Anorexie, un mal-être qui tue
Dans la charte contre l'anorexie et l'image du corps, établie par les Pr Marcel Rufo et Jean-Pierre Poulain, à la demande du ministère de la Santé, l'anorexie est présentée comme l'expression d'un nouveau "malaise dans la civilisation". Un malaise qui peut tuer celles qui en sont victimes. Le taux de mortalité à 10 ans est de 5 % et il avoisinerait les 20 % à plus long terme, car la santé de celles et ceux qui en réchappent est irréversiblement fragilisée.
Anorexie : le mauvais (dé)clic
Depuis 2001, les sites pro-anorexiques se sont multipliés sur Internet. Point de départ aux États-Unis, les anorexiques s'y retrouvaient pour se soutenir dans leur combat contre la maladie. Très vite, le phénomène dérape, s'inverse même. Au lieu de permettre de s'échapper de la spirale autodestructrice, on s'échange des conseils pour s'affamer, tenir le coup, garder le contrôle Et s'enfoncer de plus en plus dans la spirale de l'auto-destruction. Aujourd'hui le phénomène est mondial, les sites pro-ana sont de plus en plus nombreux sur la toile, leur credo "l'anorexie n'est pas une maladie, mais un mode de vie supérieur". Dans ce monde, on ne parle plus de pathologie mais d'un choix de vie. Être pro-ana, c'est contrôler son corps et le revendiquer. Mais au bout de cette course à la maigreur, il y a la mort.
Anorexie : une maladie paradoxale
En fait l'anorexie place notre société face à ses contradictions : celles d'un système qui pousse à une approche déréglée des jouissances de la consommation tout en prônant les valeurs de la performance et de la maîtrise de soi. Ces valeurs trouvent leur incarnation dans la représentation de corps filiformes et transparents exercant sur les murs de nos villes, dans les pages de nos magazines, leur pouvoir de fascination délétère sur toute notre société. Tout dans cette maladie est paradoxal. Cette pathologie se donne les apparences d'une volonté pure, où la raison triomphe sur le corps, dans une indifférence parfaite aux contraintes que nous imposent les soins à lui donner, mais aussi au plaisir qu'ils nous procurent. La pulsion de vie est entièrement absorbée par la pulsion de mort. Dans une interview accordée à Paris-Match, le professeur Marcel Rufo, ne mâche pas ses mots : "Le message délivré par la communauté pro-ana est une véritable connerie, doublé d'une dérive perverse, cette communauté fonctionne comme une secte dont le gourou serait votre meilleur ami, mais dans une version satanique. Les personnes responsables de ces sites peuvent tuer beaucoup d'adolescents."
L'anorexique est-il anormal ?
Pour le professeur Rufo, l'anorexique est normal sur tout, hormis sur l'image qu'il a de lui. Les sites pro-ana, diffusent surtout une image de dénégation de soi et partant participent en une complicité morbide à conforter l'anorexique dans la destruction de son corps. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les dix commandements de l'anorexique idéale, tels qu'ils sont offerts sur les sites en question. Voici une version courte de cet acte de foi, "Tu ne mangeras pas sans te sentir coupable", "Perdre du poids est bien, en prendre est mal", "Être mince est plus important que d'être en bonne santé", "Si tu n'es pas mince, tu ne seras point attirante", "Tu seras capable de voir tes beaux et purs os" On peut rester abasourdi devant une telle litanie de bêtises, pourtant le message porte et le danger est de plus en plus grand car il exerce une fascination morbide sur les jeunes.
Les actions solidaires contre la maladie
Devant l'ampleur du phénomène, le ministère de la Santé, au travers de la charte "Anorexie-image du corps", propose d'établir dans un premier temps une distinction entre deux populations à risque. D'une part les professionnels, qui vivent de l'image de leur corps : mannequins, danseurs sont soumis à des contraintes dans l'exercice de leur métier. Il faut les aider à les supporter, sans risque pour leur santé. La deuxième catégorie de population est plus large, il s'agit de la jeunesse, cette jeunesse tiraillée entre le désir de se conformer aux canons esthétiques de notre temps, mais aussi de se distinguer, de s'opposer et de sortir du rang. Toujours l'hydre à deux têtes, conformisme et anticonformisme, deux volontés contradictoires qui finissent par s'éteindre l'une et l'autre dans la solution que propose l'anorexie ! Le but de cette charte est simple, réunir tous les intervenants, de la santé, de la mode, des médias et de la communication, des associations et faire de cette diversité une force. Les causes de la maladie sont protéiformes et mal connues, ses déclencheurs se révéler multiples et seule la conjugaison d'actions plurielles peut permettre de proposer un plan cohérent et efficace de lutte contre l'anorexie.
Ouvrir le dialogue
Prévention, éducation, dialogue sont encore une fois les maîtres mots de la relation entre adultes et adolescents, ne pas juger, expliquer et débattre, avoir les arguments pour convaincre. Expliquer les dégâts irréversibles que provoque cette maladie, pathologies cardiaques, l'anorgasmie (troubles du plaisir), la dyspareunie (douleur à la pénétration), des pulsions sexuelles très altérées, les grippes à répétition, les pneumonies, la fragilisation des dents, la perte des cheveux et pour finir les tendances suicidaires. Marcel Rufo, confronté à ces adolescents malades de "leur corps" a cette analyse lorsqu'on lui demande si l'anorexie se soigne et se guérit, "une anorexique est guérie si elle satisfait à trois critères, répond-il, pouvoir être amoureuse, être capable d'avoir des rapports sexuels, désirer élever un enfant". Lutter contre ce fléau est plus qu'un enjeu de santé publique, c'est désormais un enjeu de solidarité collective.
Des sanctions prévues par la loi
- Au plan du pénal, une loi a été votée, condamnant à deux ans de prison et 30 000 euros d'amende quiconque ferait l'apologie de l'anorexie.- Il faut traiter les sites pro-ana, comme on traite les sectes, les éradiquer, ne plus leur permettre de s'afficher sur Internet.- La loi votée va permettre de considérer cette communauté pro-anorexique comme un mouvement sectaire, dès lors des sanctions pourront être prises.