Divorce : les petits nomades de la garde alternée

Publié par Véronique Ozanne
le 27/04/2012
Maj le
8 minutes
Autre
Avec un divorce pour deux mariages sur l’ensemble du territoire et deux sur trois dans les grandes villes, la mise en place et la gestion de la garde des enfants encombre les tribunaux. Résidence classique chez maman, avec un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires chez papa ou résidence alternée ?Un point sur les études récentes.

Garde alternée : un bon point pour le père, mais qu'en est-il pour l'enfant ?

Après avoir été longtemps considéré par la justice comme seules à pouvoir assumer l’éducation des enfants avec une présence souvent symbolique de ces derniers auprès de leurs pères, les mères sont clouées au pilori et sommées de laisser leurs tout petits aux pères la moitié du temps.

À l’heure qu’il est, toutes les études montrent que la résidence alternée est fortement déconseillée avant l’âge de 3 ans et peu recommandée avant 6 ans.

Pourtant certains magistrats, sans informations sur les besoins essentiels de l’enfant, le plus souvent des hommes, s’identifiant sans doute aux pères, préconisent la résidence alternée pour un nombre important de nourrissons.

Pour les plus grands aussi, la perte répétée chaque semaine des êtres d’attachement et des lieux de vie peut avoir à long terme un effet traumatisant.

L’attachement, un besoin primaire chez l’enfant

L’attachement est un besoin inné, vital sur le plan affectif que l’enfant établit au début de sa vie avec l’adulte qui s’occupe principalement de lui. Il doit pouvoir maintenir une proximité physique avec cette personne lorsqu’il ressent un mal-être.

Lorsqu’il se sent en sécurité, l’enfant peut désactiver le système d’attachement et activer le système d’exploration du monde qui l’entoure en laissant sa curiosité s’exprimer.

La médiatisation des nouveaux pères qui assurent les soins des bébés a laissé penser que la spécificité du lien mère-bébé n’existait pas. Pourtant malgré l’implication précoce du père, c’est la base de sécurité maternelle qui doit être privilégiée lorsque les parents ne communiquent pas.

L’enfant perçoit le monde en fonction de son niveau de compréhension. Ainsi un enfant de huit mois et souvent même plus âgé ne peut garder l’image de sa maman dans la tête que pendant un certain nombre de jours : au-delà cette image s’efface comme si elle n’existait plus. Il perd aussi l’image des lieux et ne reconnaît plus sa maison après une absence relative. Ce n’est que lorsqu’ils grandissent que les petits impriment durablement leurs êtres d’attachement et les lieux familiers.

Confronté à des pertes constantes, ce sentiment d’insécurité les suivra toute leur vie et ils auront tendance à le transmettre à la génération suivante.

Séparation consensuelle ou conflictuelle

La conflictualité entre les parents aggrave le sentiment d’insécurité de l ‘enfant en particulier lorsqu’il n’a pas le droit d’évoquer le parent absent, de communiquer avec lui par téléphone ou lorsqu’il est privé des repères de l’autre maison comme les doudous ou les vêtements.

Cette perte supplémentaire ajoutée à celle du parent absent l’oblige à utiliser une grande partie de son énergie psychique pour y faire face avec pour conséquence, l’apparition de troubles obsessionnels, de cauchemars répétitifs, et d’une angoisse à l’origine de phobies.

Cependant, une décision consensuelle ne garantit pas que la garde alternée soit bien supportée. Il faut aussi une implication personnelle de chaque parent auprès de l’enfant autant dans les soins que dans les activités le concernant. Quand elle est imposée et sans communication, les bénéfices de la résidence alternée sont annulés : les spécialistes de la santé mentale infantile sont unanimes pour dire que ce mode d’hébergement ne doit pas être imposé quand les parents sont en conflit ouvert, l’expérience prouvant que dans ce contexte, ce mode de garde ne fait qu’attiser les désaccords.

Un moindre mal

Pour qu’une résidence alternée s’organise avec le moins de dommages possibles pour l’enfant, il faut des conditions précises :

  • Les parents ne doivent pas être en conflit et communiquer. Les enfants doivent pouvoir communiquer avec le parent dont ils sont séparés.
  • Le père doit avoir été impliqué suffisamment dans les soins précoces.
  • Les rythmes d’alternance doivent prendre en compte l’âge de l’enfant.
  • Les transitions d’un parent à l’autre doivent être sereines et les parents doivent pratiquer les même rituels de lever-coucher, veille-sommeil et respecter les routines de l’enfant.
  • Les deux parents doivent pouvoir se rendre également disponibles.
  • Lorsque les enfants grandissent, les domiciles des parents doivent être proches. S’ajoutent le plus souvent à ces déracinements du côté du père très pris professionnellement, ceux des grands-mères et des compagnes qui prennent le relais.
  • Et enfin il faut que la sensibilité de l’enfant s’y prête. Même si toutes ces conditions sont réunies, certains ne supporteront pas ce mode de vie et ce, sans que ce soit immédiatement évident pour les parents, l’enfant ayant à cœur de ne pas faire de vagues et de contenter tout le monde. Ce sont les troubles somatiques qui donneront l’alarme.

Quelle est la place du père ?

Ce n’est pas tant la quantité de temps passée ensemble que la qualité de la relation et la disponibilité du père qui fait la qualité de la relation : un père très occupé qui confie constamment ses enfants les jours de garde à son entourage remplit beaucoup moins bien son rôle qu ’un père totalement disponible lors d’une garde traditionnelle.

Rappelons que toutes les études sociologiques actuelles montrent que ce sont les mères, qu’elles travaillent ou pas, qui assument essentiellement les soins et l’éducation des enfants lors de la vie commune.

Lors des séparations, c’est en réalité moins une présence physique du père qui manque à certains enfants, qu’une fonction paternelle.

Décision de garde alternée : quelles sont les motivations des parents ?

La garde alternée lorsqu’elle est acceptée par les deux parents a de multiples motivations :

  • culpabilité de celui qui a provoqué la rupture,
  • désir de liberté pour investir une nouvelle histoire d’amour ou un nouvel investissement professionne,
  • ou, sentiment que l’état dépressif de l’un ou l’autre parent nécessite un partage plus réparti du temps.

Le souhait que grâce à cet arrangement, puisqu’il verra autant sa mère que son père, rien ne change pour l’enfant est illusoire : il doit désormais changer en permanence de lieu de vie, d’habitudes et de personnes. Dans la plupart des cas, ce n’est pas l’intérêt de l’enfant qui est privilégié.

Le plus souvent, les séparations entraînent un rapport de force entre les conjoints qui fait passer au second plan leur capacité de s’identifier aux besoins d’un tout petit : le bébé est supposé capable de s’adapter. Il n’en est rien.

Révolte et distanciation

Dans un premier temps, l’enfant fait de la résistance. Les pédiatres et pédopsychiatres constatent chez ces enfants les symptômes suivants :

  • Un sentiment d’insécurité avec l’apparition d’angoisse d’abandon, l’enfant ne supportant plus que sa mère sorte de son champ visuel, en particulier le soir.
  • Un aspect dépressif avec un regard vide pendant plusieurs heures.
  • Des troubles du sommeil, de l’eczéma, de l’asthme.
  • De l’agressivité, en particulier vis-à-vis de la mère considérée comme responsable de l’éloignement. Les retrouvailles sont difficiles et sans cesse répétées, l’enfant tape sa mère ou la boude, puis refuse peu après tout éloignement d’elle.
  • Une perte de confiance dans les adultes, en particulier vis-à-vis du père dont la vision déclenche une réaction de refus.

À peine l’enfant a-t-il retrouvé un semblant d’équilibre, qu’il doit repartir ! Dans un deuxième temps, l’enfant renonce et fait taire ses symptômes : il ne veut pas décevoir ses parents et se montre parfait, adapté à leurs désirs avec même une bonne réussite scolaire, l’école étant la seule constante dans sa vie.

Le plus souvent, il s’anesthésie pour ne plus souffrir, une partie de lui tente de se détacher d’un des parents tandis que l’autre partie aime ce parent et en a profondément besoin. Cette souffrance risque de réapparaître à l’âge adulte.

Le calendrier de Brazelton

Thomas Berry Brazelton, célèbre pédiatre américain propose un dispositif* qui permet à l’enfant de bénéficier le plus souvent de la présence de son père sans trop de fractures avec sa mère.

  • De 0 à 1 an : rencontres avec le père deux à trois heures, deux à trois fois par semaine sans passer la nuit chez lui.
  • De 1 à 3 ans : à ces trois demi-journées, lorsque l’enfant est familiarisé à son père, on ajoute une nuit dans la semaine sans que la séparation d’avec la mère ne dépasse un jour et demi.
  • De 3 à 6 ans : un week-end de deux jours et deux nuits tous les 15 jours et une journée une semaine sur deux pour que l’enfant rencontre son père chaque semaine. À cela s’ajoute la moitié des vacances scolaires sans dépasser 15 jours consécutifs chez le père.

*Ce calendrier est utilisé en cas de conflit conjugal important par plusieurs tribunaux américains.

Papa a une maison, maman a une maison, moi, je n’en ai pas !

Marie, une enfant nomade maintenant adulte : «J’ai l’impression d’avoir été sans arrêt déracinée, sans arrêt baladée d’un point à un autre, avec le sentiment de n’avoir été nulle part chez moi : j’aurais préféré “nicher” chez ma mère, non pas que j’éprouvais moins d’amour pour mon père, mais ma base de sécurité affective était là.»

Tous les adultes qui ont témoigné ont fait l’objet d’une décision de garde partagée consensuelle puisque à l’époque, elle ne pouvait être imposée. Les jeunes qui ont apprécié ce mode de vie ont tous affirmé que non seulement chaque parent s’était investi personnellement auprès de son enfant mais aussi qu’ils avaient eu le sentiment d’avoir été éduqué de façon cohérente.

Le plus difficile a été pour tous l’oubli de leurs affaires chez l’un ou l’autre, les bagages à faire chaque semaine et surtout le sentiment de ne jamais avoir eu un «chez soi».

Un séparation nocive

Un nombre important de nourrissons sont en résidence alternée avec un hébergement qui inclut une séparation pendant la moitié des vacances scolaires : les mères qui allaitent sont alors obligées de tirer leur lait pour le livrer avec le bébé alors même qu’une multitude de travaux scientifiques en cours prouvent la nocivité de telles séparations prolongées avant l’âge de 3 ans.

La garderie ou la crèche n’ont évidemment pas la même incidence sur le petit enfant puisqu’il retrouve sa base de sécurité tous les soirs.

Je bouquine…

Divorces, séparations : les enfants sont-ils protégés, de Jacqueline Félip et Maurice Berger, Éditions Dunod, 22,90 €.

Sources

Magazine Côté Santé

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