Et si la dépression pouvait être une chance à saisir ?

Publié par Dr Catherine Solano
le 28/07/2008
Maj le
6 minutes
Autre
La dépression a un côté positif. Cette affirmation peut paraître iconoclaste, elle est une thèse défendue par certains psychiatres qui ne nient pas pour autant l'aspect douloureux de cette maladie. Ils affirment simplement qu'il peut s'agir d'une crise à surmonter, crise qui peut faire grandir.

E-sante a interviewé le Dr Gérard Tixier, médecin psychiatre et auteur du livre " Eloge de la déprime " aux éditions Milan.

Quel est le côté positif de la dépression ?

" Les personnes qui ont tout pour être heureuses peuvent déprimer parce que leur image ne colle pas avec ce qu'ils sont. Quelque chose ne colle pas et ils s'en rendent compte. La dépression est positive parce qu'elle nous ramène à notre idéal. Je déprime parce que je me montre d'une manière fausse. Alors, je bute sur ce que je ne suis pas, sur ce que je ne montre pas de moi, ce que je n'exprime pas. Et mon idéal, je risque de le perdre à force de le garder caché à l'intérieur de moi. Le côté positif, c'est donc que la dépression peut permettre de voir ce qui est juste dans notre vie et ce qui est faux. Je pense qu'il faut se débarrasser de certaines choses pour se trouver en pleine vérité. Il existe souvent un excédent dans notre vie, une sorte de pollution. On se trouve pollué par des choses qui ne nous conviennent pas et nous nous laissons encombrer par des choses qui ne sont pas essentielles, voire nocives pour nous, pour notre système à nous. Pour composer, par flemme, par esprit de compromis, nous laissons venir et nous acceptons ces pollutions, pour être avec les autres et penser trouver une vie à peu près en équilibre.Je vais prendre un exemple. Dans votre un travail, vous pouvez faire beaucoup de sacrifices. Vous allez transformer votre vie, faire des simagrées, des contorsions pour vous adapter … Vous avez peur de perdre votre job… Peur de ne plus pouvoir nourrir votre famille. Peur de changer d'orientation et de vous planter. Ou encore, par conformité, vous transformez votre vie selon des critères de rendement professionnel… mais vous ne gagnez pas un meilleur équilibre à la maison. Vous subissez des pressions que vous pouvez accepter si vous êtes très ambitieux. Mais à un moment donné, il apparaît un décalage avec ce que vous aimeriez être et ce que vous êtes, entre votre idéal dont vous vous éloignez peut-être de plus en plus et ce que vous observez de vous.Mais quand la dépression survient, ce n'est pas forcément pensé comme ca. Vous vous sentez mal sans forcément être capable d'analyser ce qui se passe. C'est là où la dépression apparaît comme un message qui dit " stop ". Quelque chose en vous se rebelle contre la vie que vous menez. Chez les femmes qui dépriment, on observe souvent un désir de contrôler sa vie. Elles veulent tout assurer et ne veulent pas céder une partie de leurs prérogatives. Du coup, les dépressions d'épuisement sont très fréquentes. Elles voudraient être parfaites sans une faille et seules à tenir. La dépression les oblige à apprendre qu'elles ne doivent plus vouloir tout contrôler, se poser des objectifs trop lourds à porter et enfin accepter de déléguer. Le corps dit stop : la vie que tu mènes ne me convient pas. Si l'on soigne uniquement par les médicaments, on ne l'écoute pas, ce corps. La dépression est un mécanisme qui permet de se soustraire aux tensions, de se mettre en stand-by et de réévaluer sa vie. On se met à l'écart pour faire un bilan.

La dépression, une crise de croissance ?

À l'adolescence, s'est mis en place un système à penser le monde, penser sa vie. Il tient jusqu'à l'âge adulte, 5 ou 10 ans. Il est fait d'idéaux, d'idées qui ne tiennent pas forcément la route devant la réalité. Car nous sommes confrontés à d'autres modèles, d'autres systèmes de vie, à ce qui vient de la réalité, à d'autres facteurs qui n'avaient pas été pris en compte à l'adolescence. Il existe alors une sorte d'immaturité affective, relationnelle, professionnelle.Quand la dépression vient, cette position d'enfant, il faut bien la lâcher à un moment donné. Si on ne la lâche pas, la vie ne fera pas de cadeau. Nous devons éliminer, tuer quelque chose, c'est le plus difficile. Il faut abandonner l'ancien système de pensée. Vous êtes alors fragilisé car vous devez laisser quelque chose du personnage que vous vous étiez créé. C'est cela qui nous déprime. Souvent, nous déprimons plutôt que de lâcher ce système de pensée. On croit qu'on est dans la perte dans la dépression, alors que l'on est dans la maturation. Prenons l'exemple d'un divorce. Il peut penser " elle me laisse, c'est ce qui me fait du mal. En réalité, ce n'est pas forcément cela qui lui fait vraiment mal. Il reconnaît difficilement que sa vie de couple était un échec. Ou bien l'image qui lui est renvoyée, il ne l'accepte pas. C'est l'arrachement de quelque chose qui fait mal, mais pas forcément ce que l'on croit.

La dépression, qu'avons-nous à y gagner ?

D'abord de la liberté : on était encombré par des choses lourdes à porter. On y gagne aussi de la légèreté, de l'énergie que l'on peut mettre ailleurs, de l'espace, la possibilité de construire autre chose, le sentiment d'entrer dans sa vie, de se trouver en accord et de plain-pied dans sa propre vie. La personne dépressive s'était laissée décaler, elle s'est réajustée. Elle a lâché ses archaïsmes, ses rituels, certaines pensées, des illusions. C'est ca qui est difficile à passer comme cap. On n'a pas envie de perdre ses illusions. C'est ce qui fait qu'on déprime. Si on les lâchait, on ne déprimerait pas. On a tendance à s'accrocher à une idée de soi, donc on ne prend plus aucun risque. La dépression permet ainsi une maturation. On abandonne sa part d'immaturité, d'illusion…Chez chacun, elle est un peu différente. Une personne qui n'aimait pas s'engager peut par exemple devenir davantage capable de s'engager après une dépression. On peut se débarrasser des plaintes, des regrets, des peurs non fondées, des choses inutiles qui nous encombraient sans rien apporter. La dépression nous confronte à une sorte de mort. Quand on s'en sort, on se trouve beaucoup plus dans la vie qu'auparavant, à condition de ne pas tomber dans l'état dépressif chronique qui ne fait pas évoluer. La dépression, c'est quelque chose à traverser. Sinon, elle a un effet vraiment négatif. Il ne faudrait pas la refuser, mais pas s'y perdre non plus. Car la dépression est un refus plus ou moins conscient de continuer à vivre sa vie telle qu'elle est, et si on le dépasse, on vit enfin sa vraie vie. "A lire également sur le sujet : " La dépression, une maladie ou une chance ? " Moussa Nabati éditions Fayard 2005." How Sadness Survived -The Evolutionary Basis of Depression " de Paul Keedwell.

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