Anticoagulants : vigilance chez les seniors

Publié par Dr Stéphanie Lehmann
le 4/03/2002
Maj le
5 minutes
Autre
Les maladies veineuses ou artérielles que l'on appelle thrombo-emboliques ne cessent d'augmenter avec l'âge. Elles sont le fait de la formation de caillots dans le sang qui finissent par boucher les vaisseaux. La phlébite du membre inférieur représente la plus classique des obstructions veineuses, alors que certains accidents vasculaires cérébraux sont plutôt causés par l'occlusion d'une artère. Les anticoagulants sont des médicaments qui guérissent ou préviennent ces pathologies en fluidifiant le sang. Oui, mais attention aux risques d'hémorragies souvent dramatiques au grand âge…

Quand prescrit-on des anticoagulants chez le sujet âgé ?

Deux catégories d'anticoagulants, héparines ou anti-vitamines K (AVK), sont utilisées pour limiter l'extension d'un caillot déjà formé, mais aussi pour diminuer le risque de survenue ou de récidive de ce type de problème.On les utilise à dose curative lors des phlébites (compliquées ou non d'embolie pulmonaire) ou d'accidents artériels (infarctus du myocarde ou certains accidents vasculaires au niveau du cerveau ou d'un membre). Les doses préventives ont quant à elles un intérêt avant une intervention chirurgicale, au cours d'un alitement prolongé ou encore lors de troubles du rythme cardiaque.De nombreuses études confirment le bénéfice d'un traitement préventif ou curatif chez les patients âgés de plus de 70 ans. Pourtant, ils ne profitent pas toujours de ces prescriptions, en raison du risque d'accidents hémorragiques (hématome cérébral ou musculaire massif).

Que faut-il craindre ?

En premier, les facteurs de risques liés au patient: les pathologies existantes, comme l'insuffisance rénale, les antécédents d'accident vasculaire cérébral, l'hypertension artérielle ou les maladies cardiaques évoluées, potentialisent les risques d'hémorragie. Mais il y a également des facteurs de risques liés au traitement lui-même: majeurs au cours du premier mois, ils dépendent essentiellement de la dose administrée. En effet, plus la dose est grande, plus le risque hémorragique est important.Les statistiques sur des populations de sujets de plus de 65 ans sont rares et difficiles à interpréter car les cohortes au grand âge sont de trop petit nombre. Il n'empêche: tout laisse supposer que le risque d'accident mortel ou grave par saignement après 80 ans est bien supérieur à celui comptabilisé avant 50 ans.

Quelles précautions prendre avant de débuter un traitement anticoagulant ?

Le médecin aura toujours le souci de vérifier l'absence d'interactions médicamenteuses, très nombreuses avec ce type de traitement. Lorsqu'on avance en âge, le nombre des maladies augmente et la liste des médicaments s'allonge forcément, on devient plus fragile. L'évaluation du risque de chute, de la dépendance, de la capacité à bien suivre et appliquer les recommandations est déterminante pour que les inconvénients ne prennent pas le pas sur les bénéfices d'un tel traitement.Une prise de sang permettra de vérifier le nombre de globules rouges, de plaquettes, le taux d'hémoglobine, mais aussi les grandes fonctions de la coagulation sanguine et l'état de la fonction rénale.

Quelle est la durée du traitement ?

Les héparines sont surtout utilisées en période aiguë de la maladie. Instaurées dans les premiers jours d'une phlébite, d'une embolie pulmonaire, etc., elles s'utilisent par voie veineuse (héparines fractionnées) ou sous-cutanée (héparines dites de bas poids moléculaire). Les AVK représentent les anticoagulants pour le long cours. En relais du traitement par héparine, ils sont habituellement poursuivis 3 mois en cas de phlébite, 6 mois lors d'une embolie pulmonaire. Certaines pathologies particulières, dont les arythmies cardiaques, justifient parfois un traitement à vie.

Que faut-il surveiller ?

Pour l'héparine: le nombre des plaquettes est dosé deux fois par semaine au début, puis régulièrement si le traitement est prolongé. Au-delà de 10 jours, il est habituel de la remplacer par les AVK, dont la prise orale est plus commode.Pour les AVK: la surveillance doit être draconienne: c'est le dosage sanguin de l'INR qui renseigne sur la fluidité sanguine obtenue. La mise en route et l'adaptation des doses est tellement délicate qu'elle justifie habituellement une courte hospitalisation. Une prise de sang tous les deux jours au départ, puis hebdomadaire jusqu'à la parfaite stabilité de l'INR sont un minimum. Par la suite et sur toute la durée du traitement, un dosage toutes les trois semaines semble raisonnable, à rapprocher en cas d'événements particuliers (hospitalisation, nouvelle pathologie, etc.).

Quelques recommandations pratiques pour être plus tranquille avec les AVK.

  • Prendre le comprimé les soirs à heure fixe. En cas d'oubli, n'en prenez jamais le double le lendemain.
  • Noter, ou faire noter dans un carnet de suivi, la quantité prise jour après jour (il faut parfois alterner quart et demi-comprimé) et le résultat de l'INR après chaque prise de sang.
  • Les anti-inflammatoires, certains traitements des mycoses (miconazole) et l'aspirine (acide salicylique) font risquer les hémorragies graves. Autant le savoir une fois pour toutes: ces médicaments ne doivent jamais être associés aux AVK.
  • Se méfier de tout nouveau traitement dont la prise peut perturber l'assimilation des AVK: signalez ainsi sans relâche que vous prenez des anticoagulants, même à votre dentiste !
  • Demandez toujours conseil à votre pharmacien si vous décidez d'achetez un médicament sans ordonnance: par exemple, certains anti-douleurs en vente libre contiennent des anti-inflammatoires. A fortiori, n'acceptez jamais le remède miracle d'un proche ou d'un voisin !
  • Eviter de manger certains aliments riches en vitamine K, comme les céréales, les brocolis, les choux, la choucroute, les carottes, les abats, etc. Ils diminuent l'efficacité des AVK et déstabilisent l'INR, obligeant le médecin à modifier les posologies. Un INR qui fait le yo-yo est toujours facteur de plus grand risque…

Il existe une vraie place pour les traitements anticoagulants chez le sujet âgé. Si les dangers d'hémorragie doivent être pris au sérieux, il ne faut pas pour autant priver un malade d'un traitement efficace du seul fait de son âge. Mais une évaluation soigneuse des besoins par rapport aux risques, une surveillance draconienne, une reconsidération du traitement à chaque nouvel événement sont les clefs indissociables d'une prise en charge de qualité.

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