Rugbymen, attention à votre rachis cervical !

Publié par Dr Hakim Chalabi
le 6/11/2000
Maj le
4 minutes
Autre
L'évolution actuelle de la pratique du Rugby Professionnel et la récente médiatisation d'accidents graves du rachis cervical au rugby imposent une réflexion plus approfondie de la situation.
En effet, le passage de deux à trois entraînements par semaine à 8-10, l'intensité du rythme de jeu, et la violence des impactes en rapport avec une vitesse et une masse musculaire croissantes, peut pousser le Rugby Professionnel sur un terrain à risque notamment pour le rachis cervical des premières lignes.
Pour autant, on pourrait croire que les accidents graves du rachis cervical sont l'apanage des joueurs professionnels, il n'en est rien, et l'on constate que les accidents neurologiques graves, se retrouvent en grande partie dans le rugby amateur.

L'enquête menée par la Fédération Française de Rugby en 1998, quantifiait à 15% le pourcentage des liaisons du rachis, chiffre pouvant être considéré comme non élevé mais dont l'évolution par rapport aux années précédentes reste spectaculaire.Les mécanismes lésionnels du rachis cervical sont le plus souvent occasionnés lors des entrées en mêlée ou des effondrements de mêlée. Ceci a été à l'origine des modifications de certaines règles par la Fédération Internationale de Rugby: plus de poussée en mêlée lors de l'expulsion d'une première ligne, sanction lors d'un écroulement d'une mêlée …Chez les amateurs, on attribue la prévalence des accidents neurologiques à une meilleure préparation physique et chez les professionnels à un renforcement des muscles du maintien et à une protection plus adaptée du rachis cervical. Pour autant, une augmentation du nombre d'entraînement et de cette musculation intensive peut générer des pathologies dégénératives du rachis chez ces mêmes joueurs.

Une étude sur 47 rugbyman

Ainsi, le retentissement des traumatismes répétés du rachis cervical chez le rugbyman de première ligne a été étudié l'an passé grâce à la réalisation d'IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) systématique chez quarante sept rugbyman d'âge et de niveau différent.Ces joueurs n'avaient aucun symptôme douloureux au niveau du rachis cervical au moment de l'étude.Quatre groupes furent constitués: - sept cadets,- cinq juniors,- vingt et un seniors,- quatorze vétérans.Ainsi qu'un groupe témoin non rugbyman représentant quarante patients appariés par l'âge.

Les résultats sont édifiants :

- 66% des joueurs seniors ont des signes à l'imagerie, témoin d'une souffrance des vertèbres du rachis cervical, contre 3% du groupe témoin.- 66% des jeunes joueurs ont une disparition complète de leur moelle osseuse, témoin également d'une souffrance de l'os lui-même, contre 3% des sujets contrôles.- 83% des joueurs de plus de vingt et un ans ont des constructions osseuses dues aux micro traumatismes répétés que l'on qualifie d'ostéophyte contre 33% du groupe témoin. Ceci peut représenter un danger éventuel dans la pratique du rugby, notamment par des compressions de la moelle épinière.- On retrouve également des signes d'atteinte des disques inter-vertébraux à type de dégénérescence précoce dans 56% des cas, à type de pincement discale dans 71% des cas contre respectivement 15 et 17 % dans le groupe témoin.- On retrouve également une diminution notable du canal vertébral chez les joueurs de plus de vingt et un an que l'on qualifie de canal cervical étroit.

Peut-on attribuer ces anomalies radiologiques du rachis cervical aux micro-traumatismes répétés des joueurs de première ligne ?

En ce qui concerne le retentissement sur le corps vertébral, il semblerait que ces micro-traumatismes à répétition provoquent une altération de la vascularisation vertébrale associée à des déformations du corps vertébral par micro-fractures. Ces lésions conduisent à une formation d'arthrose qui rétrécissent le canal médullaire vertébral.En ce qui concerne les lésions purement discales, elles sont favorisées par l'hyper flexion cervicale lors des mêlées et notamment lors d'effondrements des mêlées provoquant également dans cette étude la présence d'hernie discale dans 36% des cas et d'une protrusion discale dans48% des cas.Il ressort de cette étude, que ces canaux cervicaux étroits sont bien acquis chez ces joueurs de première ligne et non pas préexistant de façon constitutionnelle. Par ailleurs, malgré l'absence de symptôme douloureux, il n'en reste pas moins que ces anomalies anatomiques acquises les pré-disposent à des accidents neurologiques graves.

Plusieurs réflexions s'imposent :

- aller plus loin dans la réglementation des mêlées et des regroupements,- peut-on améliorer la qualité de la préparation physique et du matériel de protection, notamment dans le rugby amateur?- doit-on détecter de façon systématique par une IRM le sujet à risque chez les professionnels?Ces questions sont heureusement étudiées dans les différents groupes de travail des médecins de rugby (Fédération et Ligue).La situation qui reste toutefois alarmante chez les jeunes nous impose rapidement de décider des actions de prévention et de protection afin que le rugby ne soit pas synonyme à l'avenir de handicap possible.

Sources

Docteur Hakim CHALABI, Médecin du Stade Français CASG Rugby MOVENTIS. CLINIQUE DU SPORT PARIS. Age-related changes in the cervical spines of front-line rugby players. Berge J, Marque B, Vital JM, Senegas J, Caille JM., Am J Sports Med, 27, 4, 422 - 429, 1999. Department of Neuroradiology, Hopital Pellegrin, Bordeaux, France.

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