Sommes-nous si différents des personnes schizophrènes ?

Publié par Dr Catherine Solano
le 2/03/2009
Maj le
7 minutes
portrait de jeune homme triste
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La schizophrénie est une maladie mentale qui fait peur par son étrangeté. Les personnes atteintes de schizophrénie semblent très différentes de celles qui se sentent bien dans leur peau, et de ce fait, très difficiles à comprendre. Pourtant, entre le malade atteint de schizophrénie et une personne en parfaite santé mentale, il n'existe pas tant de distance qu'on pourrait le croire. Jean-Louis Monestès, psychologue qui a beaucoup écrit de manière claire et très humaine sur le sujet (*) a accepté de répondre à nos questions.

D'abord, la schizophrénie, qu'est-ce que c'est exactement ?

Jean-Louis Monestès : Bien que cette maladie puisse prendre des formes très variées, elle se caractérise classiquement par deux signes : les hallucinations et les idées délirantes. Pourtant, beaucoup de personnes vivent ces expériences alors même qu'elles ne sont pas atteintes de schizophrénie.

La plupart des gens autour de nous ont donc, d'après vous, des idées délirantes et des hallucinations !

JLM : Disons que chacun est susceptible de vivre ces expériences de manière ponctuelle et qu'il est très fréquent de les avoir vécues, bien plus qu'on ne le croit. On sait que 5 à 25 % des personnes non-malades ont déjà eu des hallucinations. Il peut par exemple s'agir de la voix d'une personne aimée que l'on entend juste après son décès. C'est fréquent dans les jours qui suivent un deuil. Les hallucinations hypnagogiques, au moment où vous sombrez dans le sommeil, sont aussi relativement fréquentes. Vous pouvez voir quelque chose ou entendre une voix alors qu'il n'y a personne… Et l'on sait que les hallucinations peuvent apparaître dans les cas de fatigue intense, de privation de sommeil ou encore d'isolement.

Vous parlez des hallucinations, mais beaucoup de personnes non atteintes de schizophrénie auraient aussi des idées délirantes ?

JLM : Il peut nous arriver à tous de croire en des choses non démontrées. Ces idées correspondent à des conclusions fausses à partir de faits observés. Elles sont très répandues. Parmi les personnes qui ne sont pas touchées par la schizophrénie, on sait que 25 % pensent qu'il y a des gens qui leur en veulent ou qu'il existe un complot contre elles.

Il peut arriver à n'importe qui de tirer des conclusions aberrantes à partir de ce qu'il vit et d'en être convaincu. Par exemple, dans un avion, pour peu que vous vous sentiez un peu stressé, si vous entendez des bruits bizarres, vous pouvez avoir la conviction que l'avion va s'écraser... même si tout va parfaitement bien. Et si l'hôtesse vous rassure, vous pouvez vous dire ' c'est une preuve que ça va vraiment mal, sinon, elle n'aurait pas besoin de chercher à rassurer les passagers… ' Et vous vous angoissez encore plus. C'est une interprétation quasi délirante à partir de ce que vous vivez.

Alors, si nous avons tous des hallucinations et des idées délirantes, quelle est la différence entre une personne schizophrène et une personne non-schizophrène ?

JLM : La différence se situe d'abord dans la fréquence des hallucinations. Chez une personne atteinte de schizophrénie, les hallucinations sont beaucoup plus fréquentes. Cela peut être très éprouvant d'entendre toute la journée des voix par exemple. Et puis, ces hallucinations sont plus connotées. Pour les hallucinations auditives, les plus fréquentes, il peut s'agir de menaces, de commentaires parfois agressifs, ou encore d'insultes. Alors que chez monsieur tout le monde, une hallucination sera bien plus neutre en général. Il pourra entendre une voix qui l'appelle par exemple. Et puis, il faut savoir que lors d'une hallucination, l'activité du cerveau est la même que lorsqu'on entend quelque chose provenant du monde extérieur. Lorsqu'un malade schizophrène dit entendre une voix, il l'entend réellement, même si vous ne pouvez l'entendre. Ce n'est pas imaginaire, il y a bien quelque chose qui se passe dans son cerveau. C'est comme s'il y avait un bug ou un mauvais câblage qui entraîne une modification des perceptions auditives, visuelles, olfactives…

Si nous entendons exceptionnellement une voix alors que personne n'est présent, nous pouvons nous dire que nous sommes fatigués ou que cela n'a pas d'importance. Lorsque les malades schizophrènes entendent fréquemment une voix qui les insulte et semble connaître de nombreux détails sur eux, et qu'en plus cette voix a toutes les caractéristiques des voix entendues habituellement, il leur est très difficile de ne pas en tenir compte.

Et pour les idées délirantes, quelle est la différence entre une personne souffrant de schizophrénie et une personne qui n'en souffre pas ?

JLM : L'idée délirante apparaît souvent à cause des hallucinations ou des modifications émotionnelles. Prenons le cas de quelqu'un qui entend des voix. Il les entend réellement même si vous, vous ne les entendez pas. Le premier réflexe de son entourage, c'est de lui dire : ' Mais non, tu n'as rien entendu '. Lui se dit : ' pourtant, j'entends bien une voix. ' Alors, il cherche une explication, car il est très difficile de rester passif face à quelque chose qui nous angoisse. L'explication qu'il trouve peut paraître impossible ou délirante, mais c'est la seule qu'il trouve. Comment expliquer que quelqu'un puisse lui parler directement dans la tête sans que personne d'autre ne l'entende ? Cela peut être Dieu qui lui parle ? Ou quelqu'un de très puissant ? Quelqu'un qui cherche à le manipuler ? Des extraterrestres ? Un micro dans sa tête ? L'idée délirante est en fait une tentative de rendre intelligible ce que vit cette personne.

S'il nous arrive de croire en des choses non démontrées, c'est généralement face à des événements moins impliquants que d'entendre une voix nous parler ou de sentir nos pensées manipulées par un autre. Si l'on s'imagine à la place de cette personne, on peut penser que l'on réagirait de la même manière.

Le problème, c'est que lorsqu'une personne explique à son entourage ce qu'elle vit et ce qu'elle pense, tout le monde lui dit : ' mais tu es folle ! '. Les malades schizophrènes se retrouvent souvent confrontés à des expériences inquiétantes et étranges, mais ne peuvent pas souvent en parler, ou trouver d'explication acceptée par leur entourage. Ils ont souvent tendance à se renfermer sur elles-mêmes, à se couper des autres, à ne plus parler de ce que les autres ne peuvent supporter d'entendre. Ce qui leur donne encore moins de chances d'envisager différemment ce qui leur arrive.

La schizophrénie est donc un processus, un phénomène dynamique qui se met en place à partir des hallucinations et des modifications émotionnelles et qui conduit aux explications délirantes. C'est pourquoi si l'on prend schizophrénie en charge très tôt, avant que la construction d'idées délirantes et l'isolement ne soient installés, le traitement fonctionne mieux. C'est donc une maladie qui gagne à être détectée tôt. Nous pouvons faire notre possible pour éviter que des nœuds très serrés, donc difficiles à dénouer, se mettent en place. Alors, au moindre doute, il faut vraiment consulter un psychiatre ou un psychologue.

Les personnes atteintes de schizophrénie sont réputées plus dangereuses, voire violentes. Est-ce une réalité ?

JLM : C'est une idée fausse qui fait énormément de mal. La réalité, c'est que les personnes atteintes de schizophrénie sont fragiles et subissent 11 fois plus de violences que les autres. En 2002 par exemple, sur 47.655 personnes mises en cause pour agression, seules 285 ont été considérées comme irresponsables pour cause psychiatrique. Soit 0,59 % des crimes et délits, alors qu'il existe 1 % à 1,5 % de personnes atteintes de schizophrénie*.

Les faits-divers relatés dans les médias sont évidemment dramatiques. Mais s'ils sont montés en épingle, c'est qu'il est angoissant d'imaginer que la violence puisse frapper au hasard. Nous vivons dans une société où nous voulons tout comprendre et tout contrôler. L'incompréhension est à l'origine de peurs irrationnelles. La schizophrénie est une maladie mal connue qui paraît très éloignée de ce que nous pouvons vivre. Les réactions dans les médias sont bien moins nombreuses lorsqu'une personne ivre tue quelqu'un d'un coup de couteau, bien que l'événement soit tout aussi dramatique et insupportable. Il est, pourtant, beaucoup plus fréquent.

Il faut impérativement lutter contre cette fausse idée qui associe violence et schizophrénie. Véhiculer cette idée conduit à stigmatiser les patients et les familles, qui se sentent rejetés et souffrent encore davantage. De plus, cela peut entraîner des retards dans la demande d'aide, face à la maladie.

Alors comment se comporter face à une personne atteinte de cette maladie qu'est la schizophrénie ?

JLM : C'est difficile à expliquer en quelques mots, puisque j'ai écrit tout un livre sur le sujet ! Mais il faut avant tout chercher à se mettre à la place de l'autre, essayer de le comprendre et non prendre de front ces signes en niant leur existence. Et cela n'est ni facile, ni naturel. Cela s'apprend en comprenant davantage ce que recouvre cette maladie et ce que vit le patient. C'est pourquoi il est bon de se faire aider pour être un soutien affectueux pour la personne malade.

Sources

* Suicide et schizophrénie : évaluation du risque et prévention, G. Gavaudan, N. Besnier and C. Lançon, Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, Volume 164, Issue 2, March 2006, Pages 165-175.

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