Est-il victime de harcèlement à l’école ?

Appelé School-Bullying dans les pays anglo-saxons, allusion aux coups répétés et violents que les jeunes veaux donnent pour jouer dans les flancs de leurs congénères, ce phénomène de harcèlement entre élèves selon une enquête réalisée auprès de 3 000 collégiens et lycéens par Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie, et Bertrand Gardette, conseiller principal d’éducation dans les lycées professionnels, concernerait en France 10 % des élèves, de toutes classes sociales et économiques.
Un problème peu connu car les victimes, craignant les représailles, restent silencieuses.
Harcèlement : des victimes fragiles
On parle de harcèlement quand les sévices sont répétitifs sur les mêmes personnes pendant une durée d’au moins quatre mois, exercés par un individu en situation physique ou psychologique supérieure sur une victime désemparée, ce qui exclut bien évidemment les bagarres et les violences qui opposent des élèves de force égale.
La victime a le plus souvent le malheur d’être différente. Et là tous les prétextes sont bons, qu’il s’agisse de différences physiques ou de profil mental particulier. Cible type, un enfant qui s’exprime moins facilement ou un peu immature dans sa communication, un physique un peu rond, ou une façon de s’habiller particulière. Mais l’élève qui devient victime sans pouvoir stopper rapidement les agressions est le plus souvent un enfant anxieux, peu sûr de lui, avec une image négative de lui-même ou de sa situation, ce qui lui laisse penser que, quelque part, il mérite ces sévices.
Ce sont des élèves souvent seuls à l’école, sans amis pour les défendre. Parfois, par volonté de s’intégrer, ils pourchassent un groupe, font des avances ou risquent des plaisanteries qui ne font rire personne, sans être capable d’évaluer les réactions qu’ils vont provoquer. Leur attitude met à jour leur fragilité et les désigne à leur bourreau potentiel.
Élèves harcelés : des profils atypiques
Il existe aussi des élèves harcelés parce qu’ils sont bons élèves. Corinne a été rapidement exclue du groupe, taxée d’intello, implicitement trop intelligente, alors qu’elle a tout fait pour ne pas se faire remarquer.
On reproche à Nicolas, délégué de classe de servir de relais avec les professeurs : il est du même coup considéré comme une balance, indic des profs. De même, certaines fortes personnalités qui n’acceptent pas les valeurs d’un groupe auxquelles elles sont hostiles, refusant de boire, de fumer ou de participer à des actions qu’elles réprouvent peuvent être victimes d’un phénomène d’isolement induit par un harceleur suivi par son public.
Le harceleur interrogé nie les faits ou les minimise. Il n’éprouve aucune empathie pour ses victimes. Le plus souvent, il est incapable d’autocritique et ne manifeste ni doutes ni regrets. Comme le font souvent les agresseurs, il a tendance à rejeter sur la victime la responsabilité de l’agression : «Il me regarde de haut, il n’est pas sympa…» Il se considère comme le justicier qui châtie de mauvais individus. Adulte, il est fort à craindre qu’il se transforme en tyran domestique, en collègue odieux ou en petit chef despotique.
Le harcèlement : un phénomène de groupe
Il s’agit rarement d’une relation à deux. Pour exister, le harceleur a souvent besoin d’être soutenu, renforcé, encouragé. Frank est décrit comme une forte personnalité, avec une certaine aura et qui sait flatter ses supporters. Manipulateur, avec les profs, il sait comment ne pas aller trop loin. Comme il est assez brillant pour ces derniers, il est au-dessus de tout soupçon.
Frank a deux comparses, deux filles qui n’agiraient jamais sans son impulsion, chargées de récolter avec empathie des informations un peu intimes auprès des isolés, informations qui alimenteront les moqueries et les rumeurs. On comprend donc qu’il y a association de malfaiteurs avec un chef de bande.
L’importance du spectateur
Le rôle des témoins est tout à fait décisif. Toute une gamme de réactions est possible : pour que le harcèlement perdure, il faut donc au harceleur des complices actifs ou passifs qui se manifestent par leurs rires, leurs encouragements ou leur silence approbateur. Mais à l’opposé certains ne sont pas d’accord et ont le courage de le faire savoir en manifestant leur soutien à la victime et en faisant cesser l’agression.
Les élèves neutres interrogés au cours de l’enquête ont expliqué qu’ils n’osaient pas intervenir si la victime ne demandait pas d’aide : «On ne sait pas quoi faire et l’on ne veut pas se mêler de quelque chose qui ne nous regarde pas !» Une position terrifiante qu’on retrouve chez les adultes témoins passifs d’agressions.
L’enfermement dans le silence
Surtout ne pas parler ! C’est la réaction type des victimes de harcèlement. Plusieurs raisons sont à l’origine de ce comportement. Il y a d’abord la crainte des représailles et par voie de conséquence la peur d’aggraver la situation. Pour certains, un sentiment de culpabilité, de honte («Si ça m’arrive, c’est que c’est moi qui en suis responsable») lié au désir de remonter dans l’estime de l’agresseur : «Je ne suis pas une balance.»
Le harcelé a la certitude que personne ne pourra l’aider. L’intervention des adultes ne peut, à ses yeux, qu’être une catastrophe : comme tout ce qu’il dit ou fait pour que son supplice cesse n’a aucun effet, il ne voit donc pas d’autre solution que de subir. L’intimidation de l’agresseur fonctionne d’autant mieux que les sanctions, quand, par exception, les faits sont dévoilés, sont minimes : quelques heures de colle, un blâme, au plus quelques jours d’exclusion en cas de sévices corporels. Une fois revenu, le harceleur peut reprendre ses activités en en augmentant l’intensité en guise de représailles.
Quand il n’y a pas de séparation due à des orientations scolaires différentes souhaitées ou subies pour cause de harcèlement, il n’y a pas de limites aux sévices. Des enfants et des ados sont capables de pousser très loin l’engrenage de la persécution s’ils ne sont pas arrêtés par des adultes.
Harcèlement : des sévices souvent difficiles à repérer
Souvent assimilés à du bizutage ou du racket, les brimades et les harcèlements ont ceci en commun qu’ils sont souvent invisibles pour les adultes. Toute une gamme de sévices existe, apparemment anodins, qui vont des surnoms blessants aux violences physiques (comme le flipper qui consiste à jeter alternativement la victime d’un côté et de l’autre d’un couloir), en passant par les moqueries à caractère sexuel, sexiste, raciste ou homophobe.
Isabelle, en classe de seconde avec deux ans d’avance raconte qu’on lui fauchait son cartable pour le mettre dans les toilettes, en la traitant de «chienne d’intello». Ses jolis cheveux longs semblaient particulièrement inspirer ses agresseurs : elle avait droit au crachat de chewing-gum et tentative de lui brûler sa chevelure par derrière, chevelure dont on lui arrachait constamment l’élastique. Julien, élève de 5e, surnommé pendant plusieurs mois à cause de sa coiffure hérissée «balai à chiottes» s’est vu un jour traîné dans les toilettes, enfoncé la tête dans la cuvette dont ses agresseurs ont tiré la chasse.
Grâce aux progrès des nouvelles technologies, pour les plus âgés, les rumeurs qu’on fait circuler sur Face book sont un moyen efficace et anonyme de démolir un camarade.
Les signes qui doivent alerter
Votre enfant refuse de se réveiller le matin pour aller à l’école, il est régulièrement pris de maux de tête ou de ventre quand il se prépare. Attention, ce sont les symptômes des harcelés qui, à leur corps défendant, (c’est le cas de le dire), doivent aller se jeter dans la gueule du loup. Ces élèves vivent au quotidien dans un univers qu’ils ressentent comme globalement hostile et insécurisant et du même coup ont une image dévalorisée de leur valeur scolaire qui ne correspond souvent pas à la réalité.
Ils sont constamment sur la défensive et par conséquent souvent agressifs de peur d’ouvrir une brèche à leurs agresseurs. L’absentéisme est leur seul moyen de se mettre à l’abri. Il s’ensuit une baisse des résultats, des redoublements et en désespoir de cause, pour échapper à leurs agresseurs des changements d’établissements avec des réorientations dont le seul but, quitte à abandonner un rêve professionnel, est d’en finir avec cette souffrance, le tout avec un fort sentiment d’injustice. Tout cela préservant la liberté de nuire de l’agresseur.
Cinq propositions pour une politique nationale de prévention du harcèlement
- Reconnaître le harcèlement.
- Former les personnels avec des équipes d’intervention académiques.
- Sensibiliser les élèves dans le cadre des «heures de vie de classe».
- Soutenir les parents d’élèves avec un site officiel d’aide et de conseils.
- Faciliter l’élaboration et la diffusion d’outils pédagogiques (fascicule national, outils multimédias).
Du primaire au lycée
La présence du harcèlement, même s’il existe dès l’école primaire, monte en puissance de la 6e à la 3e. Mais le harcèlement qui subsiste au lycée prend des formes plus graves et plus violentes. Les lieux propices sont ceux qui sont mal surveillés, les couloirs, les vestiaires, les toilettes, la cour, la sortie d’établissement
Sources
Côté Santé
Harcèlement et brimades entre élèves, de Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette, Éditions Fabert, 20 €.