Anorexie, comment la prévenir ?

PsychoEnfants : Qu’est-ce que l’anorexie ?
Philippe Jeammet : C’est un trouble du comportement alimentaire qui se caractérise non pas tant par une perte d’appétit que par une lutte active contre la faim associée à un amaigrissement extrêmement rapide et une perte de poids pouvant atteindre 20 à 50 % du poids normal et un arrêt des règles. L’anorexie n’est pas un choix ou un mode de vie comme pourraient le revendiquer certaines. C’est un mal-être psychique, une forte angoisse que l’on tente de maîtriser via une conduite restrictive qui apporte, au moment où elle s’exerce, un sentiment d’apaisement.
Pourquoi cette maladie touche-t-elle majoritairement des adolescentes ?
P. J. : D’abord, parce que les manifestations du corps comme expressions de difficultés psychiques d’une anxiété sont plus fréquentes chez les filles que chez les garçons qui, pour leur part, vont, plus volontiers, extérioriser leurs problèmes (violence, délinquance, etc.). Ensuite, si l’anorexie se déclare plus volontiers durant la puberté, c’est parce que cette période, traversée de grands bouleversements, tant psychiques que physiques (plus visibles chez les filles), peut générer une immense inquiétude, surtout quand on a le sentiment que les choses nous échappent.
Quelles sont les causes de l’anorexie ?
P. J. : Justement ce manque de confiance en soi et en autrui, ce défaut d’estime pour soi-même, cette sensation de vide intérieur, la conviction que l’on ne dispose pas des moyens ou des ressources nécessaires pour avancer, grandir. Souvent, chez les anorexiques, cette anxiété diffuse est accélérée par un vécu traumatique (une relation qui se passe mal, la mort d’un proche, le départ d’une figure protectrice comme celle d’un grand frère…) qui ajoute un sentiment de solitude, celui de devoir faire face, seule, à ses angoisses. Mais, pour faire une anorexie, il faut avoir beaucoup d’appétit ! Derrière cet excès de restriction alimentaire, se cache, en effet, son contraire : la peur d’être boulimique et de ne plus pouvoir s’arrêter, de perdre le contrôle, même si des passages boulimiques peuvent avoir lieu.
Nombre d’anorexiques ont tendance à dissimuler leur trouble alimentaire. Alors quand s’inquiéter ? Quels signes doivent alerter l’entourage ?
P. J. : Quand l’adolescente maigrit à vue d’oeil, souffre d’absence de règles, s’enferme dans son comportement, que celui-ci s’accentue (elle trie ses aliments, en refuse certains, calcule le nombre de calories engrangées) et qu’elle semble même y trouver une espèce d’excitation. Il faut également s’inquiéter quand elle est, de toute évidence, dans le déni de sa maigreur et des dangers qu’elle encourt, qu’elle ne comprend pas qu’on s’inquiète pour son poids. Souvent, l’anorexie s’accompagne d’une hyperactivité qui sert également à décharger son angoisse et, éventuellement, de troubles obsessionnels compulsifs qui auront la même vocation.
Comment réagir ? Qui consulter ?
P. J. : En se sentant légitime de dire à sa fille : « Tu nous inquiètes, peut-être à tort, mais c’est comme ça, nous t’emmenons voir un médecin. » L’important, c’est de se montrer ferme et d’en parler avec un professionnel. Si un diagnostic d’anorexie est posé, ce que préconise la Haute Autorité de santé, c’est pour qu’il y ait une prise en charge plurielle, qu’il y ait à la fois un médecin qui suive l’évolution du corps et un psy qui s’occupe de l’état psychologique du jeune. Mais si les moyens de reprise de poids dans le cadre habituel s’avèrent sans effets, on devra alors envisager une hospitalisation. Loin du regard inquiet des parents, les adolescentes sont bien obligées dans ce nouvel espace de se faire face et de puiser en elles des ressources souvent insoupçonnées, entourées d’autres jeunes filles avec qui elles peuvent également partager leur expérience.
Comment accompagner l’adolescente à plus long terme ? Et quel travail celle-ci doit-elle mener ?
P. J. : Ce qui est essentiel, c’est que l’adolescente puisse nouer une relation de confiance avec un adulte, un personnage référent (un psychologue, un psychiatre, un généraliste…) qui va suivre son évolution et avec lequel elle va pouvoir parler. Une anorexique éprouve une grande difficulté à exprimer ses émotions qui lui font peur. Il faut donc qu’elle trouve un lieu où en parler et travailler sur ses angoisses. Laisser une anorexique seule, c’est la mettre en danger de mort. Aussi, les parents ont-ils un grand rôle à jouer, à la fois en restant très vigilants et à l’écoute de leur enfant. Une thérapie familiale pourra aider chacun à traverser cette épreuve et, peut-être, à dénouer des conflits ou dysfonctionnements qui empêchent l’ado de prendre son envol.
En savoir plus sur l'anorexie
Interview
Philippe Jeammet est professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université Paris VI, et auteur entre autre de "Pour nos ados, soyons adultes" aux éditions Odile Jacob.
Les chiffres
- On parle d’anorexie lorsque le sujet maintient son poids à moins de 20% du poids minimum normal pour son âge et pour sa taille.
- L’anorexie est conjuguée à la boulimie dans 50 à 60 % des cas.
- Dans 95 % des cas, l’anorexie touche des jeunes âgés de 12 à 20 ans. Dans 9 cas sur 10, il s’agit de filles
Adresses utiles
- Fil Santé Jeunes, tél. : 0 800 23 52 36
- Info anorexie et boulimie, tél. : 0 475 94 18 90
- Centre de dépendance alimentaire (CITD), tél. : 03 20 44 59 62
A lire
- Soigner l’anorexie, Philippe Jeammet, éd. PUF, 22€
- L’Anorexie : le miroir intérieur brisé, Franck Senninger, éd. Jouvence, 4,90€
- Anorexie et boulimie : journal intime d’une reconstruction, Vittoria Pazalle,éd. Dangles, 14€
Sources
Interview : Philippe Jeammet est professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université Paris VI, et auteur entre autre de "Pour nos ados, soyons adultes" aux éditions Odile Jacob.