Peut-on guérir les cancers avec les ultrasons ?

Les ultrasons sont de plus en plus utilisés en médecine. Depuis l’extérieur du corps, sans ouvrir, ils permettent de focaliser en un endroit bien précis une haute densité d’énergie capable par exemple de détruire une tumeur. Mais les ultrasons peuvent aussi potentialiser les effets de la chimiothérapie  ou encore permettre d’obtenir des images jusque-là inaccessibles, très utiles aux nouveaux diagnostics. Le point sur les utilisations actuelles et futures des ultrasons dans le domaine du cancer avec les Pr Denis Guilloteau, PU-PH  et Dr Ayache Bouakaz, directeur de recherche à l’INSERM à Tours.
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Les ultrasons en médecine, comment ça marche et quelle évolution ?

« C’est à partir des années 70 que l’on a commencé à voir apparaitre des machines à ultrasons assez performantes pour être utilisées en médecine par des pionniers », explique le Pr Frédéric Patat*. « Le principe de base est simple : c’est le sonar, déjà employé par les dauphins, les baleines et les chauves-souris. On envoie une onde acoustique sonore ou ultrasonore, que l’environnement renvoie comme un écho : cet écho renseigne donc sur l’environnement. Il a ensuite fallu une vingtaine d’années pour transformer ce principe physique en images exploitables en médecine. D’année en année, les ultrasons ont gagné de nouvelles possibilités ».

Une des premières applications, réalisée par le Pr Léandre Pourcelot de l’Inserm à Tours, a été de mesurer la vitesse du sang qui circule, le principe étant l’effet doppler, le même que celui employé par les radars au bord des routes.

Ensuite, les développements ont été très rapides, notamment avec la possibilité de faire des images en temps réel. Lorsque l’on fait une radio, l’image est instantanée, tout comme le scanner qui montre l’état d’un sujet à un instant donné. Seules les techniques très récentes peuvent montrer un corps en train de bouger. « Avec les ultrasons, détaillele Pr Frédéric Patat , le temps pour réaliser une image est tellement court que l’on peut les multiplier considérablement à la seconde ».

Les ultrasons cumulent aujourd’hui deux spécificités donnant accès à des phénomènes jusque là inabordables :

  • L’examen qui se fait la sonde à la main, l’opérateur tient la sonde et va aller explorer l’intérieur de son patient. On est au-delà de la palpation, on regarde à l’intérieur. En plus, la nature fait que l’ensemble des organes que l’on peut explorer avec l’échographie est très large : le cœur, l’utérus avec ou sans fœtus à l’intérieur, le foie, la rate, la thyroïde, les muscles, etc.
  • Les appareils à ultrasons développés par l’industrie ont aujourd’hui des capacités de calculs extraordinairement rapides. Ce sont de véritables machines à calculer.

Depuis la fin des années 90, de nouveaux modes d’imagerie en ultrasons ont été mis au point, comme l’élastographie, visant à mesurer l’élasticité des tissus que l’on utilise par exemple en cancérologie, sur le principe que les tumeurs n’ont pas les mêmes propriétés élastiques que les tissus voisins. Autre exemple, l’échographie de contraste qui consiste à injecter des agents de contraste sous forme de microbulles gazeuses (taille un millième de millimètre) pour examiner la vascularisation des tissus.

Ces nouvelles modalités prennent de l’essor, comme en témoigne la progression du nombre d’examens réalisés utilisant les ultrasons : + 5% chaque année. Elles trouvent des applications tant dans le domaine du diagnostic que dans celui des traitements. On espère d’ailleurs pouvoir bientôt développer les deux en même temps : détecter avec les ultrasons la maladie puis la traiter, voire aussi en faire le suivi.

Quelles sont les applications majeures dans le domaine du cancer ?

Historiquement, les ultrasons ont servi au préalable au diagnostic, de la grossesse par exemple ou des nodules thyroïdiens. Ensuite, ils ont été employés dans le domaine du cancer comme stratégie thérapeutique, pour procéder à l’ablation des tumeurs.

Rappelons que les ultrasons utilisés en diagnostic sont sans danger, c’est prouvé depuis une trentaine d’années. Mais l’énergie peut-être amplifiée en la concentrant ou focalisant à l’intérieur du corps humain. Cette source d’énergie est alors suffisante pour chauffer. On peut ainsi faire augmenter la température localement pour provoquer la mort des cellules de manière très précise.

La toute première application a été l’ablation d’une tumeur banale chez la femme de plus de 40 ans, le fibrome utérin. Celui-ci est bénin, mais il présente parfois des inconvénients justifiant son ablation. Les ultrasons ont ici représenté une alternative à la chirurgie classique.

Parmi les applications thérapeutiques les plus récentes et très prometteuses, dont certaines sont encore au stade expérimental, citons celle de l’Inserm à Tours, très à la pointe dans le domaine des ultrasons pour la délivrance d’anti-cancéreux. Coordonné par le docteur Ayache Bouakaz et par le professeur Thierry Lecomte, et financé par l’Inca, il s’agit d’un essai clinique couplant ultrasons et microbulles dans le traitement des métastases du foie du cancer colorectal.

En effet, malgré le nombre croissant de molécules actives contre le cancer, les progrès thérapeutiques restent modestes pour un certain nombre de types de tumeurs. L'un des principaux obstacles est inhérent à l'absence d'une délivrance spécifique des médicaments dans le tissu tumoral. Malgré les progrès de la chimiothérapie, la résection chirurgicale complète des métastases hépatiques, est la seule capable d’offrir une possibilité de guérison.

Les travaux de recherche de l’unité Inserm de Tours ont montré récemment que les oscillations de microbulles d'agents de contraste ultrasonore sous l’action d’ultrasons engendrent une modulation de la perméabilité des barrières biologiques dans des modèles pré-cliniques de cancer. Cette technique appelée sonoporation permet d’augmenter la biodisponibilité d’agents anticancéreux dans la région d’intérêt. Cette approche a été validée avec succès à la fois in vitro et sur des modèles précliniques de cancer colorectal, ceci permettant d’envisager une approche thérapeutique sur l’être humain.

L’étude sera menée conjointement au CHRU de Tours par le CIC IT 1415 Ultrasons et Radiopharmaceutiques et par le service d’Hépato-gastroentérologie et de Cancérologie Digestive.

Le coordonnateur scientifique de cette recherche innovante est le Docteur Ayache Bouakaz, Directeur de recherche au sein de l’unité de recherche INSERM U 930, spécialisé dans le domaine des Ultrasons. Le coordonnateur hospitalier associé est le Professeur Thierry Lecomte, chef du service d’Hépato-gastroentérologie et de Cancérologie Digestive et spécialisé dans la prise en charge du cancer colorectal. Les premiers traitements démarreront courant 2017. Les travaux de l’équipe Imagerie et Ultrasons seront présentés lors du congrès international IEEE IUS 2016 organisé par l’équipe Tourangelle à Tours du 18 eu 21 septembre 2016.

On retiendra que les ultrasons représentent une modalité extrêmement intéressante et élégante en cancérologie permettant de déposer localement de l’énergie sur une tumeur bien identifiée ou de potentialiser la chimiothérapie de l’extérieur, à la demande et sans avoir à ouvrir le patient.

Pour en savoir plus :

http://www.u930.tours.inserm.fr/

http://sites.ieee.org/ius-2016/

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Source : * En collaboration avec le Pr Denis Guilloteau, Service de Médecine Nucléaire in vitro, Unité Mixte de Recherche 930 « Imagerie et Cerveau » (Inserm – Université François Rabelais de Tours) centrée sur l’étude du développement cérébral normal et pathologique et sur les technologies pour la santé (ultrasons et imagerie moléculaire radiopharmaceutique),
le Dr Ayache Bouakaz, président du comité d’organisation du congrès IEEE IUS 2016 à Tours et directeur de recherche de l’équipe « Imagerie et Ultrasons » de l’UMR 930 « Imagerie & Cerveau » – Inserm - Université François Rabelais, Tours. Son équipe explore les aspects physiques et techniques des ultrasons pour le diagnostic et la thérapie,
et le Pr Frédéric Patat, direction du CIC-IT de Tours.