Naît-on ou devient-on homo ou hétéro ?

Naît-on hétérosexuel(le), homosexuel(le) ou bisexuel(le) ? Le devient-on ? Une interrogation curieuse tout comme le fait qu'un désir devienne une identité, mais le cheminement de nos préférences sexuelles avec ses influences diverses nous concerne toutes et tous. Questions à Stéphane Clerget, psychiatre.
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Freud a dit que chacun naissait bisexuel. Peut-on être homosexuel et hétérosexuel à la fois ? Stéphane Clerget : Oui. Et la neurobiologie mène aussi à cette conclusion. En fait, nos préférences sexuelles et notre comportement érotique sont le fruit d'un lent apprentissage. Mais on naît avec la possibilité de tomber amoureux et de prendre du plaisir sexuellement aussi bien avec un homme qu'avec une femme. Ensuite, chacun au cours de son développement affectif et sexuel individuel, va établir sa propre cartographie de ses préférences dont la synthèse sera une orientation homo ou hétéro. Cela signifie que l'on peut, un matin avoir tout simplement un désir pour une personne du même sexe ou cela peut signifier que l'on a camouflé jusque-là ses vrais désirs ? S.C. : Les deux sont possibles. On peut, au cours du développement, mettre consciemment ou non, à la cave de nos sentiments des désirs qu'on réprouve. Et à l'occasion d'un événement de vie (deuil, naissance, ménopause, dépression…) qui va réorganiser notre «maison» psychique, ces désirs vont réapparaître et pouvoir se vivre. Des désirs ont pu être transformés comme des désirs amoureux dans la petite enfance pour le même sexe qui se transforment en amitié. Ces transformations sont parfois réversibles. Enfin, il y a la puissance étonnante du sentiment amoureux qui prend par surprise, et a assez de force pour détourner d'un chemin habituel. Le cerveau humain a une plasticité neuronale. C'est-à-dire que les connexions entre les neurones ne sont pas figées. Ce qui explique que nos préférences dans les domaines amoureux et sexuels, comme dans beaucoup d'autres, évoluent et que des changements d'aiguillage du train de nos désirs sont possibles.

De nombreuses études tentent toujours de démontrer que l'homosexualité est innée. Le débat n'est pas clos… S.C. : Dans mon livre, je reprends les principales études qui ont pu laisser croire à une origine innée pour démontrer qu'à l'heure actuelle, on ne peut absolument pas dire que notre orientation sexuelle soit gravée dans le marbre de nos gènes. Et je donne les études qui démontrent le contraire. Une telle découverte entrerait d'ailleurs en contradiction avec les changements d'orientations sexuelles au cours de la vie et la bisexualité !

Même si l'on n'attribue qu'une petite part à l'inné, comment l'expliquer ? S.C. : Parce qu'il est possible que tel ou tel facteur codé génétiquement favorise l'orientation sexuelle. Par exemple, l'aspect physique d'un enfant va faire que son entourage le trouvera plus ou moins féminin et le regardera en conséquence différemment. Il en va de même pour tout ce qui peut influer un tempérament particulier reconnu comme plus ou moins masculin. Mais c'est la manière dont nous-même ou l'environnement allons exploiter les compétences liées à nos gènes qui influencera notre orientation. Quelles sont, selon vous, les principales explications de la théorie de l'acquis ? S.C. : Qu'il soit homo ou hétéro, c'est la recherche du plaisir par stimulation corporelle qui guide le comportement érotique chez l'être humain. L'individu va découvrir peu à peu ses zones de plaisir et les moyens de les stimuler. Nous ne sommes pas prisonniers d'une programmation instinctuelle. L'amour, chez les humains, chaste ou sexuel, ça s'apprend. La sexualité n'est pas détachable de l'ensemble de la personne. L'élaboration de notre façon d'aimer résulte des liens affectifs conscients et inconscients avec notre entourage, des expériences et des rencontres, des désirs parentaux conscients et inconscients et de leur histoire, des éducations reçues, des modalités de passages des différents stades psychoaffectifs, de l'organisation oedipienne, des choix conscients ou non de l'enfant. Il y a aussi des aléas physiques, familiaux, sociaux, culturels, qui vont favoriser ou prévenir certaines modalités d'attachement et de comportement érotiques. Homo ou hétéro, nous passons par les mêmes stades, nous faisons, au cours du développement la même «croisière», mais nous n'en retenons pas le même souvenir. Le rôle des parents intervient-il dans l'homosexualité des enfants ? S.C. : Oui. Ils influencent sur tous les pans de la construction de l'enfant. Ils sont des modèles que l'enfant va imiter ou au contraire dont il va prendre le contre-pied. Ils sont nourris d'un imaginaire, de désirs, de renoncements que l'enfant va percevoir et intégrer ou non au sien. Ils vont désirer ou craindre que leur enfant ne fasse des choix. Et l'enfant décidera de suivre le désir ou… la crainte. Influencer ne signifie pas qu'ils peuvent maîtriser l'orientation sexuelle future de leur enfant, car l'enfant fait ses choix, sinon au prix d'une brisure de son développement global. Y a-t-il des blessures affectives qui orientent l'enfant, l'adolescent vers l'homosexualité ? S.C. : Les blessures, ou pire, les traumatismes, peuvent conduire un individu à renoncer à certaines façons d'aimer, mais aussi bien homo qu'hétéro. Vous dites que pour un adolescent, l'homosexualité remplit la fonction de prise de distance avec la mère. Tous les garçons ne réagissent pas ainsi. Qu'est-ce qui déclenche cette «décision» ? S.C. : Il n'y a pas une façon unique de devenir homo comme hétéro. Chacun a son parcours. Certains ressentent une menace féminine et peuvent rechercher dans des relations homos une «virilisation». C'est transitoire ou ils y prennent goût. Mais d'autres confrontés à cette menace peuvent trouver dans leur entourage familial ou amical suffisamment de soutien affectif masculin. Et tous ne vivent pas ce type de menace. Si le modèle parental a de l'importance, l'image d'un couple homosexuel peut-il avoir une influence sur le choix sexuel de l'enfant ? S.C. : Oui, comme tous les modèles de couples parentaux. Mais pas obligatoirement dans le sens que l'on croit… Les homos ont été élevés pour la plupart par des couples hétéros. Les parents homos sont aussi conformistes que les autres et ont autant de désirs refoulés que les autres. Un enfant peut s'identifier au désir refoulé de sa mère hétéro pour une femme, mais aussi au désir refoulé de son père homo pour une femme. En revanche, des parents très homophobes favorisent souvent, à leur insu, le désir homo de leur enfant qui va avoir envie d'explorer ce continent mystérieux qui effraie et trouble tant ses parents.

Je bouquine...

"Comment devient-on homo ou hétéro", du Dr Stéphane Clerget aux éditions JC Lattès.

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Source : Côté santé, juin 2007.