diminution de l'angoisse (3). Selon un des essais cliniques, les femmes sous flibansérine ont indiqué avoir eu en moyenne 4,4 expériences sexuelles satisfaisantes en un mois (contre 2,8 au début de l’étude). Cependant, les femmes sous placebo ont aussi eu une amélioration, passant de 2,7 à 3,7 (4), "soulignant le fait que ce symptôme d’hyposexualité a une très forte composante psychologique, ajoute François Giuliano, et des études ont montré que lorsque cette composante psychologique est forte, l’effet placebo est important lui-aussi, avec un potentiel de suggestion considérable." Selon la FDA, environ 10% des femmes en plus dans le groupe sous flibansérine comparé au groupe placebo ont rapporté une amélioration de la satisfaction sexuelle et du désir sexuel (3).

Le rapport efficacité/effets secondaires de la flibansérine divise les experts mais tous s’accordent sur un effet modeste. "Néanmoins cet effet est certes modeste, reconnait l’urologue, mais réel sur le plan statistique vis-à-vis de la sexualité de ces femmes qui expriment des plaintes d’insuffisance de désir. Seul le suivi de l’utilisation de ce médicament dans la "vraie vie" précisera son efficacité."

La flibansérine est-elle une avancée dans le domaine du plaisir féminin ?

"En dépit d’un effet modeste, c’est à mon sens une avancée car cela ouvre enfin la porte à une aide pharmacologique aux femmes qui expriment une plainte dans le domaine de la sexualité. Avant cette AMM américaine, nous n’avions aucune solution à leur proposer. Est-ce cette molécule-là qui pourra réellement aider les femmes en cas de désir sexuel hypoactif ? Nous le saurons avec le recul" estime le spécialiste. Cette AMM a le mérite de braquer les projecteurs sur les dysfonctions sexuelles féminines et "cela va enfin stimuler la recherche dans ce domaine, intéresser les industriels et les pharmacologues." Une autre molécule, le bremelanotide, est en cours de développement clinique.

Notre Newsletter

Recevez encore plus d'infos santé en vous abonnant à la quotidienne de E-sante.

Votre adresse mail est collectée par E-sante.fr pour vous permettre de recevoir nos actualités. En savoir plus.

Source : (1) Brain neuronal activation induced by flibanserin treatment in female rats. Psychopharmacology (Berl). 2013 Dec;230(4):639-52. doi: 10.1007/s00213-013-3194-6. Epub 2013 Jul 16.
(2) Flibanserin treatment increases appetitive sexual motivation in the female rat. J Sex Med. 2013 May;10(5):1231-9. doi: 10.1111/jsm.12094. Epub 2013 Feb 19.
(3) http://www.fda.gov
(4) Jolly E, Thorp J, Clayton AH, et al. Patient’ Perspective of Efficacy of Flibanserin in Premenopausal Women with HSDD. Oral presentation at the 58th Annual Clinical Meeting of The American College of Obstetricians and Gynecologists, May 2010 
D’après un entretien avec le Pr François Giuliano, chirurgien urologue et sexologue au Département de Médecine Physique et de Réadaptation à l’hôpital Raymond Poincaré (Garches)