Faut-il protéger les enfants des images de guerre ?

Publié par Dr Catherine Feldman
le 9/04/2003
Maj le
6 minutes
Autre
La guerre en Irak touche à sa fin et les enfants, grands consommateurs de télévision, ont été largement exposés. Si les adultes se questionnent sur ces images de guerre et cette guerre des images, que se passe-t-il dans la tête des enfants ? Comportent-elles un danger dont il faudrait les protéger ?

Alex a 4 ans. Alors que ses aînés, adolescents, parlent avec leurs parents du métier qu'ils feront plus tard, il répond : « Moi, je serai acteur de dessins animés ». Certes, l'histoire pourrait faire gagner un abonnement d'un an à Parent Magazine, mais surtout elle illustre bien que la différence entre le monde réel et le monde virtuel ou télévisuel n'est pas clairement établie à cet âge.

Entre le monde réel et les images virtuelles, le cœur des enfants balance

Les enfants acquièrent progressivement la capacité à établir la distinction entre le monde réel et monde virtuel. Et lorsque le monde réel apparaît sous la forme d'images télévisuelles violentes, comme cela est le cas pour les images de guerre, il existe un risque de confusion. Enfin, quand bien même il leur est possible d'établir la différence entre ces types de représentations, l'impact émotionnel des images produit des effets sur le psychisme, tout se passant comme si, dans certains cas, la pensée perdait son pouvoir critique et donc protecteur. Ainsi, est-on parfois stupéfait d'apprendre qu'un adolescent a lacéré et tué sa petite amie après avoir vu la même « scène » dans son feuilleton préféré…

La violence télévisuelle a des conséquences psychologiques sur les enfants

Il existe peu d'études relatives à l'impact des images de guerre sur les enfants. En revanche, notamment en Amérique du Nord, les recherches psychologiques sur l'impact de la violence à la télévision sont nombreuses. En France, le rapport B Kriegel du CSA (Commission Supérieure de l'Audiovisuelle) « Violence et télévision »*, remis au Gouvernement en novembre 2002, a conclu qu'il existait « un effet net de l'impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes et/ou un ensemble de présomptions convergentes tendant à établir cet effet ».

Des réactions de crainte, d'anxiété, de détresse

Le rapport Kriegel précise que « les effets émotionnels à court terme de l'exposition à la violence télévisuelle sont des réactions de crainte, d'anxiété et de détresse ». En effet, les images violentes sont perçues par les enfants dans un registre purement affectif, puisqu'ils ne sont pas en mesure d'y trouver des explications et de « rationaliser » les images qu'ils reçoivent. C'est la raison pour laquelle, il peut être conseillé aux parents, non pas de leur dissimuler les images, mais de les regarder avec eux et de leur donner toutes les explications qu'ils peuvent comprendre. L'enfant n'est pas toujours capable d'exprimer verbalement son anxiété ; celle-ci peut se traduire par une agitation, un mauvais sommeil, un « pipi au lit » alors qu'il est habituellement propre, etc. Autant de signaux qui doivent attirer l'attention !

Un risque d'insensibilité à la violence réelle

Les enfants exposés à la violence télévisée peuvent aussi devenir insensibles à l'égard de la violence réelle. Ils mettent alors en place un système de protection psychologique tellement efficace, que progressivement, ils s'anesthésient et ne perçoivent plus la violence des images.Le danger n'est pas immédiat, mais à plus long terme, cette attitude risque de leur faire mal évaluer la violence des autres et leur propre agressivité. L'autre risque est que les enfants grandissent en ayant la représentation que le monde qui les entoure n'est que « méchant » et que seule la force physique permet de régler les conflits.

Un risque d'exacerbation de l'agressivité

Des recherches de psychologues ont montré que les enfants entre l'âge de 6 et 10 ans sont particulièrement sensibles aux effets de la télévision. D'une part, parce qu'ils passent beaucoup de temps à cet âge devant l'écran, d'autre part, parce qu'ils distinguent encore mal le monde réel et télévisuel. De plus, sur le plan de leur développement, l'agressivité de l'enfant est en pleine croissance (il existe une forme d'agressivité nécessaire et saine). Trop stimulé, l'enfant risque de développer des comportements agressifs, avec ses parents ou ses camarades de classe, dont il ne mesure pas la portée. A plus long terme, une autre étude américaine a montré que la préférence de jeunes garçons pour le contenu télévisuel violent était corrélée de manière significative au degré d'agressivité observé chez ces mêmes garçons dix ans plus tard.

A long terme, un risque de désensibilisation

Lorsque les enfants passent de longues heures devant des images violentes montrées sur le petit écran, qu'il s'agisse de fictions ou du réel, l'autre danger qui les guette à plus long terme est « une désensibilisation ». Autrement dit, l'enfant est alors victime d'une saturation émotionnelle et il perd toute notion d'échelle de valeur de la violence. Ainsi, récemment un enfant de 14 ans, inculpé pour avoir ligoté une « camarade » de classe dans une poubelle dans laquelle lui et sa bande d'amis ont déposé des mégots allumés, répond au journaliste qui le questionne sur le sens de son acte : « c'était juste pour jouer ; elle a pas compris » !

Un risque accru de comportements violents

Une étude nord-américaine a démontré que la fréquence d'exposition des garçons aux émissions violentes qu'ils préfèrent, selon leurs propres dires, permet de prédire la fréquence et la gravité des délits criminels qu'ils commettraient à l'âge de 30 ans, quelle que soit l'agressivité initiale de leur tempérament. Par ailleurs, si ce risque de comportement violent est accru, c'est aussi parce que la perception de la violence est atténuée, voire banalisée. La violence télévisée change la perception des jeunes nourris par de telles images depuis leur plus jeune âge, au point qu'elle leur semble plus acceptable. Les enfants ayant regardé un film violent toléraient mieux des comportements agressifs plus extrêmes chez d'autres enfants, avant de demander l'aide d'un adulte.

Le temps passé devant la télévision constitue un facteur de risque

Aux Etats-Unis, le temps consacré à la télévision est d'environ deux heures et demi par jour à l'âge de cinq ans et environ quatre heures par jour à l'âge de douze ans. Vers la fin de l'adolescence, le temps passé à regarder la télévision se stabilise à deux ou trois heures par jour. Au moment où l'enfant américain normal atteint l'âge de 16 ans, il aurait vu 20.000 homicides ! Nous ne disposons pas en France de chiffres aussi précis, mais l'extrapolation paraît possible.

Le devoir des adultes, protéger les enfants

Il est donc essentiel de protéger les enfants. Il ne s'agit pas de leur dissimuler la réalité, de la guerre par exemple, telle qu'elle est actuellement diffusée sur nos écrans. Il est surtout nécessaire d'accompagner ces images de la présence d'un adulte et d'y mettre des mots bien choisis leur permettant de comprendre avec leur intellect et pas seulement avec leurs émotions. Bien sûr, mieux vaut éviter « une surexposition » des enfants à une succession d'images de violence.

Pour en savoir plus sur le thème des médias et de la violence

* Texte complet du rapport Blandine Kriegel : « Violence et télévision », CSA, novembre 2002, sur le site Internet de France-Culture : www.culture.fr/culture/actualites/communiq/aillagon/rapportBK.pdfLes effets de la violence dans les médias sur les enfants Deux excellents sites Internet canadiens :

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