Est-ce éthique de laisser les femmes enceintes sans aide face au tabac ?

Comme on peut le lire abondamment dans la presse, l’étude SNIPP (Study of Nicotine Patch in Pregnancy), publiée dans le BMJ ce 11 mars, conclut à l’inefficacité des patchs pour aider les femmes enceintes à se sevrer du tabac. Mais personne ne remet en cause l’étude elle-même.Pourtant, sur les 384 bébés nés au terme de ce protocole, 363 ont subi une souffrance fœtale majeure leur faisant perdre 10 % de leur poids.Est-ce éthique de continuer à mettre en place de telles études ?
© Istock

L’étude SNIPP (Study of Nicotine Patch in Pregnancy) publiée dans le BMJ vient de conclure à l’inefficacité des patchs dans le sevrage tabagique des femmes enceintes.

Ce résultat est d’autant plus important que cette étude a été réalisée sur l’ensemble du territoire français entre 2007 et 2012, recrutant 402 femmes fumeuses de plus de 18 ans, entre leur 12ème et leur 20ème semaine de grossesse, selon un protocole en double aveugle, randomisé versus placebo.

Ce résultat paraît a priori d’autant plus crédible que la prise en charge qui était proposée à ces femmes était conséquente.

En effet, cette étude offrait aux participantes :

  • un suivi médical régulier avec 3 visites le premier mois et une visite mensuelle ensuite ;
  • un soutien avec des techniques comportementales validées à chaque visite (conformément au consensus ANAES 2004) ;
  • une adaptation des doses de nicotine délivrées par les patchs, selon une mesure de la cotinine ;
  • une vérification de l’abstinence tabagique avec la mesure du CO expiré.

Dans l’absolu, cette étude permet de conclure en la bonne tolérance de la nicotine chez la femme enceinte, les effets secondaires étant très limités, même à forte dose de patch. Mais elle permet aussi de constater l’inefficacité des patchs pour les aider à se sevrer du tabac. Elle permet également de noter l’inefficacité des conseils de types comportementaux, qui n’ont pas permis d’améliorer les résultats.

Que penser de tels résultats ?

Pour prendre position sur une telle étude, il faut s’interroger sur ses limites. Personnellement, je constate qu’elle comporte des défauts majeurs qui peuvent nous faire douter des conclusions :

  • Le traitement ne commence qu’après le 3ème mois, alors que les femmes sont hypermotivées lors de la découverte de leur grossesse. Le prétexte pris pour justifier ce retard est le risque de fœtopathie avec la nicotine, alors que ces femmes fument et sont donc déjà à leur dose maximale de nicotine (puisqu’elles fument à volonté).
  • Le protocole n’associe pas de formes orales de nicotine au patch, ce qui est devenu la base des bonnes pratiques.
  • Plus de la moitié des femmes ont abandonné le traitement.
  • Renseignement pris, les supports comportementaux étaient disponibles sur écran avec enregistrement simultané des données, ce qui n’est pas idéal.

Autrement dit, ce n’est pas tant les patchs qui sont à mettre en cause que l’étude et son protocole.

Cela dit, cette étude permet de vérifier une fois de plus la gravité du tabagisme chez la femme enceinte, les enfants de fumeuses pesant 10 % de moins que ceux des enfants de non-fumeuses, soit 3364 g versus 3021 g, cette différence étant significative (p=0,01). Et l’on peut constater que la nicotine ajoutée par les patchs n’a pas entraîné de variation de poids (3065 g avec patch, versus 3015 g avec placebo, écart non significatif). Cela confirme que c’est bien l’intoxication par le monoxyde de carbone qui est en grande partie responsable de la souffrance des bébés, se traduisant par leur perte de poids.

Est-ce éthique de continuer à laisser les femmes enceintes sans aide ?

La vraie question est donc selon moi la suivante : cette étude est-elle éthiquement acceptable ? Sur les 384 bébés nés au terme de cette étude, 363 ont subi une souffrance fœtale majeure leur faisant perdre 10 % de leur poids. Pourquoi les a-t-on laissés souffrir de la sorte ? Parce que l’on craignait d’être responsable de leur souffrance si on avait prescrit de la nicotine à leur mère au cours du premier trimestre ? Parce que l’on craignait de leur prescrire trop de nicotine, même si leurs mères continuaient à les intoxiquer avec du monoxyde de carbone ?

A force de réclamer toujours plus d’études pour y voir plus clair, ne finit-on pas par abandonner les patients ? N’est-il pas possible de dire que si des gens vivent dans une décharge, il n’est pas besoin d’études pour connaître les effets de cette vie insalubre et de tout faire pour les sortir de là ?

Autrement dit, considérons une fois pour toutes que le tabac est une horreur et que toutes les solutions d’aujourd’hui sont bonnes pourvu qu’on les combine pour aboutir au résultat recherché. Au nom de quoi par exemple ne pourrait-on pas conseiller aux femmes enceintes d’essayer la cigarette électronique qui fait tant reculer les ventes de tabac en ce moment ? Et pourquoi ne pourrait-on pas associer des patchs au vapotage si besoin ? De quoi avons-nous peur ?

Manifestement pas de la souffrance des bébés, et cela, ce n’est pas éthique.

Source : Ivan Berlin. BMJ 2014;348:g1622 doi: 10.1136/bmj.g1622 (Published 11 March 2014).

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