Sexualité : qui sont les hommes éjaculateurs précoces ?

Publié par Hélène Joubert
le 10/03/2016
Maj le
6 minutes
man with erectile dysfunction during sex with her partner looking disappointed
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L’éjaculation précoce, c’est l’impossibilité de retenir l’éjaculation environ plus d’une minute après la pénétration vaginale. Une première depuis une quinzaine d’années en France, l’enquête d’envergure "Emoi" brosse le portrait de ces hommes souvent en détresse psychologique et dont seuls 10% osent franchir le seuil de la consultation médicale. 

Les hommes éjaculateurs précoces ? Le flou artistique

La dernière version de la bible américaine des désordres psychologiques, le DSM-5 (2013), définit désormais l’éjaculation précoce (EP) comme survenant aux alentours d’une minute après la pénétration vaginale. Jusqu’à maintenant, les données sur l’éjaculation précoce (EP) ou éjaculation prématurée étaient parcellaires mais concordaient : des hommes et des couples en souffrance et l’impression générale que l’éjaculation précoceest une fatalité contre laquelle les médecins sont démunis.

Dr Marie-Hélène Colson, médecin sexologue, secrétaire générale de la Fédération française de sexologie et de santé sexuelle (FF3S) qui a dirigé l’enquête Emoi : « Ni l’égoïsme de l’homme, ni la circoncision, ni l’homosexualité n’ont d’influence sur l’éjaculation, ces idées reçues ont la vie dure. Ceux qui éjaculent vite le font car l’envie d’éjaculer déclenche chez eux un réflexe anxieux qui leur fait raccourcir le temps dont la nature les a dotés, au lieu de retarder les choses comme chacun pourrait le faire. 85% des éjaculateurs précoces de l’étude ont un sentiment d’absence de perception de contrôle. »

Pour 80%, l’éjaculation c’est en moins de deux minutes chrono

L’étude française Emoi* qui vient d’être publiée, conduite auprès de 600 hommes venant consulter un sexologue ou un urologue, comble un vide. Concernant la gravité de l’éjaculation précoce, 41% éjaculent en moins d’une minute après pénétration vaginale, 41% entre une et deux minutes, 12% au-delà de deux minutes. 6% ont une éjaculationdite "ante portas" (avant même la pénétration vaginale).

Près d’un quart souffre en même temps d’un trouble de l’érection (dysfonction érectile) et ce chiffre monte à 58% lorsque l’éjaculation est secondaire, c’est à dire lorsqu’elle est apparue après une période où l’éjaculation était normale ; celle-ci survenant suite à un traitement, une maladie, un problème psychologique ou autre.

L’éjaculation précoce pèse lourd sur la vie sexuelle

Sans que l’éjaculation précoce n’entraîne pour autant de perturbation du désir, 41,2% sont insatisfaits de leur orgasme et 66,4% hésitent pour cette raison à prendre l’initiative d’une relation sexuelle. C’est une vie sexuelle gâchée -91% vivent avec un sentiment de frustration- ainsi qu’une estime de soi durement éprouvée : 77% ont une mauvaise opinion d’eux-mêmes et 85,7% ont perdu confiance en eux en tant que partenaire sexuel. Chez eux, l’éjaculation prématurée a été responsable par le passé de divorces-séparations-ruptures (22% des hommes), d’une mésentente avec la partenaire (57%) mais aussi d’un désir d’infidélité de celle-ci (30%).

Dr Colson : « Avec Emoi, une idée reçue doit définitivement disparaître : l’éjaculateur précoce n’est pas égoïste ! Constat surprenant : 75% des hommes pensent que leur partenaire souffre d’insatisfaction sexuelle alors que "seules" 51% d’entre elles le confirment ! De plus, 55% des hommes ont peur que leur partenaire ait de la peine ou ne se sente rejetée. Ceux-ci sont globalement trop centrés sur le plaisir de l’autre et supportent très mal cette difficulté sexuelle qui les rend plus anxieux, avec une image d’eux même altérée ».

Deux profils type d’éjaculateur précoce

Deux profils particuliers d’hommes souffrant d’éjaculation précoce se dessinent. Le premier, jeune (60,3% ont moins de 35 ans), souvent célibataire (à 85%) et qui a toujours souffert d’éjaculation précoce (dite primaire). Il est en grande difficulté et n’ose pas avoir de partenaire (44% ont moins d’un rapport par semaine).

Dr Colson : « Avec ces hommes ayant une éjaculation précoce, il nous faut dans ce cas forcer sur la prise en charge psycho-comportementale ».

Le second profil est celui des hommes plus âgés (plus de 50 ans), en couple pour la plupart et qui disent avoir une éjaculation précoce "secondaire". Ils souffrent plus souvent de difficultés conjugales (40,4 % versus 28,8 % en population générale).

L’éjaculation précoce, entre sentiment d’échec et souffrance

Au-delà d’une photographie de ces hommes, Emoi met en lumière leur souffrance relationnelle, la dégradation des sentiments de bien-être et de confiance en soi. 48% des éjaculateurs précoces d’Emoi vivent un sentiment d’échec important, ainsi qu’une souffrance mise en évidence au moyen d’échelles de qualité de vie, d’estime de soi et de qualité de la relation de couple. Il n’est pas rare pour eux de ressentir des troubles anxieux et dépressifs. D’ailleurs, 45,6% des hommes avec une éjaculation précoce "secondaire" ont été soignés pour ces troubles (contre 36,7% dans la population générale) et plus souvent pour des troubles du sommeil.

L’espoir d’une solution médicamenteuse fait demander de l’aide

Si 67% des hommes éjaculateurs précoces pensaient que « cela s’arrangerait tout seul », la perspective de solutions pharmacologiques a été l’élément déterminant pour s’en ouvrir au soignant dans 78% des cas.

Dr Marie-Hélène Colson : « La dapoxétine (non remboursée) est la seule molécule qui a reçu l’autorisation de prescription dans cette indication. Je la prescris systématiquement si l’éjaculation précoceest ante portas (avant la pénétration) sinon, c’est au cas par cas. Il n’y a pas de profil type, mais elle sert principalement au patient pour apprendre à gérer son éjaculation, reprendre confiance et aider au changement de comportement sexuel ».

La prise en charge psychologique sexologique, indispensable

La prise en charge psychosomatique intervient aux quatre niveaux concernés : le corps, les comportements, les pensées et les croyances, la relation et la partenaire. La prise en charge sexologique et psychologique n’est pas toujours indissociable du médicament, mais est bien préférable. C’est un peu comme prendre un médicament pour maigrir sans proposer de régime. Avec une prise en charge sexologique bien conduite, le taux de succès avoisine les 90% en quelques séances.

Dr Marie-Hélène Colson : « Il semble bien que la sexualité ne puisse exister sans tabous ou idées reçues. Plutôt que des exercices qui mécanisent et instrumentalisent la sexualité, c’est un autre art de vivre sa sexualité qu’il faut transmettre à ces hommes qui ont une éjaculation précoce. Apprendre à marquer des pauses dès que l’on sent arriver l’envie physique d’éjaculer, changer de position, prendre le temps des préliminaires, attendre que l’envie d’éjaculer ait disparu avant de pénétrer ou de re-pénétrer son partenaire… les sexologues proposent un mode d’emploi, mais surtout aident le patient à construire une autre idée de la sexualité, plus sensuelle, plus érotique et affective. Je ne préconise aucun exercice respiratoire ou autres qui, à mon avis, ne font qu’aggraver la situation en recentrant le sujet sur son anxiété. Je leur apprends à prendre le temps et à faire l’amour sans sprinter ».

Sources

*soutenue par les laboratoires Menarini en partenariat avec la Fédération française de sexologie et de santé sexuelle (octobre 2013- avril 2014)

D’après un entretien avec le Dr Marie-Hélène Colson, médecin sexologue, secrétaire générale de la Fédération française de sexologie et de santé sexuelle (FF3S), Directeur d’Enseignement DIU de Sexologie, Faculté de médecine de Marseille et un symposium organisé par le laboratoire Ménarini dans le cadre des 8emes Assises françaises de sexologie et de santé sexuelle (8-12 avril 2015, La Rochelle).

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