Chirurgie bariatrique : quels sont les risques et les bénéfices ?

Opérer les personnes souffrant d'obésité sévère est une activité en plein boom. Chaque année, quelque 60 000 Français.e.s passent sur la table d'opération des spécialistes de ce domaine. C'est trois fois plus qu'en 2006.
L'intervention figure parmi les méthodes les plus efficaces contre la surcharge pondérale massive. Mais elle comporte aussi de nombreux risques qu'il faut garder à l'esprit au moment d'entamer son parcours. Car, la moitié des opéré.e.s sont perdus de vue dans les années qui suivent la chirurgie. Et cela les expose à de sérieux dangers.
Le + : une perte de poids à long terme
Une chose est sûre : la chirurgie bariatrique livre des résultats spectaculaires en termes d'amincissement. D'un IMC supérieur à 40 – donc une obésité morbide –, les patient.e.s perdent en moyenne 30 % de leur excès de poids.
"Les résultats sont hétérogènes, bien sûr, mais c'est une excellente moyenne au bout de 5 ans", souligne le Pr François Pattou. Ce spécialiste du diabète et de l'obésité mène régulièrement des études sur les personnes qu'il opère. Et son constat est sans appel : aucun traitement ne permet de tels résultats à ce jour.
Toutefois, cette perte de poids massive "ne signifie pas qu'ils sont maigres pour autant, et le risque de reprendre du poids est très important." C'est pourquoi un suivi régulier est nécessaire : il permet de garantir une stabilisation à long terme.
D'ailleurs, dans un récent rapport, l'Académie nationale de médecine note que "les patients perdent moins de poids lorsqu'ils ne se rendent pas aux consultations de contrôle".
Le + : une meilleure qualité de vie
Au moment d'entrer au bloc, la majorité des patient.e.s sont considéré.e.s comme jeunes. Trois sur quatre ont entre 25 et 54 ans. Ce qui leur laisse de nombreuses années pour profiter d'un corps allégé de nombreux kilos. Et leur quotidien s'améliore considérablement.
"La qualité de vie d'une personne obèse sévère est effroyable, rappelle François Pattou. Elle est comparable à celle d'un individu atteint d'un cancer métastatique." Il faut dire que les freins sont nombreux au quotidien : la vie affective et professionnelle est souvent limitée, les déplacements difficiles… "Tous les aspects de l'existence sont altérés", estime le spécialiste de l'excès de poids.
Après l'intervention, en revanche, les opéré.e.s subissent moins le poids social de leurs kilos en trop. "A court terme, le gain est énorme. C'est la principale raison pour laquelle les patients demandent la chirurgie", indique le Pr Pattou.
Une étude menée en Suisse le confirme. Sur plus de 400 personnes prises en charge, 85 % jugent que leur qualité de vie a été améliorée. Une satisfaction qui dépend tout de même de l'ampleur de la perte de poids : ceux qui ont perdu le moins de kilos ressentent moins les bénéfices sociaux de l'intervention.
Le + : moins de maladies associées à l'obésité
Outre leur obésité, les personnes en surcharge pondérale ont souvent à assumer des maladies associées – appelées comorbidités. Elles peuvent être si lourdes qu'elles justifient une exception dans les règles qui régissent l'accès à la chirurgie bariatrique.
L'intervention n'est, normalement, autorisée qu'aux patient.e.s dont l'IMC est supérieur à 40. Mais ce seuil est baissé à 35 en présence d'un diabète, d'une apnée du sommeil ou de toute autre pathologie qui pourrait être améliorée par l'opération.
Car la chirurgie bariatrique ne profite pas seulement au surpoids. "L'effet sur le diabète est spectaculaire, et se produit avant même la perte de poids, explique François Pattou. Des gens qui étaient diabétiques ne le sont plus un an plus tard." Un bénéfice qui s'explique par le recours aux techniques de malabsorption, qui changent la façon dont les aliments sont digérés.
Mais les bénéfices ne s'arrêtent pas là. "On observe aussi des effets sur la NASH – une maladie du foie liée l'obésité, les maladies cardiovasculaires… et l'apnée du sommeil s'améliore réellement", liste le Pr Pattou.
Le + : l'espérance de vie s'allonge
En répercussion directe de ces améliorations, la survie des opéré.e.s augmente. La mortalité prématurée serait ainsi diminuée de moitié. "Cela signifie que si vous êtes opérés à 35 ans, vous aurez deux fois moins de risque de mourir 15 ans plus tard, par rapport au risque que vous encourez si vous ne l'êtes pas", illustre le Pr François Pattou.
C'est le seul traitement disponible qui permette d'observer de tels effets à long terme. L'ampleur de ce bénéfice est comparable au risque de cancer qui dégringole après qu'un fumeur ait décidé d'arrêter le tabac. "C'est inattendu, surtout vu les risques de l'opération", reconnaît le spécialiste.
Le - : des complications surviennent
Car, comme tout traitement efficace, la chirurgie bariatrique a ses dangers. A commencer par les complications. "Dans 5 à 10 % des cas, des complications graves surviennent, qui peuvent mettre en jeu la vie du patient", chiffre François Pattou.
Celles-ci sont de plusieurs natures : troubles fonctionnels digestifs, complications mécaniques liées au geste chirurgical, occlusions, perforations… Ces symptômes nécessitent souvent une ré-hospitalisation et une deuxième intervention.
Tout est fait pour limiter les complications post-opératoires. Par exemple, 98 % des interventions sont réalisées par cœlioscopie (ou laparoscopie). Cela signifie que l'abdomen du patient reste fermé tout au long de la chirurgie, pratiquée à l'aide de caméras ou d'outils introduits par des petites incisions.
Mais l'opération reste lourde et concerne des corps fatigués, fragilisés par de longues années de surpoids. "Le principal risque, c'est de mourir et il faut que les patients en soient conscients, souligne le Pr Pattou. Il est de 1 pour 1 000."
Le - : les carences sont fréquentes
L'autre danger de la chirurgie bariatrique, c'est qu'elle restructure le système digestif. Quitte à altérer l'absorption de certains nutriments et vitamines. Pourtant, la prise en charge préopératoire est loin d'être idéale, sur ce plan.
Avant l'intervention, seuls 86 % des patient.e.s ont réalisé un bilan nutritionnel et vitaminique – qui permet de confirmer qu'aucune carence n'existe. Une étape importante, puisque celles-ci risquent de se développer par la suite, à moins de prendre des compléments alimentaires.
"Les carences nutritionnelles apparaissent 5 ou 10 ans après l'opération, souvent à bas bruit", reconnaît François Pattou. Silencieuses, elles peuvent provoquer de graves séquelles, notamment sur le plan neurologique. Mais malgré ce risque, bien identifié, 38 % des personnes opérées en France n'ont pas réalisé de bilan sanguin dans les 5 ans suivant leur prise en charge.
Cela doit changer. "Pour résumer, un obèse opéré n'est pas quelqu'un en bonne santé, tranche le Pr Pattou. Il va mieux qu'avant, mais il reste en moins bonne santé que quelqu'un qui est mince." Cette personne est en rémission, un peu comme après un cancer.
Le - : les os peuvent être fragilisés
Les carences les plus fréquentes restent toutefois moins graves dans leurs conséquences – même si elles méritent d'être résolues. A cause de la technique de malabsorption, nombre d'individus opérés auront un déficit en vitamine D et en calcium.
"Les gens qui sont opérés auront plus d'ostéoporose dans 20 ans, confirme François Pattou. Ils ont aussi plus tendance à perdre leurs cheveux, et leurs dents se déchaussent." De fait, une étude présentée en 2014 au congrès de l'International Society of Endocrinology a fait état d'une perte osseuse marquée au niveau des hanches et des lombaires.
Mais en 2013, une autre étude parue dans la Revue Médicale Suisse a montré un résultat surprenant : malgré le déficit en vitamine D et en calcium, pas d'explosion des maladies osseuses. "Les obèses, avant chirurgie bariatrique, ont des valeurs de densité minérale osseuse suffisantes pour leur permettre de rester dans les normes même en cas de perte après chirurgie", tranchaient les auteurs de ces travaux.
Le - : des troubles psy peuvent apparaître
Après des années passées à assumer la charge des kilos en trop, une perte de poids rapide peut déstabiliser fortement. Ce qui peut fragiliser le psychisme des patient.e.s. C'est pourquoi une consultation de psychologie ou de psychiatrie est exigée avant toute opération. Elle est réalisée dans 92 % des cas.
Mais après la chirurgie, aucun suivi n'est exigé. Cela pourrait, pourtant, s'avérer nécessaire. "On parle souvent d'un risque de suicide, léger mais qui existe néanmoins", souligne François Pattou. Une étude parue en 2015 a, en effet, mis la lumière sur les comportements autodestructeurs qui apparaissent après l'intervention. Il serait augmenté de 50 %.
"La période de transition peut être difficile, admet le chirurgien lillois. Mais on ne sait pas si les gens opérés sont déjà plus à risque avant la chirurgie. S'ils acceptent d'être opérés, ils sont prêts à prendre plus de risques…"
Le - : des addictions se développent
L'autre effet surprenant de la chirurgie bariatrique, c'est qu'elle semble favoriser les comportements addictifs. "Un peu comme si on avait retiré une addiction à la nourriture qui se rattraperait ailleurs", relève le Pr Pattou.
Ainsi, une récente étude américaine a constaté une augmentation dans l'abus de substances psychoactives dans les années suivant l'opération. Cela concerne surtout l'alcool, mais aussi les substances illicites.
Comment expliquer ce phénomène ? Pour l'heure, le flou le plus total règne. Des hypothèses ont été avancées : un transfert de dépendance, des changements neuro-hormonaux induits par l'intervention… Les pistes sont nombreuses. Mais pour le moment, elles restent au stade de la simple conjecture.
Sources
Chirurgie de l'obésité : 20 fois plus d'interventions depuis 1997, Drees, 14 février 2018
Prise en charge préopératoire pour une chirurgie de l'obésité chez l'adulte, Haute Autorité de Santé, 19 décembre 2017
Améliorer le suivi des patients après chirurgie bariatrique, Académie nationale de médecine, 31 janvier 2018
La qualité de vie après chirurgie de l'obésité, S.A. Modarressi Chassot et al, Revue Médicale Suisse, 2004
Conséquences osseuses de la chirurgie bariatrique, Brigitte Uebelhard et al, Revue Médicale Suisse, 2013
Self-harm Emergencies After Bariatric Surgery - A Population-Based Cohort Study, Junaid A. Bhatti et al, JAMA Surgery, 2016
Chirurgie bariatrique et risque accru de dépendance à l’alcool, Chiara Ferrario et al, Revue Médicale Suisse, 2016