Tako-tsubo, du nouveau dans le syndrome des cœurs brisés

Publié par Hélène Joubert
le 5/04/2016
Maj le
5 minutes
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Tako-tsubo, ce nom japonais désigne une maladie du muscle cardiaque provoquée par un stress, identifiée il y a une vingtaine d’années. En 2015-2016, des études l’ont éclairé un peu plus : la totalité du myocarde ventriculaire peut être touchée, son risque de mortalité avoisine celui de l’infarctus du myocarde et il n’y a pas que des chocs émotionnels tristes ou stressants qui paralysent le cœur : la joie peut aussi le "briser".

Le Tako-tsubo, un "faux infarctus du myocarde"

Grace aux techniques d’imagerie moderne, le Tako-tsubo (ou Takotsubo) "syndrome du cœur brisé" a été réellement décrit pour la première fois au Japon dans les années 1990. Ce nom recouvre de façon précise ce que les cardiologues appelaient auparavant les myocardites de stress voire même des affections transitoires du muscle cardiaque qui n’étaient pas repérées par les cardiologues.

Sur le plan clinique, le syndrome de Tako-tsubo évoque un syndrome coronarien aigu. Néanmoins, ce "faux infarctus de stress" ne doit pas être confondu avec un infarctus du myocarde pour plusieurs raisons. Contrairement à ce dernier, le Tako-tsubo est spontanément réversible en deux à trois semaines, sans séquelles. Ensuite, parce que leurs physiopathologies sont bien distinctes : alors que la crise cardiaque est provoquée par l’occlusion des artères coronaires due à l’athérosclérose provoquant la nécrose d’une partie du muscle cardiaque, dans le Tako-tsubo les artères coronaires sont saines (absence de sténose/rétrécissement coronaire). C’est tout un territoire du muscle cardiaque qui est concerné, sans rapport aucun avec une artère coronaire.

Que se passe-t-il lors d’un Tako-tsubo ?

Un stress intense provoque une décharge brutale de catécholamines (neurotransmetteurs dont la dopamine, l’adrénaline, la noradrénaline etc.), qui entraîne une sidération de la pointe du cœur : celle-ci ne se contracte plus. D’où une "ballonisation" transitoire du sommet du ventricule gauche évoquant la forme d’un piège à poulpes ("tako" et "tsubo") japonais. Cette affection aiguë touche la fonction de contraction (systolique) du ventricule gauche. Mais des publications récentes ont montré qu’il peut aussi affecter la totalité du ventricule et, de façon systématique, provoquer un œdème du myocarde du ventricule droit avec une atteinte fonctionnelle dans la moitié des cas (1).

Pr Damien Logeart, cardiologue à l’hôpital Lariboisière (Paris) : « Tako-tsubo ou infarctus du myocarde, dans les deux cas le tableau clinique est proche avec une douleur thoracique souvent typique, fréquemment associée à une difficulté à respirer/dyspnée (voire palpitations, nausées, vomissements, malaise, syncope) ainsi que des anomalies sur l’électrocardiogramme et une augmentation des enzymes cardiaques. Contrairement aux syndromes coronaires aigus (SCA), les patients avec une cardiomyopathie Tako-tsubo n'ont pas d’occlusion coronaire à l'examen d’angiographie coronaire. Il peut aussi être pris pour des myocardites aigues inflammatoires ou virales ».

Tako-tsubo, la joie aussi peut briser le cœur

Les facteur déclencheurs ne sont pas uniquement un stress intense :

  • Dans un peu moins de la moitié des cas, le stress est d’origine psychologique. On a longtemps cru que seules les mauvaises nouvelles pouvaient le déclencher (décès d’un proche, mauvaises nouvelles financière ou professionnelle, problèmes judiciaires, tremblement de terre, accident de la voie publique, usage massif de drogues illicites etc.) (2).
  • Mais ce ne sont pas les seuls facteurs déclencheurs ; une étude de 2016 a repéré qu’un événement joyeux (un mariage, un gain aux jeux, la victoire de son équipe favorite etc.) avait déclenché un Tako-tsubo dans 4% des cas d’origine psychologique (3).
  • Dans environ un quart des cas, on retrouve un stress organique c’est à dire dû à une maladie concomitante comme une détresse respiratoire, une douleur suite à une fracture, une chirurgie, un séjour en réanimation, un accident vasculaire cérébral etc. Toute pathologie aigue peut théoriquement s’accompagner d’un Tako-tsubo.
  • Dans un quart des cas, la cause reste une énigme.

Tako-tsubo, une urgence cardiologique rarement mortelle

On a longtemps pensé que le Tako-tsubo était bien moins mortel que les crises cardiaques. En réalité, il entraîne le décès dans 3,7% des cas, toujours selon le registre international Tako-tsubo (3), un chiffre pas si éloigné du taux de mortalité retrouvé dans les crises cardiaques (5,3% dans cette étude).

Le risque de récidive serait de 10% à quatre ans. L’urgence de la prise en charge vient du fait qu’il faut lever le doute sur le diagnostic, entre syndrome coronarien aigu (crise cardiaque) et Tako-tsubo mais aussi parer toute complication aigüe.

Pr Logeart : « Des complications immédiates -rarement graves- sont possible, chez environ 20 % des patients, d’où une hospitalisation en soins intensifs pour au moins 24-72h. Il s’agit le plus souvent d’un tableau d’œdème aigu pulmonaire, de troubles du rythme... Un traitement médicamenteux par bêtabloquants est souvent prescrit, sans réel consensus quant à son intérêt ».

Profil à risque de Tako-tsubo : la femme en post-ménopause

Le syndrome de Tako-tsubo est rare mais pas si exceptionnel. Son incidence dans les services de cardiologie augmente probablement en raison de sa meilleure identification.

Il constitue environ 2 % des syndromes coronariens aigus dans la population générale (incidence estimée à 1/36 000) et 5 à 7 % des syndromes coronaires aigus chez les femmes. Sans que l’on sache pourquoi, les femmes sont plus touchées que les hommes (neuf femmes pour un homme), exclusivement après la ménopause entre 65 et 75 ans (moins de 5 % de femmes de moins de 50 ans). Selon certaines études, le risque de Tako-tsubo serait majeur l’été -jusqu’à quatre fois plus - avec un pic en juillet (4).

D’après le registre international Tako-tsubo, plus de la moitié (55,8 %) des personnes ayant fait un Tako-tsubo auraient des antécédents ou un contexte d’atteinte neurologique (épilepsie, traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral etc.) ou psychiatrique, contre 25,7 % chez ceux avec un infarctus du myocarde (3).

Pr Logeart : « Comme le Tako-tsubo est spontanément réversible, il est probable que de nombreuses formes atypiques légères passent inaperçues, non diagnostiquées et non hospitalisées du fait de signes cliniques trop discrets ou au second plan par rapport à la maladie aiguë associée (état de choc, détresse respiratoire …). En pratique, que ce soit un Tako-tsubo ou un infarctus, peu importe : il faut appeler les secours dès le moindre signe ».

Sources

(1) Cardiol., 2016; 117: 775-780 ; (2) N Engl J Med 2015; 373:929-938 ; (3) DOI: http://dx.doi.org/10.1093/eurheartj/ehv757 ehv757 First published online: 2 March 2016 ; (4) J Am Coll Cardiol 2009 ; 54 (2) : 180-181

D’après un entretien avec le Pr Damien Logeart, cardiologue à l’hôpital Lariboisière (Paris) 

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