''Donner le droit à chacun, fumeur ou non fumeur, de se protéger contre le tabagisme passif...''

Ce projet constitue-t-il un prolongement de la loi Evin en vigueur depuis 1991 ?
La loi EVIN, qui fait suite aux mesures prises pas Simone VEIL, a été une loi courageuse et pionnière. Elle a voulu organiser la cohabitation entre les fumeurs et les non fumeurs. Sur ce point elle a échoué car les exceptions ont été savamment exploitées par le lobby des cigarettiers pour la rendre inapplicable. Mais elle a aussi permis de mettre une sourdine à la propagande de mensonges de l'industrie du tabac. Sur ce point elle a réussi car les éléments scientifiques prouvant les dangers du tabac ont enfin pu être écoutés. Mon initiative tire les conséquences de ce travail. Je souhaite donc donner vie au droit absolu de chacun, fumeurs et non fumeurs, à être protégé des dangers du tabagisme passif. Il appartiendra maintenant au gouvernement de prendre la décision de reprendre ce principe pour sa mise en oeuvre concrète dans le pays. Il est certain que cette mesure ne pourra être appliquée que dans la mesure où les enjeux auront été expliqués aux français. Cependant, nous partons avec un capital favorable de 80% d'entre eux et de plus de 50% des fumeurs eux-mêmes. Parallèlement à ce débat, que nous contribuons à nourrir au travers cet entretien, il faudra prévoir des mesures d'accompagnement en terme de prévention et de sevrage.
Le ''répressif'' ayant montré ses limites dans beaucoup de domaines, quelles mesures d'accompagnement préconisez-vous quand on sait que nombre de fumeurs déclarent ne pas avoir l'intention de s'arrêter ?
Le répressif a aussi montré ses succès, ainsi en matière de sécurité routière. Par ailleurs, le but premier de cette mesure n'est pas de faire arrêter de fumer. Il s'agit de permettre à chacun de vivre librement sans courir le risque des dangers du tabagisme passif. Interdire de conduire en état d'ivresse n'a pas pour but de faire que les personnes cessent de boire, mais simplement que chacun puisse circuler librement sans courir le risque de conduire en présence de chauffards. Si cette mesure amène des personnes à arrêter la cigarette, nous aurons atteint indirectement un autre but. Pour ma part, je considère que le meilleur moyen d'arrêter de fumer c'est de ne pas commencer. C'est pourquoi, je crois fondamental l'application de la loi à l'école. Je trouve d'ailleurs scandaleux l'attitude de certains enseignants qui par leur exemple confient nos enfants à la dépendance des cigarettiers.
Quels sont vos alliés dans cette lutte anti-tabac dans la mesure où la pression anti-tabac reste faible en France, contrairement aux pays anglo-saxons ?
Mes premiers et meilleurs alliés sont tous celles et tous ceux qui sont victimes du tabagisme passif. Lorsqu'ils s'expriment, au travers des sondages, ils sont près de 80% de la population française, dont plus de 50% de fumeurs. Je suis convaincu que si les français étaient appelés à voter, une très grande majorité se prononcerait en faveur de cette mesure. Sans eux rien n'est possible. Il est vrai qu'il s'agit de la majorité silencieuse. Mes autres alliés sont les salariés qui ne souhaitent plus être enfumés par leurs collègues, mais aussi par les clients. A ce titre, je considère que cette protection s'adresse aussi aux salariés travaillant dans les cafés, restaurants ou discothèques qui ne doivent pas être considérés comme des employés de seconde zone. Je veux aussi croire que l'ensemble des milieux de santé figure parmi ces alliés. Au final, je crois que mes alliés sont nombreux, simplement comme souvent, dans ce domaine, la fumée et par voie de conséquence les fumeurs occupe tout l'espace.
Le principe de précaution, qui s'applique par exemple à la nourriture (OGM, vache folle, grippe aviaire), vous paraît-il transposable à la consommation de tabac ?
Le principe de précaution me semble ici largement dépassé. C'est un droit de protection que je souhaite mettre en place. Il ne s'agit plus de se demander si la consommation de tabac est dangereuse. Ce fait est établi depuis maintenant de longues années. Il est d'ailleurs intéressant de mettre en parallèle les mesures qui sont envisagées dans notre pays en cas de grippe aviaire et qui ne soulèvent de la part de la population aucune protestation, avec l'encadrement que je propose. Cette situation met en évidence le succès de l'industrie du tabac à masquer les dangers pour la santé du tabagisme actif et passif. Il ne viendrait à l'idée de personne de dire que l'on stigmatise les malades de la grippe en leur demandant de rester chez eux pour ne pas propager la maladie ; parce que l'un sait qu'il est malade et contagieux tandis que les autres savent que ce peut être un danger pour eux. La quasi-totalité des fumeurs a aujourd'hui conscience d'être une gène mais pas encore d'être un danger.
Vous êtes Président du groupe d'études sur le médicament à l'Assemblée Nationale. A ce titre, quelles sont pour vous les autres priorités de santé publique ?
Sur un plan technique ma préoccupation majeure en matière de sécurité sociale est de ne pas transférer sur les générations futures le financement de notre système de soin. Ainsi, aujourd'hui, les médicaments que nous consommons pour être en bonne santé vont devoir être payés par nos enfants qui en plus devront assurer nos retraites et l'éducation de leurs enfants. Si nous ne faisons rien, nous mettons en place les éléments d'une future guerre des générations. Je suis donc attaché à ce que l'ensemble du système fonctionne en éliminant le plus possible les gaspillages et les fraudes. Je souhaite que l'argent dépensé serve à la santé des assurés pas à la création de rentes de situation au profit de quelques catégories. Au terme de ce travail nous pourrons engager le débat sur la part de richesse que nos concitoyens sont prêts à consacrer à leur santé. Sur un plan plus médical, ma préoccupation porte sur la place de la prévention dans notre système. Il nous faut tourner les professionnels vers plus de dépistages. Dans le même temps, il faut adapter nos comportements. Nous vivons dans une société où le marketing des entreprises tient une place importante. Le développement des cancers est lié à la production en masse des cigarettes. L'obésité apparaît parce que nous sommes plus sédentaires mais aussi parce que nous consommons de moins en moins de produits frais et de plus en plus de nourriture manufacturée. De nouveaux phénomènes d'alcoolisation apparaissent avec la création de boissons «prémix» commercialement pensées pour les jeunes. Au final ma préoccupation est de garder à l'esprit que notre environnement change et que la pire chose serait de penser qu'il suffit de gérer sans avoir à décider. Ceci ne se fait pas sans un certain nombre de souffrances mais c'est sans doute la voie pour donner à nos concitoyens les moyens d'une bonne santé.