Greffes du coeur : que de progrès en 40 ans ! Une interview du Pr Cabrol

Le 27 avril 1968, le Pr Christian Cabrol tentait la première greffe cardiaque en Europe et la 6e mondiale. C'était le début d'une aventure collective incroyable associant les patients, les donneurs, leurs familles, la recherche fondamentale, les chirurgiens et même l'armée de l'air ! Aujourd'hui 80 % sont sauvés à un an, grâce à une greffe de coeur. Les vies gagnées se comptent en milliers.

Dr Philippe Presles : Pr Cabrol, vous fêtez les 40 ans de votre première greffe du coeur. Quel est le souvenir le plus fort de ce 27 avril 1968 ?Pr Christian Cabrol : Quand le nouveau coeur s'est mis à battre. Vous savez, on s'entraînait depuis plusieurs années sur des chiens et l'acte chirurgical était bien rodé. Mais quand nous avons transplanté ce coeur en pleine forme dans la poitrine de notre malade, nous étions très impressionnés.PhP : Vous étiez bien rodés. C'était donc un exploit très préparé…CC : C'est un peu comme la conquête de l'espace et le premier pas sur la lune. Les premiers cosmonautes furent des animaux. J'aimerais rendre hommage au Pr Norman Shumway qui, à Stanford (USA), fut le premier à effectuer une greffe cardiaque sur un chien en 1960. J'étais son ami et son élève avec le Pr Chris Barnard et ce sont ces techniques que j'ai acquises et progressivement améliorées de mon côté. Le passage à l'homme soulevait de nombreux problèmes, tant éthiques que scientifiques. Est-ce que les gens allaient accepter le nouveau concept de mort cérébrale qui permettait de prélever un coeur encore battant à une personne dont le cerveau était irrémédiablement détruit ? C'est Chris Barnard qui, le premier, a osé se lancer le 3 décembre 1967 et l'accueil dans le monde fut enthousiaste. Ensuite tout est allé très vite.

PhP : C'était le début d'un nouvel espoirCC : Oui pour le grand public, mais pour nous, les médecins, ce fut une longue traversée du désert. Mon premier malade n'a vécu que 3 jours. A cette époque, en 68-69, aucun malade ne passait le cap des 18 mois. Heureusement nous avons eu Emmanuel Vitria, ce Français qui a survécu 19 ans… Pendant ces 12 années nous avons appris à résoudre un à un tous les problèmes que posait ce genre de chirurgie. Mais au bout du compte, nous nous heurtions toujours au problème N°1 de l'époque, à savoir le rejet de la greffe par le système immunitaire du receveur.

PhP : Quand est-ce que l'on peut dire que la transplantation cardiaque a vraiment été au point ?CC : En 1980, quand les laboratoires Sandoz ont découvert la Ciclosporine. Ce médicament anti-rejet a permis de dépasser les 80 % de survie à un an ! La transplantation cardiaque pouvait se développer à plus grande échelle et servir plus de malades. Mais cela a entraîné un nouveau problème : celui du manque de greffon et de son transport…PhP : De son transport ?CC : Oui, c'est une urgence. Quand on prélève un rein, on dispose de 24 à 48 heures pour le transplanter. Avec un coeur, le délai passe à 5 heures… A l'époque nous n'aurions pas réussi sans l'engagement de l'armée de l'air qui a assuré pendant de nombreuses années ces acheminements d'urgence.PhP : C'est la raison pour laquelle vous fêtez les 40 ans de la première greffe cardiaque avec l'armée de l'air ?CC : Absolument. Vous l'avez compris, la transplantation cardiaque est une histoire collective extraordinaire et les pilotes de l'armée de l'air y ont tenu leur place. C'est essentiel à comprendre : toutes les grandes aventures humaines sont le fruit d'engagements d'hommes de qualité derrière une même cause. C'est pour cela que nous avons réussi.PhP : C'est aussi pour cela que vous présidez à l'association ADICARE (www.adicare.org) ?CC : Tout à fait car il faut continuer à financer la recherche, notamment à travers l'Institut de cardiologie de Paris. Il faut progresser sans cesse au service de nos malades.

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Source : Interview du Pr Christian Cabrol, Président de l'association ADICARE.