Fratrie : la place détermine-t-elle la personnalité ?

Et si notre personnalité dépendait de notre rang de naissance ? L'idée ne date pas d'aujourd'hui, mais elle interpelle. Dans les querelles fraternelles, chacun jouerait son rôle et se façonnerait ainsi des traits de caractère bien particuliers. Chacun dans une case ? Pas si simple. Le pédiatre Marc Sznajder* nous explique pourquoi, dans son dernier ouvrage Les Aînés et les cadets. Entretien. *Marc Sznajder est pédiatre à Paris. Praticien, attaché à l'hôpital Ambroise-Paré de Boulogne, il est membre de la Société française de pédiatrie. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés au développement de l'enfant.
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Interview avec Marc Sznajder

PsychoEnfants : Vous affirmez dans votre livre que le rang dans la fratrie influe sur les traits de personnalité… pourquoi ?

Marc Sznajder : Être le premier enfant ou non dans une famille induit forcément des différences évidentes. La première est le regard que les parents portent sur l'enfant : un aîné n'arrive pas dans les mêmes conditions que le cadet, ou le benjamin. Le premier enfant fonde la maternité. Les parents n'ont pas de référence directe, ils vont la chercher dans leur entourage, avec beaucoup d'inquiétudes. Ils essaient d'être parfaits et sont souvent angoissés.Avec l'arrivée d'autres enfants, ils se détendent, ils se forgent une expérience. La deuxième raison est la rivalité fraternelle. Les enfants qui naissent après l'aîné vont devoir se faire une place pour occuper l'espace familial.

PE : Aînés et benjamins n'ont donc pas la même personnalité ?

M.S. : Les aînés sont plus perfectionnistes, organisés et conformistes que les autres. Ils sont "gardiens des lois" et ont le poids des responsabilités. Voltaire disait de son frère aîné qu'il s'était donné le but extravagant d'être parfait. Les cadets, eux, se construisent en opposition. Ils vont se rebeller pour exister. Ce sont souvent des personnes plus créatives, plus extraverties. Et les benjamins sont en général bien dans leur peau, car ils n'ont pas subi le poids de l'inquiétude parentale. Ce sont ceux qui ont la meilleure estime d'eux-mêmes et qui se réalisent le mieux sur le plan personnel, alors que les aînés, statistiquement, se réalisent mieux dans leur vie professionnelle.

PE : Est-ce toujours le cas ?

M.S. : Il existe toujours des exceptions, mais dans la grande majorité des cas, j'observe ces similitudes entre enfants du même rang de naissance. Je ne souhaite pas enfermer les enfants dans des cases, mais en tant que pédiatre j'ai rencontré de nombreux parents qui, depuis 25 ans, ont pu me confirmer ces traits de personnalité. Je leur ai fait remplir un questionnaire lors des consultations, et les résultats sont frappants.

PE : Existe-t-il une position dans la fratrie plus à risques psychologiquement ?

M.S. : Probablement l'enfant du milieu. Il est un peu tiraillé entre cet aîné qui a des avantages dus à son âge, et ce dernier qui est gâté. Du coup, il aura la particularité d'être plus diplomate, plus dans la conciliation. Mais les cadets ont une plus faible estime d'eux-mêmes. Beaucoup peuvent rencontrer des problèmes d'orthophonie par exemple. Une patiente orthophoniste me disait que les benjamins, eux, ont souvent la voix légèrement éraillée ou cassée car ils ont tendance à s'égosiller pour se faire entendre parmi les grands !

PE : Est-ce que le sexe des enfants influe sur ces caractères ?

M.S. : Je n'observe pas de particularités liées au sexe des enfants. Mais ils vont peut-être être gâtés et choyés différemment surtout s'ils sont l'unique garçon ou l'unique fille d'une fratrie, et qu'ils ont été attendus avec impatience par leurs parents. Dans ce cas, ces enfants risquent d'être valorisés par rapport à leurs frères et sœurs.

PE : Comment les cadets et les aînés se perçoivent-ils entre eux ?

M.S. : C'est une relation ambivalente. Il y a forcément de la rivalité, mais aussi une certaine complicité. La rivalité puise sont origine dans la conquête des ressources affectives des parents. On lutte pour gagner l'affection de ses parents. Les relations fraternelles peuvent être conflictuelles pendant des années, puis s'apaiser plus tard à l'âge adulte, à l'occasion d'un événement familial fort, comme le décès d'un parent par exemple. Les membres de la fratrie peuvent devenir alors les meilleurs amis du monde. La rivalité est inévitable, mais elle permet de se construire.

PE : Peut-on parler d'admiration ? De jalousie ?

M.S. : Oui, on peut parler des deux. Le cadet grandit dans l'ombre de cet aîné, qui est forcément un modèle pour lui. Il va soit essayer de l'imiter, soit chercher à s'en démarquer. Pour cela, il peut prendre des risques. Comme je l'ai dit, le cadet est plus enclin à la rébellion. En ce qui concerne le benjamin, il bénéficie d'une protection automatique des parents, et parfois de ses frères et sœurs si l'écart d'âge est suffisamment important. Ces derniers seront alors des parents de substitution pour lui et non plus des rivaux. Sinon, la rivalité cadet/benjamin sera la même que la rivalité aîné/cadet.

PE : Comment les parents peuvent-ils gérer ces rivalités ?

M.S. : A la naissance du cadet, l'aîné peut devenir dur avec ses parents. Il va avoir tendance à s'agiter. Le rôle des parents est très important à ce moment-là. Il faut préparer l'aîné à l'arrivée du second enfant. Il faut mettre en valeur les aspects positifs de l'arrivée d'un petit frère ou d'une petite sœur. Il faut lui apprendre à partager. L'aîné a besoin d'être rassuré. Le cadet, lui, a besoin d'être protégé, surtout s'il est amené à prendre la place du milieu.

PE : Notre position dans la fratrie influe-t-elle sur le parent que l'on devient ?

M.S. : Certainement. Les parents me le disent eux-mêmes assez bien, et j'ai pu le voir dans les réponses du questionnaire que je leur ai donné. Ils aiment autant chacun de leurs enfants, mais se retrouvent dans celui qui est du même rang de naissance qu'eux. Ils vont être plus attentifs à lui, et mieux comprendre son comportement.

La combinaison gagnante

Selon une étude britannique*, la combinaison fraternelle idéale se composerait de deux filles. Interrogés sur la fréquence de disputes de leurs enfants, 2116 parents ont participé à l'étude. Résultat : les parents de deux filles seraient les plus satisfaits. A la deuxième place viennent les fratries d'une fille et un garçon, suivie des fratries de deux garçons. La plus mauvaise ambiance, avec environ quatre disputes par jour, se trouve dans les fratries de quatre sœurs.

*Étude réalisée pour le site parental www.bounty.com

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Source : PsychoEnfants